Réhabilitation, un enjeu spirituel ?
(à Cadillac, le 22 Mai 2012)
Comment peut-on dire, aujourd’hui, en ce début de XXIème
siècle, qu’il y a un enjeu spirituel dans la réhabilitation des personnes
socialement marginalisées, réprouvées. Après avoir situé, dans un premier
temps, ce qu’est la vie spirituelle, je dirai, dans un deuxième temps, comment
la foi plus spécifiquement chrétienne voit la réhabilitation ; dans un
troisième temps je donnerai quelques exemples vécus dans une œuvre de
réhabilitation chrétienne aujourd’hui, le Mouvement du Nid.
I Qu’est-ce-que la vie spirituelle ?
Le Père Lataste a vécu dans un monde beaucoup moins
pluraliste religieusement que le nôtre. Le Christianisme, et surtout le
Catholicisme, était quasiment le seul pourvoyeur de sens ultime dans la société
d’alors. Il y avait bien quelques rares minorités culturelles, quelques fortes
têtes qui contestaient cette hégémonie, mais elle était massive. La situation
est tout autre aujourd’hui : on passe d’une religion de tradition à des
religions d’adhésion, de conviction. Si bien que nous ne pouvons plus confondre
ici et aujourd’hui vie spirituelle et vie chrétienne…
Mais alors qu’est-ce-que la vie spirituelle ? Eh bien,
nous avons tous mille et une raisons de trouver que la vie a un sens, a du goût
et mille et une raisons de penser qu’elle est absurde, révoltante ; nous
avons mille et une raisons de parier sur la confiance et l’amour et mille et
une raisons de nous replier sur nous-mêmes et de n’avoir de relation avec les
autres que dans la mesure où ils peuvent nous servir à quelque chose ; nous
avons mille et une raisons de préférer la vie à la mort et mille et une raisons
de préférer la mort à la vie.
La vie spirituelle c’est que qui nous fait préférer le sens
à l’absurde, l’amour à la manipulation d’autrui, la vie à la mort. A ce
tarif-là, me direz-vous, beaucoup sont des Monsieur Jourdain de la vie
spirituelle : ils mènent un combat spirituel quotidien comme Monsieur
Jourdain faisait de la prose, mais ils ne le savent pas. Et c’est bien vrai.
Mais c’est devant l’épreuve, le mal, la souffrance, le scandale
que se fait pressante la nécessité de passer de l’inconscient, du non-dit au
conscient, à l’explicite suffisamment argumenté, suffisamment élaboré pour
tenir le choc devant le déni de sens, devant ce qui est révoltant.
II La religion du Dieu crucifié
La religion du Dieu Crucifié permet de vivre cette rencontre
gratuite et féconde avec ceux qui dont le cœur est brisé, broyé. Dans cette
rencontre, se révèle aux croyants le visage de Celui qu’ils cherchent.
« Les pauvres
sont nos maîtres » disait saint Vincent de Paul, un autre grand ami
des pauvres issu du Sud-ouest de la France. Nous avons tous des failles, des
difficultés, des culpabilités, mais certains d’entre nous n’ont pas les moyens
de le cacher, ça se voit socialement plus chez eux. Mais, ce faisant, ils nous
révèlent à nous-mêmes. Ils nous invitent à faire la vérité en nous-mêmes, à
jeter les masques si nous voulons vraiment les rencontrer en vérité, en frères.
Et, par le fait même, nous faire rencontrer par eux.
C’est là, me semble-t-il, un des aspects les plus forts de l’œuvre
et de la spiritualité du (bientôt) bienheureux Père Lataste. D’autres œuvres maintenaient
une différences de statuts entre les « filles repenties » et leurs
(ré)éducatrices. Les Dominicaines de Béthanie faisaient vivre dans un même
statut les sœurs dont le passé manifestait, de façon socialement visible, les
failles, les culpabilités inhérentes à tout être humain et les sœurs apparemment
plus préservées, de façon socialement visible, par les difficultés de la vie.
Certes le silence était de rigueur sur le passé des unes et
des autres. Mais les monastères contemplatifs sont des bocaux où les sœurs vivent
sous le regard les unes des autres dans une inéluctable promiscuité. Si des sœurs
s’étaient senties spirituellement moins bénéficiaires de la miséricorde divine,
si elles s’étaient senties supérieures spirituellement la cohabitation aurait
vite été infernale…
En nous recentrant sur la miséricorde divine, donc sur notre
misère, nous rencontrons le Dieu de l’Evangile comme le dit l’Evangile du
Jugement Dernier : « J’étais en
prison et vous m’avez visité ». Alors peut être touché le ressort le
plus intime et de celui qui, de façon socialement visible, a le cœur brisé,
broyé et de celui qui apparemment est plus préservé mais qui est à la recherche
de la vérité plus cachée en lui. Cette rencontre se joue dans un insu dévoilé
en permanence : « Mais quand
donc sommes-nous venu te voir en prison ? »
III Toucher le ressort le plus intime
Toucher le ressort le plus intime de chacun… Voilà ce vers
quoi tendent les membres du Mouvement du Nid à Bordeaux et ailleurs. Deux par
deux nous allons « au contact », comme on dit, des personnes
prostituées sur les quais de la Garonne. Dans un apprivoisement réciproque digne
de Saint-Exupéry, de son Petit Prince et de son Renard nous tendons à toucher
le ressort le plus intime de celles dont la dignité est bafouée. Mais encore
une fois c’est à la recherche aussi et de nous-mêmes et du Dieu Crucifié que
nous sommes.
Rencontre gratuite dont la fécondité est insondable.
Rarement néanmoins, mais réellement, des signes nous sont donnés qu’un ressort
a été touché. Alors nous pouvons passer la main à des travailleurs sociaux qui
ont la technique des aides sociales de réhabilitation…
P. Arnaud de VAUJUAS, curé de Talence
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire