De l'homosexualité intime à l'homosexualité sociale
(aux prêtres et diacres du
Sud-Gironde le 24 Octobre 2012)
Le projet de "mariage pour tous" fait passer
l'homosexualité du statut
d'une question intime au statut d'une situation sociale publique. Nous sommes
plus habitués nous
autres pasteurs à traiter
la question de l'homosexualité sous l'angle de
l'accompagnement personnel, confidentiel de personnes concernées par
l'homosexualité:
personnes homosexuelles elles-mêmes ou leur entourage. Mais voici que nous sommes
confrontés à une question inédite: une société, la France, veut
reconnaître socialement
des unions homosexuelles au même titre que les unions hétérosexuelles.
C'est l'occasion pour nous de comprendre que, de fait, la
résistance
existentielle à l'altérité qu'illustre éminemment
l'homosexualité est une
question anthropologique qui ne peut pas se réduire à une question psychologique, même si, bien sûr, l'abord
psychologique est éclairant
pour tâcher de comprendre
ce dont il s'agit, mais parmi d'autres abords complémentaires.
Dans un premier temps nous qualifierons l'homosexualité d'illustration éminente de la résistance
existentielle à l'altérité en précisant ce qu'est
l'altérité. Puis nous
verrons en quoi cette résistance existentielle à l'altérité se joue à différents niveaux qu'il faut distinguer, certes, mais pour
mieux les articuler entre eux: niveaux théologique, spirituel, psychologique, moral, culturel,
social, politique. Enfin nous verrons en quoi la revendication du "mariage
pour tous" relève aussi
de cette résistance
existentielle à l'altérité.
I
L'homosexualité, illustration éminente de la résistance existentielle à l'altérité.
"Christ plus
intérieur à moi que moi-même" dit saint
Augustin. L'altérité n'est pas
seulement la différence respectée, elle est la
différence comprise
comme révélant à lui-même celui accueille
le différent, plus qu'il
ne pourrait se comprendre lui-même ou que ne pourrait lui permettre de se comprendre un
semblable. C'est le phénomène de l'amour: "Je
suis plus moi-même sous ton regard que je ne le serais seul. Et réciproquement, tu
es plus toi-même sous mon regard que tu ne le serais seul."
L'altérité heureuse, amoureuse est le signe de la confiance réussie. Si la
confiance défaille, si
la rencontre avec le différent non seulement ne me rend pas heureux mais me blesse
alors je vais chercher une réassurance près du semblable. La différence devient alors un extrincésisme menaçant, et la 'mêmeté' un havre réassurant.
Cette réussite ou cet échec de l'altérité se joue et sur le plan sexuel et sur le plan religieux,
nous le verrons. Ils ne peuvent pas rester seulement 'personnels'. Ils ne
peuvent pas ne pas avoir de dimension sociale. Le débat actuel sur le
"mariage pour tous" met en évidence que ni la sexualité ni la religion ne peuvent rester 'privés'. La dimension
personnelle et sociale et de la religion et de la sexualité sont comme le
recto et le verso d'une feuille. On ne peut avoir l'un sans avoir l'autre.
La différence toute première que nous rencontrons en naissant est la différence sexuelle. Il
y a deux sexes, pas plus, pas moins, et c'est universel. C'est pourquoi le vécu sexuel, dont
nous verrons que nous ne sommes que partiellement maîtres, illustre de
façon éminente si nous
avons l'altérité plutôt heureuse ou plutôt laborieuse et
problématique.
Par contre il y a une grande pluralité religieuse. Et la
religion nous paraît l'objet
d'un choix libre. Pourtant en judéochristianisme la différence sexuelle est symbole et sacrement de l'altérité de Dieu, nous le
verrons.
II L'altérité à
dimensions multiples.
A) D'un
point de vue plutôt intime
a) sur le plan théologique
25 [Les païens] ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge ; ils ont adoré et servi les créatures au lieu du
Créateur, lui qui est
béni éternellement.
Amen.
26 C'est pourquoi Dieu les a livrés à des passions déshonorantes. Chez
eux, les femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature.
27 De même, les hommes ont abandonné les rapports
naturels avec les femmes pour brûler de désir les uns pour les autres ; les hommes font avec les
hommes des choses infâmes, et ils reçoivent en retour dans leur propre personne ce qui devait
leur arriver pour leur égarement." dit saint Paul dans l'Épître aux Romains (1 25-27 traduction liturgique).
On voit à ce texte que le refus de Dieu s'exprime d'abord par
l'homosexualité féminine puis en
conséquence par
l'homosexualité
masculine. Comme si l'humanité sans Dieu était une humanité qui faisait l'amour avec elle-même. En effet dans
le Premier Testament, l'Éternel est époux d'Israël, jamais épouse. Parfois, certes, Il peut avoir les traits féminins d'une mère, mais jamais
d'une épouse (cf Osée, Ézéchiel...).
