samedi 22 octobre 2011

Quelle théologie pastorale de l’accompagnement des fiancés ?

(à l’Officialité Interprovinciale d’Aquitaine le 20 Octobre 2011)

 Comment la préparation et l’admission au mariage contribuent-t-elles à ce que les mariages célébrés soient de vrais mariages c’est-à-dire canoniquement valides ?

 Vaste question qui ne cesse de m’inquiéter, moi qui d’une part prépare et célèbre de nombreux mariages et qui d’autre part, pendant une vingtaine années, ai enseigné à Toulouse et à Bordeaux la théologie du Mariage, contribuant ainsi à former (et/ou à déformer) sur ce point de nombreux jeunes confrères.

 Notons tout d’abord, pour ne pas trop nous inquiéter, que nous sommes tenus à l’obligation de moyens et non pas à l’obligation de résultat tant sont complexes, plurielles et fluctuantes la situation culturelle et l’apparente disposition d’esprit des fiancés… Ce sera mon premier point : D’où partons-nous ? Quelle est la situation actuelle des fiancés ? Dans un deuxième point nous verrons les moyens que nous mettons en œuvre pour que les époux, ministres du sacrement, célèbrent un vrai mariage. Dans un troisième point nous verrons comment on pourrait mieux faire ?

  I La situation telle que je la vois…

Depuis un quart de siècle et plus que je suis prêtre, je puis attester une lente mais puissante évolution de la disposition d’esprit des fiancés que je prépare au mariage en collaboration avec des laïcs. Il y a un quart de siècle bien des fiancés étaient ambivalents dans leurs motivations. Ils se sentaient appelés à un geste que pourtant ils trouvaient ringard. Néanmoins ils étaient fascinés par lui. Ils se sentaient l’objet d’une pression sociale et pourtant, au bout du compte ils y consentaient.

 Aujourd’hui ils se présentent habités par une aventure intérieure mystérieuse, cherchant des mots, une grammaire pour en saisir le sens, l’accueillir, y consentir, l’amplifier. Oui ! On passe vraiment de la posture d’héritiers plus ou moins vindicatifs par rapport à leur héritage à la posture d’inventeurs d’un trésor, de découvreurs d’un mystère caché, de défricheurs d’une aventure fascinante…

 Cette posture nouvelle nous permet d’accueillir sans complaisance certes, mais surtout sans lamentation, les multiples pauvretés, misères, blessures provoquées par notre société sans repère issue de la formidable mutation de la fin du siècle dernier. Oui ! Nos fiancés sont, pour la plupart, ignares sur le pan catéchétique. Oui ! Ils n’en sont pas, pour beaucoup à la découverte de la vie affective et sexuelle. Oui ! Ils sont marqués par la précarité familiale et professionnelle dans laquelle se débat notre société. Oui ! La constance, la persévérance dans l’engagement religieux leur paraît soupçonnable tant ils ont peur du phénomène de secte, de clan, d’enfermement. Mais ils ont soif et demandent un accueil vrai et profond. Ils tâtonnent mais beaucoup cherchent… Ils demandent que leur liberté soit respectée. Mais ils devinent et expérimentent, dans la démarche même de leur mariage, que cette liberté ne peut se déployer que dans un engagement radical respectant l’unicité de chacun…

 La grammaire élémentaire de l’existence qui faisait consensus jusque dans les années soixante du siècle dernier se délite de génération en génération. Ce qui allait de soi socialement devient l’objet d’un choix, d’un engagement personnels. C’est particulièrement vrai et de l’acte de foi chrétienne et du mariage et donc, doublement, du mariage chrétien.

 Deux écueils sont à éviter :
 - la référence stérile et paralysante à ce passé, que ce passé soit idéalisé ou au contraire diabolisé, peu importe !.
 - adhérer plus ou moins confusément à l’idéologie libertaire, psychologiquement adolescente, qui théorise cette évolution, me semble-t-il avant tout sociale, en proclamant que la requête contemporaine d’authenticité, de choix personnel est antagoniste d’un engagement et dans le temps et dans une institution.

 Car la Bonne Nouvelle c’est précisément que dans une ambiance culturelle massivement individualiste et présentiste des jeunes veuillent s’engager et dans le temps et devant des institutions (Etat, Eglise). Par le fait même de leur démarche dans notre contexte culturel ils proclament que pour être libre, il faut aimer vraiment c’est-à-dire s’engager dans le temps et donc devant des institutions. Ils illustrent en le sachant plus ou moins confusément la dynamique pascale : « Qui accepte de perdre sa vie… » (Mt 16 25).

 Or nous sommes tous, fiancés et ministres de l’Eglise, en combat spirituel permanent sur ce point central de la foi. Nous sommes tous marqués par le moment culturel que nous vivons socialement. Nous sommes tous en Exode permanent, partant du souvenir d’un engagement marital allant tellement de soi qu’il nous paraît aujourd’hui contraint (non sans quelque anachronisme), passant par la requête adolescente d’un choix personnel, tendus vers un engagement adulte libre et personnel où une liberté neuve se découvre et s’enracine.

 L’enjeu de la ‘Pastorale’ est de faire se féconder l’expérience humaine et spirituelle des fiancés avec le récit pascal que porte l’Eglise. Ce n’est que si les fiancés sentent cette consonance entre ce qu’ils s’apprêtent à vivre à rebours de la culture dominante et ce qui sous-tend la vie de ceux qui les accueillent qu’ils découvriront en ceux-ci plus des aînés les aidant à faire le passage que des maîtres leur enseignant une théorie, voire une idéologie.

  II Les moyens mis en œuvre pour la vérité du mariage

Attente réelle et grande méconnaissance de l’Eglise se conjuguent souvent chez les fiancés. L’attente, pourtant vraie, peut aussi être entravée par la faible disponibilité due au rythme de la vie contemporaine. Toujours est-il qu’il y a parfois beaucoup d’acteurs à rencontrer et beaucoup à découvrir et à intérioriser en peu de mois et au milieu d’une multitude de soucis relationnels et matériels…

 Se succèdent le premier accueil en paroisse avec une ‘dame accueillante’, la première rencontre avec des couples mariés et d’âge plus mûr que l’on reverra lors du week-end de préparation, la rencontre du prêtre (ou du diacre), la compréhension des ‘Piliers du Mariage’ et leur reformulation personnalisée dans la Déclaration d’Intention, la découverte de textes liturgiques jusque-là largement inconnus… bâtir une célébration liturgique qui sera souvent quasiment la seule pendant des décennies…

 De tout cela découle l’impression d’une expérience vraie, forte mais inédite et sans lendemain. Des liens forts se tissent, mais ponctuels. Une réelle première découverte de l’Eglise et de son mystère a lieu. Mais à l’image de ce qu’est notre société, mobile et pressée… et peu propice à une histoire suivie.

 Est-ce-que ces multiples rencontres et exercices contribuent à mettre les fiancés devant leur responsabilité d’époux célébrant un vrai mariage ? Oui, certainement… mais… Oui certainement …Car beaucoup est fait pour mettre en valeur le lien matrimonial dans ces composantes augustiniennes, fidélité, fécondité, indissolubilité, le tout dans la liberté et dans une certaine dimension religieuse ouverte à la Révélation Chrétienne. Tout cela est bien rodé… Le week-end permet aux fiancés d’en parler entre eux… La Déclaration d’Intention en permet une reformulation personnalisée. Bien sûr certains fiancés passent à travers les mailles du filet de cette préparation immédiate bien huilée. Bien sûr certains manifestent une fragilité psychologique inquiétante… Mais je ne vois pas ce qu’on pourrait faire de plus… étant entendu que nous n’avons que l’obligation de moyens…

  III Peut-on mieux faire ?

Mais… Car il y a un mais… et même trois mais…

 Dans la société de grande mobilité où nous sommes, nous en sommes réduits à la formation immédiate à un mariage déjà décidé… Ce que le Bienheureux Jean-Paul II appelait dans Familiaris Consortio les préparations éloignée et prochaine ne nous sont pas accessibles sauf pour de très rares jeunes faisant partie d’aumônerie et de mouvements de jeunes. Or c’est dès la constitution du lien affectif que devrait être perçue sa vocation à être vécu dans la radicalité du mariage.

 Deuxième entrave à une meilleure formation au mariage, nous préparons des fiancés ayant déjà pour la plupart une longue vie commune et même des enfants. La décision de se marier devient donc comme un couronnement souhaitable certes mais quelque peu superfétatoire à un lien déjà ancien. Certains fiancés se sont déjà promis fidélité de façon telle qu’avant le Concile de Trente et son décret ‘Tametsi’ on les aurait considérés comme mariés clandestinement ce qui était certes illicite mais non invalidant. D’autres au contraire sont tellement fragiles psychologiquement qu’un doute subsistera toujours sur leur aptitude à vraiment s’engager dans un lien indissoluble. Théologiquement et humainement le consentement matrimonial est-il déclaratif ou performatif ? Vaste débat…

 Troisième piste de réflexion. Comment articuler avec cette nécessaire préparation au mariage humain, une annonce de la foi ? D’une part il faut tenir que le mariage humain relève de la ‘Loi Naturelle’ et ne requiert donc pas la Révélation pour qu’on s’y engage (bien des ‘infidèles’ se marient ! Et l’Eglise reconnaît leur mariage comme vrai ‘légitime’) ; d’autre part il faut aussi tenir que la foi éclaire puissamment la raison de telle façon que la ‘Loi Naturelle’ est plus aisément et plus sûrement connue sous l’éclairage de la foi. Cela sera de plus en plus vrai dans une société où, je l’ai dit, la grammaire élémentaire de l’existence fait de moins en moins consensus et où de multiples compréhensions partielles, parfois très partielles de l’affectivité et de la sexualité se proposent de façon chatoyante !

  En conclusion,

je dirai que nous faisons globalement ce que nous pouvons pour célébrer de vrais mariages. Mais restons modestes la décision bilatérale de s’engager réciproquement définitivement sera de plus en plus difficile à atteindre par une partie croissante de la population fragilisée par un monde fragilisant, incertain…

 Abbé Arnaud de VAUJUAS