La configuration des sexes est donc significative,
symbolique de l'altérité de Dieu. Dans
l'humanité, il y a
des réceptrices et des pénétrants. L'humanité est féminine, c'est-à-dire réceptrice du don de
Dieu. Dieu intervient dans l'histoire de l'humanité, comme un époux intervient
dans le corps de son épouse, la pénétrant par intermittence, lui donnant la semence de vie et
se retirant. L'humanité reçoit le don de Dieu, le couve et en accouche le moment
venu.
On comprend alors Gn 1 27: Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme (même traduction). L'homme est image de Dieu, éminemment dans sa
différence sexuelle.
b) sur le plan spirituel
On voit, à la lecture de Rm 1 25-27 ci-dessus, que c'est face au
'mensonge' que se dévoile la vérité. Perversio
optimis pessima: la perversion des meilleures choses est la pire des choses.
Mais ce pire, en creux, appelle le meilleur dont il est la déformation. Car
c'est dans le combat spirituel qui nous étreint nous-mêmes que nous partons à la découverte, à nouveaux frais, de l'altérité et divine et sexuelle mise en péril par l'évolution de notre
culture. Dans le débat inéluctablement polémique, ici ou là, avec ceux qui réduisent l'altérité en extrincésisme menaçant, nous
approfondissons notre propre compréhension de la dite altérité...
c) sur le plan psychologique et moral
Nous sommes tous habités par des 'passions' : c'est-à-dire des représentations, des émotions, des
affections que par définition
nous ne maîtrisons
pas et même qui sont
largement inconscientes. C'est de ce matériau psychique que se saisissent la volonté et la raison
conscientes, informées par la
morale, pour agir de façon responsable. C'est dire que bien souvent "c'est le bien que je veux et c'est le mal
qui se présente à moi..." (cf Rm 7 21). On ne dira jamais assez que la voie
de sainteté est
ouverte à tous... même et surtout à ceux qui sont
asservis à de
cruelles passions rendant difficile le combat moral, tels les publicains et les
prostituées dont le
Seigneur dit qu'ils sont avant beaucoup de monde dans le Royaume de Dieu.
B) D'un
point de vue plutôt social
a) sur le plan culturel
Tout groupe humain, toute société a une cuture,
c'est-à-dire une vision
collective de l'homme, de la société, de la nature, des croyances religieuses, etc... Cette
culture est en refonte permanente sous l'influence du vécu des membres et
des groupes de membre de cette société. Et en retour la culture contribue grandement aux
'passions' de ses membres, à leurs représentations et émotions plus ou moins conscientes.
Or notre société est de plus en plus sécularisée. L'attestation d'une altérité heureuse, structurant la vie de ceux qui la vive, est de
plus en inaudible. La culture libérale réduit de tels témoignages à un choix, une option possible parmi d'autres. Or pour
les témoins de l'altérité, il s'agit au
contraire de la grammaire fondamentale de toute existence humaine personnelle
et sociale : il s'agit de l'humanité de tout homme et de toute société humaine. Mais une
telle prétention à une telle
anthropologie universelle heurte la société libérale dans ses fondements mêmes. Et on criera alors à l'intolérance ...
b) sur le plan sociétal
Nous sommes aspirés donc dans un relativisme sans fin et sans fond. Faut-il
en désespérer ? Je ne le
crois pas ! Certes, je ne nie pas qu'il y ait de grandes souffrances dûes à cette confusion,
notamment chez les jeunes qui doivent se construire dans un marécage, un
brouillard anthropologique culturel.
Mais nous sommes sommés par le fait même d'explorer à nouveaux frais les fondements les plus élémentaires de notre
foi et de la compréhension de
l'homme qui en découle.
Qu'est-ce-que la sexualité ? Qu'est-ce-que l'altérité ? Comment prendre conscience que nous en vivons ?
Comment en attester, en rendre compte ? Nous sommes contraints d'habiter
pleinement notre humanité pour y découvrir, en notre chair, le signe, le symbole de notre étrange
ressemblance avec Dieu, si différent, si proche...
III Le
mariage, service ou honneur ?
La résistance à l'altérité se révèle aussi dans la compréhension du mariage, en deçà de la question de son ouverture ou non aux personnes de
même sexe.
On attribue à Churchill en 1940, ce que d'autres politiciens sans
doute ont dit aussi en temps de crise : "L'heure n'est plus à vous demander ce que l'Angleterre peut faire pour vous
mais à vous demander ce
que vous pouvez faire pour l'Angleterre".
L'expérience de l'altérité rend oblatif. La
résistance à l'altérité rend prédateur.
Le mariage n'est pas avant tout une 'reconnaissance' par
la société de ceux qui
s'aiment, reconnaissance revendicable par tous ceux qui s'aiment pour qu'on les
admire ! Le mariage est oblation de ceux qui s'aiment à la société, d'abord et avant
tout pour y avoir des enfants. Ce n'est qu'en retour que la société les honore !
P. Arnaud de
VAUJUAS
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire