vendredi 11 juin 2010

Mon argent ne regarde-t-il que moi ?

(à Mérignac le 9 Juin 2010)

Drôle de question, pensera-t-on ! Elle demande d’abord de préciser l’articulation de trois notions. Qu’est-ce qui est public ? Qu’est-ce-qui est privé ? Qu’est-ce-que la responsabilité ?

Après avoir précisé ces trois questions, après avoir esquissé notre moment historique, nous ferons un bref parcours biblique, puis historique. Enfin nous parcourrons les différentes questions portées en sous-titre de la conférence de ce soir : Consommation, investissement, don.

I Public, privé, responsabilité

Ancien schéma. Public=économico-politique. Privé=affectif et sexuel. Depuis années 1980 « fronts secondaires »=féminisme, écologie, transmission de la vie…

Est privé ce qui relève de la responsabilité de quelqu’un de précis dans une situation précise. Est public le débat permanent concernant la vision personnelle et sociale de l’homme (anthropologie) que développe une société fondant le vivre ensemble des membres de cette société. Et fondant la possibilité de demander à quelqu’un de répondre (responsabilité) de son comportement privé face à une communauté dont il fait partie, selon que son comportement honore ou conteste l’anthropologie de la société dont il fait partie.

La question « Mon argent ne regarde-t-il que moi ? » trouve là son cadre.

Or nous faisons partie de deux sociétés en interaction l’une vis-à-vis de l’autre : la société française et l’Eglise, chacune développant une certaine vision de l’homme, chacune avalisant et contestant l’anthropologie de l’autre. On ne peut donc développer la question de l’argent qu’en examinant l’anthropologie dominante de la société civile puis l’anthropologie chrétienne.

II L’argent personnel en France aujourd’hui.

Nous sommes dans une phase post idéologique, voulant être pragmatique, de notre histoire. Après l’échec des idéologies prometteuses de progrès du 20ème siècle, libérale inavouée et socialiste revendiquée, c’est l’avenir radieux inhérent à l’idée de progrès qui s’estompe. Notre société relativement opulente (relativement au passé et à d’autres sociétés actuelles) se révèle fragile, menacée. Comme un radeau d’opulence dans un monde de misère, menacé par quatre tempêtes, financière, écologique, démographique et militaire.

C’est donc le réflexe du sauve-qui-peut qui menace. La sécurité sociale est fragile (retraites, maladie…). L’épargne personnelle a fait faillite et notamment les fonds de pension des sociétés libérales. Il faut courir de plus en plus vite dans sa tête pour y comprendre quelque chose… La peur menace…

L’ambivalence vis-à-vis de l’argent apparaît donc. On est agressif vis-à-vis des ‘golden boys’, grands patrons aux parachutes dorés et traders aux bonus insultants, qui font fortune insolemment. Et, de façon plus ou moins inavouable, on voudrait faire comme eux…

Le message évangélique sur l’argent est-il pertinent dans ces circonstances ?

III L’argent personnel dans le message chrétien.

Le message biblique court sur 2000 ans, d’Abraham à la génération des Apôtres de Jésus. Comment le résumer en quelques lignes !

Dans le Premier Testament deux veines.        
- La veine sapientiale, considérant la réussite personnelle, en partie donc économique, comme une bénédiction, par exemple dans la geste des Patriarches. Mais une bénédiction précaire et fragile, comme le montre le livre de Job ou quelques psaumes.          
- La veine prophétique, dénonçant la corruption engendrée facilement par l’argent et prenant avec véhémence la défense de la veuve et de l’orphelin.

Dans le Nouveau Testament trois accents. La dénonciation du caractère asservissant de l’argent (‘Nul ne peut servir deux maîtres…’, ‘le jeune homme riche’), l’appel au partage (‘Le mauvais riche et le pauvre Lazare’, ‘Le jugement dernier de Mt 25’, l’appel de Paul au partage en faveur de l’Eglise-mère de Jérusalem) et l’appel à la confiance (‘Les oiseaux et les lys des champs’, ‘l’onction à Béthanie’).

Dans l’histoire de l’Eglise la question du prêt à intérêt est intéressante. http://fr.wikipedia.org/wiki/Intérêt_(finance). Il n’est loisible que s’il est la rémunération d’un risque mesurable et justifié…

IV Quelques questions précises aujourd’hui.

Dans l’Encyclique ‘Caritas in Veritate’ est dénoncée l’idée que la production du gâteau serait neutre moralement, purement technique et que la morale se situerait dans le partage du gâteau… (CiV §36 37) La décision morale doit informer toutes les étapes de la vie économique, l’investissement, le don, la consommation… (CiV §37)

L’investissement a une visée première de développement et non pas seulement de préservation de l’épargne. Ce qui demande qu’on sache où on investit. D’où la contestation de produits financiers opaques, complexes. D’ailleurs la simple prudence, à l’image de l’actualité, montre le caractère raisonnable de cette morale. Doivent donc se développer les ‘investissements éthiques’. C’est aux clients de faire pression sur les banques pour les obtenir et en contrôler le caractère éthique.  (cf CCFD).

Le micro crédit semble une forme prometteuse de l’investissement éthique.

Le don n’a pas seulement comme but de faire face à l’urgence de personnes en difficulté. Pour ne pas être source de paternalisme, de domination du donateur et d’asservissement des bénéficiaires il doit être lié à une incitation au développement, et même comporter un certain contrôle de l’utilisation du don, par exemple par le biais du don échelonné. C’est ce qu’on appelle le partenariat.

La consommation est aussi un acte éthique. Elle doit tendre à devenir partenariat avec le producteur. D’où le développement de circuits de consommation où on tâche de respecter la juste rétribution du producteur et un certain contrôle sur sa politique sociale.

Conclusion

Le combat semble inégal. Que peuvent nos maigres ressources, même gérées éthiquement, face aux masses de l’argent sale, de la corruption, de la course inconsidérée aux profits financiers déconnectés de toute réalité économique ? C’est oublier que le sens a fonction prophétique par rapport au non-sens. L’insurrection éthique, urgente mais à attendre pourtant avec patience, se nourrit dans un premier temps de ces petites expériences de sens au milieu d’un monde fou.

A condition que ce travail de fourmi soit relié à un travail théorique, culturel, de fond sur les représentations anthropologiques présidant à tel ou tel comportement.

Arnaud de VAUJUAS
Mérignac, le 9 Juin 2010.

samedi 5 juin 2010

A propos de diverses expressions
de ‘oui à la vie’.

Depuis quelque temps diverses expressions publiques se font jour qui stimulent une réflexion sur le respect de la vie dans notre pays : rosaires pour la vie, conférences publiques sur le respect de la vie, soirée de prière dans des cathédrales, manifestations de rue… Convoquées par diverses instances, souvent proches de l’Eglise Catholique ou de ses mouvances plus ou moins traditionnalistes, ces expressions publiques me semblent devoir susciter une réflexion. Je m’y risque donc.

La situation du respect de la vie en France est, de fait, très préoccupante. Théoriquement l’avortement, dans le cadre de la loi, ne devrait concerner que des cas de détresse. En fait il concerne quelque 250 000 grossesses pour 800 000 naissances environ. Et une pression constante sur l’opinion publique s’exprime pour prôner l’euthanasie active sous prétexte de mort dans la dignité.

Cette situation demande l’engagement actif, pour y remédier au mieux, de tout homme attaché à ce bien premier qu’est la vie humaine. Engagement actif, mais aussi réfléchi, car mal défendre une juste cause c’est la desservir. De plus, si les chrétiens disent bien qu’il n’y a pas besoin de partager la foi chrétienne pour défendre la vie humaine, ils sont souvent en première ligne dans ce combat. Le signe qu’est l’Eglise dans le monde est donc engagé et tous les chrétiens sont donc concernés…

 

« Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Evangile » (Mc 1 15).C’est par ces mots que commence la prédication de Jésus en l’Evangile selon saint Marc. Je me propose donc de tâcher de voir ce qu’est notre époque, puis de voir à quelles conversions nous sommes appelés, enfin de voir quelle bonne nouvelle du respect et même de l’amour de la vie nous devons annoncer.

 

I  « Le temps est accompli ».

Toute époque a sa spécificité. Nous ne sommes plus ni en 1920 ni en 1975. Chaque époque est un ‘chairos’, un temps favorable pour exprimer de façon juste l’Evangile de toujours. Juste c’est à dire pas seulement adaptée superficiellement. Car l’annonce de l’Evangile n’est pas la diffusion d’une doctrine qu’il faudrait présenter de façon superficiellement adroite en fonction de ses interlocuteurs.

L’annonce de l’Evangile est compréhension toujours renouvelée de cet Evangile en dialogue avec ceux à qui il est destiné. C’est ce que dit, par exemple, le Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise en son paragraphe 53 : « C'est le même Esprit du Seigneur, qui conduit le peuple de Dieu et, en même temps, remplit l'univers, qui inspire, de temps à autre, des solutions nouvelles et actuelles à la créativité responsable des hommes, à la communauté des chrétiens insérée dans le monde et dans l'histoire et, par conséquent, ouverte au dialogue avec toutes les personnes de bonne volonté, dans la recherche commune des germes de vérité et de liberté disséminés dans le vaste champ de l'humanité. »

Cela demande d’abord l’amour des hommes de notre temps. Amour ne veut pas dire approbation mais, au minimum, bienveillance. Nous n’avons qu’une époque à vivre, celle que nous donne le Seigneur à vivre, ici et maintenant. Cela demande d’exorciser de nous, de notre tête et de notre cœur, les réactions apparemment affectives, en fait mégalomaniaques, qui nous poussent à aimer ou à ne pas aimer notre époque. Quand je suis arrivé comme curé à Talence, où je suis actuellement, un prêtre à la retraite qui m’y attendait m’a écrit : « Ce sera pour toi la plus belle paroisse du monde puisque c’est la paroisse que le Seigneur te donne ». Eh bien il en est de même pour l’époque que nous vivons. L’époque que nous vivons est la plus belle période de l’histoire en ce sens qu’elle est celle que le Seigneur, amoureusement, nous donne à vivre.

D’ailleurs nous n’en avons pas d’autres, ce qui montre qu’il est mégalomaniaque de vouloir adhérer ou ne pas adhérer à ce que nous n’avons pas à choisir ! Le poisson ne peut tout de même pas choisir l’eau dans laquelle il baigne ! Nous avons à découvrir dans notre époque des merveilles qu’on ne pouvait pas découvrir avant et qu’on ne pourra plus jamais découvrir après. Même s’il est vrai aussi qu’on y vit des épreuves qu’on ne vivait pas avant et qu’on ne vivra plus après ! C’est l’amour des hommes de notre temps, donc, comme don de Dieu, qui nous pousse à essayer de le comprendre et d’en comprendre la genèse.

 

Déconditionnement ! C’est le mot qui peut résumer la mutation des mœurs, et donc de la transmission de la vie, que nous avons vécue dans les années soixante et soixante-dix du siècle dernier. On n’aime pas, et on ne transmet pas la vie, comme on aimait, comme on transmettait la vie il y a cinquante ans.

Car dans une société de proximité de contrainte qu’étaient nos villages et nos quartiers de ville, tout le monde vivait sous le regard de tout le monde et savait tout sur tout le monde (parfois plus que la vérité !). On s’aimait ou on se détestait, parfois de génération en génération. Mais enfin on se connaissait, on savait qui était qui !

Au contraire notre société de grande mobilité a engendré l’anonymat de masse. Le métro (ou le tram) en est l’illustration caricaturale. On est agglutiné mais on ne se connaît pas ! Chacun est donc en quête affective de « reconnaissance » tant sur le plan familial, donc sexuel, que sur le plan professionnel et économique. Les héritiers d’hier sont devenus des chercheurs plus ou moins angoissés. Ils doivent trouver en eux les ressources pour « faire leur trou » dans une société froide et anomique. Malheur à ceux qui n’ont pas l’aisance pour y parvenir !

C’est à cette société là, et aux hommes qui y vivent, que nous avons à annoncer l’Evangile de la Vie, selon la belle expression du Pape Jean-Paul II. Cela demande une conversion de tous.

II « Convertissez-vous »

Annoncer l’Evangile c’est inviter les autres à rentrer dans la dance jubilatoire de ma propre conversion personnelle. Le Christ est lumière. Mais cela ne veut pas dire que moi, qui crois en Lui, et les chrétiens qui m’entourent et qui forment l’Eglise, sommes meilleurs que les autres. Car« c’est le bien que je veux, mais c’est le mal qui se présente à moi » (Rm 7 18).

Il n’y a qu’un seul combat spirituel et il passe et à travers moi et à travers l’Eglise et à travers le monde. Externaliser le mal en faisant de l’Eglise (et de moi-même par la même occasion) un havre de vertu face à un monde pourri c’est pharisien.

Or la posture que l’on prend n’est pas la même selon que l’on va à une conférence publique, où l’on va apprendre quelque chose qu’on ne sait pas ; selon que l’on va à une veillée de prière, où on va entendre la Parole de Dieu qui m’appelle à la conversion ; ou selon que l’on va à une manifestation de rue qui ne peut pas ne pas être affirmative et polémique. Les mots n’ont pas le même sens dans des circonstances différentes ! Le « genre littéraire » parle par lui-même et pas seulement ce que l’on y dit.

C’est pourquoi je suis réservé sur la participation à de telles manifestations de rue. Certes elles font plus de bruit médiatique et contribuent, à ce titre, à rendre plus urgent le nécessaire débat public. Mais engagent-elles bien le débat public ? Car qui dit débat dit d’abord disponibilité en moi, et appel en l’autre, à l’ouverture de cœur et d’esprit, et non pas d’abord affrontement…

Certes l’affrontement peut-être inévitable. Mais prenons garde de bien tendre à le vivre alors comme Jésus l’a vécu. De son propre mouvement Jésus n’a pas d’ennemis. Il voit se dresser devant lui des ennemis. Et il vit l’affrontement en se laissant vaincre sans amertume et en pardonnant.

Mais c’est surtout en nous que la logique d’affrontement risque de tarir l’ouverture de cœur et l’ouverture d’esprit. Car le chantier est vaste devant nous pour découvrir la façon juste d’aimer et de transmettre la vie aujourd’hui.

III « Croyez à la Bonne Nouvelle »

Comment aimer et transmettre la vie dans une société froide où règne l’anonymat de masse et où chacun est donc en quête d’aimer et d’être aimé ? Si nous ne nous concentrons pas sur cette question, la déclamation d’affirmations morales, justes en elles-mêmes, même exprimées positivement (« oui à la vie ») et non pas négativement (« non à l’avortement » « non à l’euthanasie »), va contribuer à renforcer le refus de ces affirmations morales chez nos contemporains.

Car il me semble que le refus par beaucoup de la morale sexuelle et de la transmission de la vie n’est pas dû à son contenu lui-même. Celui-ci est largement ignoré. Mais c’est le lien, réel ou phantasmé, entre cette morale et une société aujourd’hui disparue qui est obstacle à ce qu’elle soit entendue. En d’autres termes la morale sexuelle et de la transmission de la vie est repoussée parce qu’elle est (ou paraît) ringarde, ce qui dispense de l’examiner.

Et cela attire à elle nombres de personnes refusant la société actuelle, ce qui, je l’ai dit, est mégalomaniaque. Et cela renforce l’apparence ringarde de cette morale ! Cercle vicieux !

Que notre société soit hyper érotisée et libertaire c’est bien dommage et en soi condamnable. Mais cette condamnation sera inopérante si on ne voit pas que c’est dû à la posture de quête affective, donc sexuelle, qu’implique notre société froide d’anonymat de masse. Les hommes et femmes de notre pays ne sont tout de même pas devenus subitement vicieux et jouisseurs de 1960 à 1980 sous l’effet d’on ne sait quel sortilège diabolique !

De tout temps la chasteté prend sa source dans la conversion de l’’eros’ possessif et manipulateur en ‘agape’ oblatif et source d’abnégation, comme dirait Benoît XVI dans ‘Deus est caritas’. Mais cette conversion ne peut pas se faire de la même façon dans une société et une culture cohésives et une société et une culture froides et d’anonymat de masse.

Est donc contreproductif ce qui paraît déclamation incantatoire et péremptoire de cette conversion, vu le contexte affirmatif et polémique où c’est dit. Ce n’est que l’attestation discrète, humble et délicate qui peut en donner idée et soif à ceux qui, secrètement, y aspirent. Le style de déclamation incantatoire et péremptoire peut même faire diversion et illusion chez ceux qui l’adoptent, tenant pour acquis ce qui ne peut être que le fruit d’un combat spirituel permanent et secret…

L’expression publique de la vertu ne peut pas adopter le mode d’expression publique du vice. Le vice, et Satan qui en est le maître, est fourbe puis tapageur. Fourbe tant que la conscience morale, personnelle ou publique, le reconnaît comme vice. Tapageur dès que la conscience morale ne le reconnaît plus comme tel. Mais la vertu est humble, discrète et lumineuse. On ne peut pour quelque ‘Lifepride’ adopter le mode d’expression d’une ‘Gaypride’ !

Pourtant on ne manque pas de savoir faire, dans l’Eglise, en matière de fête juvénile et jubilatoire non polémique. Les JMJ en sont un exemple parmi d’autres. Ou aussi certains rassemblements charismatiques ou scouts. Ils apparaissent ne se dresser contre personne et ne pas avoir d’ambition politique…

A quand une fête de la vie qui ne paraisse s’opposer à personne ?

Il me semble urgent donc de déconnecter les expressions publiques de respect de la vie des mouvances sociales et politiques de refus et de condamnation de la société actuelle. Outre que cette posture est délirante et mégalomaniaque, je l’ai dit, cela travestit, j’en suis convaincu, le vrai message de l’Evangile en matière de respect de la vie.

Arnaud de VAUJUAS,
le 4 Juin 2010

mardi 1 juin 2010

La prière mariale
dans la vie des baptisés

(Talence, le 27 Mai 2010)

Notre Dame du Oui ! Notre-Dame bouleversée ! Notre-Dame des Douleurs ! Notre-Dame de la Joie ! C’est sous ces quatre approches, ces quatre vocables pourrait-on dire, que je voudrais parler ce soir de la prière à Marie dans notre vie de baptisés. Comment, dans les quelques grands ‘oui’ que nous avons à dire au Seigneur dans les grands moments, aux grands carrefours de notre vie ; comment dans les petits oui que nous avons à Lui dire quotidiennement, nous sommes engendrés par Marie, bouleversés avec elle, souffrants avec elle, joyeux avec elle, c’est ce que je voudrais développer ce soir.

I Notre-Dame du Oui !

Le Seigneur nous donne tout. Sur le plan naturel, il nous donne la vie, la croissance et l’être. Pas seulement le jour de notre passage du néant à l’être, le jour de notre conception, mais jour après jour, minute après minute, tout au long de notre existence, aujourd’hui prépascale, demain post pascale. Il est bon de nous le rappeler : nous ne sommes pas à nous même notre propre source. Nous recevons tout de notre Créateur, au début et tout au long de notre existence.

Mais aussi sur le plan surnaturel. Par la Croix du Christ, nous sommes justifiés et sauvés. Or, nous dit saint Paul (1 Co 1 17), nous pouvons « réduire à néant la Croix du Christ », la rendre inopérante pour nous, ne pas recevoir ce salut offert.

Tout notre travail, toute notre tâche, pendant notre existence prépascale, consiste à apprendre à dire ‘oui’ et au don de Dieu que nous sommes à nous-mêmes et au salut qu’Il nous offre. Et cet apprentissage, s’il réussit, débouchera sur le ‘oui’ éternel que nous ne cesserons pas de Lui dire quand nous serons dans la Patrie éternelle. C’est vraiment une tâche que d’apprendre à dire ‘oui’, tâche bouleversante, nous le verrons, tâche douloureuse, nous le verrons, tâche joyeuse, nous le verrons.

Or nous ne pouvons pas dire ‘oui’ par nous-mêmes. De nous-mêmes nous sommes repliés sur nous. L’ouverture de nous-mêmes au don de Dieu est déjà un don, le Don par excellence, l’Esprit-Saint qui, dit saint Jean (Jn 16 8), « confond le monde en matière de péché ». Ce faisant nous disons ‘oui’, comme Marie a dit ‘oui’ quand « l’Esprit-Saint l’a couverte de son ombre » (Lc 1 35), quand elle a été « pleine de grâce », pleine de l’Esprit-Saint.

Or l’Esprit-Saint est contagieux. Il ne peut qu’être donné et reçu. Il ne peut pas être produit par l’homme, bien évidemment ! Il surgit de la Trinité, procédant du Père (et si on est chrétien occidental, du Père et du Fils). Et il est transmis par ceux qui l’ont reçu, dans une relation que saint Paul ose appeler d’engendrement quand, parlant aux Galates, il ose les appeler « mes petits enfants, que dans la douleur, j’enfante à nouveau, jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous » (Ga 4 19).

Si donc saint Paul ose parler ainsi, combien par excellence, Marie, « la première en chemin » comme on le chante, n’est-elle pas notre mère ! Contrairement à Paul, qui était pécheur, Marie a toujours été transparente à l’Esprit-Saint. Dans son ‘oui’, qui a eu lieu une fois pour toutes à Nazareth, et qui, pourtant, est perpétuel, elle nous engendre, dans l’Esprit-Saint à l’humanité nouvelle qu’est le Christ, qu’elle conçoit en nous, du fait même de son ‘oui’, de son ‘fiat’.

Hors du ‘oui’ actif de Marie, le don de Dieu est du plaquage sur l’homme toujours pécheur, un don passif, un manteau de justice mis sur les épaules de l’homme par Dieu grâce auquel Dieu ne verrait plus son péché, mais qui le laisserait pécheur, pourri au-dedans de lui-même.

Mais parce que le ‘oui’ de Marie est et totalement l’œuvre de l’Esprit-Saint en elle et totalement le sien, Marie est totalement juste, totalement droite, totalement elle-même, inaltérée, en un mot vierge. Et, rayonnant de l’Esprit-Saint, elle est mère de tous ceux qui à sa suite, laissent l’Esprit-Saint agir en eux quand ils disent ‘oui’ au Seigneur. Engendré donc par elle, tout homme qui dit ‘oui’ au Seigneur est vraiment rendu juste, justifié, rectifié et l’avenue du salut s’ouvre devant lui.

Prier Marie, ce n’est donc pas seulement et avant tout faire des prières à Marie, même si bien sûr ces exercices y contribuent grandement. Prier Marie c’est se tenir au plus près d’elle quand elle dit ‘oui’, c’est nous laisser engendrer par elle dans notre combat spirituel.

Mais le ‘oui’ de Marie n’a pas été sans bouleversement, sans douleur, sans joie. Voyons ce ‘oui’ véritablement pascal, c'est-à-dire qui passe à travers le drame humain jusqu’à son dénouement pascal. Son ‘oui’ engendre le Christ, non seulement au moment de sa conception, mais tout au long de son existence et tout au long de notre existence.

C’est ce que nous indique le Rosaire où nous scandons la méditation des diverses étapes (les mystères) de la vie du Christ du rappel actualisé de l’Annonciation, où Marie a dit ‘oui’ dans la première partie de l’Ave Maria. Et en implorant la prière de la « Mère de Dieu », dans la deuxième partie de l’Ave Maria nous la laissons engendrer en nous le Christ dans notre propre vie…

II Notre-Dame bouleversée

Tout au long de la Bible, du Buisson Ardent de Moïse (Ex 3) jusqu’au Chemin de Damas de Paul (Ac 9), tous ceux qui sont en contact avec Dieu sont bouleversés. Nul ne peut voir Dieu sans mourir (Ex 33 20). Longtemps j’ai pensé que c’était à cause du péché de l’homme comme le dit saint Pierre dans l’Evangile de Luc : « Eloigne-toi de moi Seigneur car je suis un homme pécheur » (Lc 5 8)

Or Marie, la toute pure, la toute sainte, l’Immaculée est aussi bouleversée quand Gabriel la salue (Lc 1 29). « A ces mots elle fut très troublée et elle se demandait ce que pouvait signifier une telle salutation » A Jérusalem aussi, quand elle retrouvera Jésus après sa fugue, elle sera « frappée d’étonnement » et « angoissée » (Lc 2 48). Et que dire de ce qui nous paraît un rudoiement de la part de Jésus ? Quand, à Cana, il la reçoit en disant « Femme que me veux-tu ? » (Jn 2 4). Et quand elle le cherche et qu’elle se fait répondre « Ma mère et mes frères ce sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la mettent en pratique » (Lc 8 21).

Marie était-elle là quand l’Evangile de Marc dit « Les gens de sa parenté vinrent pour s’emparer de lui. Car ils disaient : ‘il a perdu la tête.’ » (Mc 3 21) ? Marc ne le dit pas, mais enfin elle était bien ‘de la parenté’…

Nous dirons tout à l’heure en quoi ce bouleversement est l’antichambre de la douleur d’être disciple. Remarquons pour le moment qu’il n’est pas de tout repos pour Marie d’être la mère de Jésus. Et pourtant même là elle ne cesse pas d’être la mère de Jésus, de l’engendrer dans son ‘oui’ alors qu’elle est bouleversée, désorientée.

Ainsi en est-il aussi de nous-mêmes. Etre chrétien ce n’est pas être droit dans ses bottes ! C’est être prêt à être bouleversé, troublé, désarçonné par l’inattendu de Dieu. On appelle cela la vertu de pénitence, la disponibilité à être converti, retourné. La pénitence ce n’est pas l’auto humiliation, le mépris de soi, l’auto flagellation, c’est la disponibilité à être bouleversé, retourné, converti pour vivre plus. Prier Marie ce n’est donc pas vouloir, à toute force, être rassuré, rasséréné. C’est être prêt au bouleversement qu’elle a vécu.

(Pour faire, peut-être, de la psychanalyse de prisunic, vous m’en excuserez, je dirais que la mère ce n’est pas seulement celle qui couve, qui protège, qui console, qui rassure. C’est aussi celle qui expulse… parce qu’elle-même a été expulsée quand elle a été fille. L’utérus sans porte de sortie m’a toujours semblé être une figure de l’enfer, de l’enfermement !)

En méditant les mystères du Christ aux côtés de Marie, soyons donc prêts, s’il le faut, à être bouleversés, troublés comme elle l’a été. Alors elle engendrera en nous Jésus.

III Notre-Dame des Douleurs

Quand le Seigneur surgit dans la vie de Marie, quand il surgit dans la vie d’un homme, le bouleversement provoque inévitablement un arrachement douloureux à soi-même que seule la joie, dont on parlera plus tard, peut rendre supportable. Arrachement à soi-même que Jésus, éminemment a vécu à Gethsémani. Marie, dès le début, a vécu, dans son ‘oui’, cet arrachement à soi même.

Je ne vous ferai pas l’injure de penser, ici dans un sanctuaire à Notre-Dame des Douleurs, que vous ignorez ce que sont les sept douleurs de Marie, trois avant la Passion, quatre pendant la Passion !

« Le culte de la Mater Dolorosa apparait officiellement en 1221, au Monastère de Schönau, en Allemagne. En 1239, dans le diocèse de Florence en Italie, l'Ordre des Servites de Marie (Ordo Servita), dont la spiritualité est très attachée à la Sainte Vierge, fixe la fête de Notre-Dame des douleurs au 15 septembre. Ce titre doit son nom aux sept Douleurs dites éprouvées par la Vierge Marie :

- La prophétie de Syméon sur l'Enfant Jésus. (Lc, 2, 34-35)

- La fuite de la Sainte Famille en l'Égypte. (Mat, 2, 13-21)

- La disparition de Jésus pendant trois jours au temple. (Lc, 2, 41-51)

- La rencontre de Marie et Jésus sur la via crucis. (Lc, 23, 27-31)

- Marie contemplant la souffrance et le décès de Jésus sur la Croix. (Jn, 19, 25-27)

- Marie accueille son fils mort dans ses bras lors de la Descente de croix. (Mat, 27, 57-59)

- Marie abandonne le corps de son fils lors de la mise au tombeau. (Jn, 19, 40-42) » http://fr.wikipedia.org/wiki/Notre-Dame_des_Douleurs

Ici, à Talence, comme pour toutes les nombreuses piéta, c’est la sixième « douleur » qui est représentée : Marie accueillant son fils mort dans ses bras lors de la Descente de la croix. Mais le chiffre sept, symbole de plénitude, manifeste comment c’est toute la vie de Marie qui est douloureuse.

Bien sûr un certain dolorisme, surtout au XIVème siècle, siècle de la Guerre de Cent ans, de la Grande Peste, du Schisme d’Occident avec deux puis trois papes, un certain dolorisme, donc, a pu isoler les douleurs de Marie de leur source et de leur fin. Leur source je l’ai dit c’est la disponibilité de Marie à être bouleversée par le surgissement du Seigneur et l’inouï de sa proposition d’alliance si intime. Leur fin c’est la joie pascale, où elle sera entraînée dans son assomption et son couronnement pour reprendre les deux derniers mystères du Rosaire.

J’espère, ce soir, en soulignant la source et la fin des douleurs de Marie, avoir montré que la souffrance n’est rien sans l’amour. C’est l’amour qui sauve et non pas la souffrance, qui, en elle-même écrase et est hideuse. Mais on ne peut pas aimer sans souffrir, au moins dans notre condition prépascale actuelle marquée par le péché.

Sans doute les adeptes de théologie fiction, prompts à imaginer ce qu’aurait été l’homme s’il n’avait pas été ce qu’il a été, c’est-à-dire s’il n’avait pas péché, peuvent-ils penser, avec raison, que sans le péché l’abnégation inhérente à l’amour n’aurait pas été douloureuse. Sans doute pourra-t-on souligner que, dans notre vie post pascale nous aimerons sans souffrir. Toujours est-il qu’ici et maintenant, dans notre propension à nous replier sur nous-mêmes qu’est le péché, nous ne pouvons pas aimer sans souffrir.

Bien sûr, Jésus et Marie n’ont pas péché personnellement. Mais ils ont voulu partager notre condition pécheresse pour nous en arracher. C’est là, précisément leur amour douloureux.

Marie souffre parce que Jésus lui est arraché. J’ai assez dit que la maternité ce n’est pas seulement l’union intime entre la mère et son enfant mais surtout ce dynamisme d’arrachement de l’enfant de l’union avec sa mère. On a eu beau inventer l’accouchement sans douleur, être mère sera toujours douloureux. C’est du sein de cet arrachement douloureux de son Fils que Marie ne cesse de dire son ‘oui’, son ‘fiat’.

Nous aussi nous devons sans cesse renoncer à la belle image, belle à nos yeux, que nous nous faisons de Dieu, de nous-mêmes et des autres. Nous aussi nous avons à dire ‘oui’ à ce qui est et qui n’est pas ce que nous voudrions qui soit. C’est tout autre chose que de la résignation. C’est une présence encourageante, dynamisante, laudatrice, féconde en un mot, à ce qui est et qui n’est pas ce que nous voudrions.

Si nous pouvions comprendre que c’est ça l’amour : accepter ce qui est, l’encourager, l’engendrer même, et se réjouir que cela soit. Plutôt que de se braquer contre, jusqu’à le détruire, sous prétexte que ce n’est pas ce que nous voudrions…

Alors nos douleurs seraient quelque peu atténuées. Alors la joie, l’espérance germeraient sous nos larmes. Alors répandant autour de nous cette joie, cette espérance nous deviendrions féconds.

Prier Marie, dans les temps de douleurs, c’est communier à ce mouvement marial, d’acquiescement, de ‘oui’, où l’eros possessif et anxieux, dira Benoît XVI dans son Encyclique ‘Deus Caritas est’, se mue en agape oblative et joyeuse.

IV Notre-Dame de la joie

Si bouleversé et bouleversant qu’ait été le ‘oui’ permanent de Marie, si douloureux qu’il ait été, il n’a jamais cessé d’être joyeux. La joie n’est pas seulement au bout du chemin, elle est sur la route.

Dès sa rencontre avec Elizabeth éclate le Magnificat. De la rencontre de ces deux femmes, si étonnamment enceintes surgit la jubilation de la création. Élizabeth est une vieille femme enceinte sur le tard, épouse d’un prêtre d’Israël devenu muet (ce qui vous l’avouerez doit être bien gênant pour un prêtre !) symbolise Israël. Elle symbolise l’humanité en attente de salut, ayant tellement attendu qu’elle n’attendait plus, mais qui est comblée quand elle en avait désespéré. Et cette attente comblée sur le tard, au-delà de toute attente, tressaille de joie, en Jean le Baptiste dans le sein d’Élizabeth, devant l’inattendu et le mystère : une jeune femme enceinte, mystérieusement puisque vierge.

Et le Magnificat de Marie surgit, bouleversant tout : « Il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles. » (Lc 1 52). Et désormais le ‘oui’ bouleversé de Marie bouleversera toute pauvre gloire humaine fondée sur la chair, comme aurait dit saint Paul.

C’est désormais ce cri de joie qui résonne en écho à celui de Marie quand des hommes, des femmes, engendrés par Marie parfois sans le savoir, s’ouvrent à l’inattendu de Dieu. Ce cri de joie, déjà pascal comme par anticipation, est bien différent du plaisir que peut provoquer la gloriole de ce monde. Cette joie n’a sa source qu’en l’émerveillement d’avoir été choisi par l’Eternel pour être, par une inouïe fécondation, comme une source pour son propre créateur. Cette joie a été épurée par l’inéluctable douleur de son acceptation tant elle est différente de celle que peut procurer le monde naturel, païen.

L’Evangile ne rapporte pas de rencontre entre le Ressuscité et Marie. Mais saint Ignace de Loyola, dans ses Exercices Spirituels au n° 219 nous invite à contempler cette rencontre, dont « on peut pieusement et avec vraisemblance croire » qu’elle a eu lieu. Prier avec Marie c’est aussi s’arrêter à cet ultime ‘oui’ où la créature, en Marie, reçoit de son propre Fils et pourtant créateur, le triomphe qu’elle partage avec Lui à tout jamais.

Conclusion

« Je trouve maintenant ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et ce qui manque aux détresses du Christ, je l’achève dans ma chair en faveur de son corps qui est l’Eglise » (Col 1 24).

Deux remarques pour finir sur ce verset de saint Paul

Premièrement. On tronque souvent ce verset en n’en retenant que la dernière partie : « J’achève en ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ… » Vision unilatéralement doloriste. Car, dans ce verset de saint Paul comme en Marie durant toute son existence, la joie englobe la souffrance, comme dans l’Eucharistie l’action de grâce englobe la première étape de l’eucharistie qu’est la démarche pénitentielle. La vie chrétienne est jubilation permanente même dans les douleurs. Ou du moins dans les temps de douleurs elle est tendue vers la joie perpétuellement à venir…

Deuxièmement. Ce verset montre bien comment nous ne sommes pas seulement bénéficiaires du don de Dieu. Nous sommes intimement associés à sa genèse. Or là est tout le mystère de Marie. Comme le dit le Concile Vatican II (LG 62) : « Aucune créature en effet ne peut jamais être mise sur le même pied que le Verbe incarné et rédempteur. Mais tout comme le sacerdoce du Christ est participé sous des formes diverses, tant par les ministres que par le peuple fidèle, et tout comme l’unique bonté de Dieu se répand réellement sous des formes diverses dans les créatures, ainsi l’unique médiation du Rédempteur n’exclut pas, mais suscite au contraire une coopération variée de la part des créatures, en dépendance de l’unique source. »

Le Christ, et Lui seul, nous a tout donné. Mais la réception de son don est onéreuse. Marie, seule, a parfaitement reçu ce don, sans refus, sans réticence, en un mot sans péché. Puissions-nous, avec Marie, nous laisser faire pour vivre la Pâque de Jésus.

Arnaud de VAUJUAS
Talence le 27 Mai 2010

Le mariage menacé ?
Enjeux et perspectives.

(aux AFC de Rochefort le 21 Mai 2010)

Le mariage est-il menacé ? Drôle de question, pourrait-on dire ! Bien sûr qu’il est menacé ! Toutes les statistiques convergent pour le montrer. Il faut donc le défendre comme un trésor menacé… C’est ainsi que depuis deux siècles, sur ce sujet comme sur d’autres, de vastes secteurs du catholicisme français se muent en forteresse assiégée au risque, je le crains, d’y perdre son âme.

Or ce n’est pas si simple, à mon avis. Pour y voir plus clair, je propose dans un premier temps de faire un peu d’histoire immédiate pour tâcher de comprendre ce qui nous est arrivé depuis cinquante ans. Nous pourrons alors redécouvrir les fondements de ce grand trésor qu’est le mariage. Et nous pourrons dessiner l’attitude spirituelle à adopter pour, non pas défendre anxieusement mais annoncer joyeusement, la perpétuelle nouveauté du mariage, don permanent de Dieu à l’humanité dont il est follement amoureux.

I Mais que nous est-il donc arrivé ?

Nostalgie, nostalgie tu nous guettes ! Non seulement les sexagénaires et plus, mais aussi les plus jeunes, par ouï-dire, se souviennent de la France des années cinquante du siècle dernier. Pas d’union maritale hors mariage ou si peu ! Pas de divorce ou si peu ! Donc pas de familles recomposées, ou si peu, avec leur aller et retour des enfants d’un foyer à l’autre ! Pas de naissance hors mariage, ou si peu. Pas d’homosexualité affichée, ou si peu. Pas de revendication de mariage homosexuel, pas du tout ! Pas de revendication d’homoparentalité, pas du tout ! Période idyllique pourrait-on penser !

Régnait en maître le mariage, union stable entre un homme et une femme publiquement déclarée et célébrée, seul modèle social pour vivre l’affectivité et la sexualité humaines. Les exceptions se cantonnaient quelque part entre l’originalité, au mieux, la honte et l’infamie, le plus souvent.

Vingt ans plus tard, dans les années soixante-dix, le tableau était bouleversé. Explosaient unions libres, divorces, naissances hors mariage, homosexualité affichée et revendiquée, surgis des années soixante, de sa mythique année 68 et de sa fière liberté sexuelle, conquise comme on avait conquis la Bastille, cent quatre-vingts ans plus tôt.

Mais que nous était-il donc arrivé ? Les habitants d’Europe Occidentale et d’Amérique du Nord étaient-ils donc subitement devenus vicieux, jouisseurs, irresponsables par on ne sait quel sortilège diabolique subit ? Poser la question en ces termes c’est déjà prendre quelque recul avec le mythe simpliste de la décadence qu’impliquerait la réponse positive à une telle question…

Non ça n’est pas si simple ! Il faut y regarder de plus près. Et d’abord exorciser de nous, de notre tête et de notre cœur, les réactions apparemment affectives, en fait mégalomaniaques, qui nous poussent à aimer ou à ne pas aimer notre époque. Quand je suis arrivé comme curé à Talence, où je suis actuellement, un prêtre à la retraite qui m’y attendait m’a écrit : « Ce sera pour toi la plus belle paroisse du monde puisque c’est la paroisse que le Seigneur te donne ». Eh bien il en est de même pour la période que nous vivons. La période que nous vivons est la plus belle période de l’histoire puisque c’est celle que le Seigneur, amoureusement, nous donne à vivre. D’ailleurs nous n’en avons pas d’autres, ce qui montre qu’il est mégalomaniaque de vouloir aimer ou ne pas aimer ce que nous n’avons pas à choisir ! Nous avons à découvrir dans notre époque des merveilles qu’on ne pouvait pas découvrir avant et qu’on ne pourra plus jamais découvrir après, même s’il est vrai aussi qu’on y vit des épreuves qu’on ne vivait pas avant et qu’on ne vivra plus après ! C’est l’amour de notre époque, donc, comme don de Dieu, qui nous pousse à essayer de la comprendre et d’en comprendre la genèse.

Déconditionnement ! C’est le mot qui peut résumer la mutation des mœurs, et donc du mariage, que nous avons vécue dans les années soixante et soixante-dix. Recherche tâtonnante de vertébralisation (je m’expliquerai sur ce terme !) c’est ce que nous vivons depuis. Nous passons, en effet, me semble-t-il, de l’état de crustacés dont la structure rigide est extérieure à l’état de vertébrés dont la structure à la fois rigide et souple est intérieure, même si pour un temps beaucoup passent par l’état de mollusque, sans structure rigide !

Souvenons-nous ! Avant et au début des Trente Glorieuses (1945-1975) nous étions dans une société de subsistance et de proximité de contrainte. La sexualité humaine y était grave et sacrée car elle avait trois dimensions incontournables, sociale, reproductive et religieuse dont elle a été dépouillée pendant le dernier tiers du siècle dernier.

Sociale d’abord. Jusque tard dans le XXème siècle la plupart des entreprises étaient familiales, agricoles, commerciales ou artisanales, donc patrimoniales. Se marier c’était s’installer professionnellement et socialement. Les femmes travaillaient, trimaient même, mais n’avaient pas d’indépendance économique.

Or qui dit patrimoine dit héritage à transmettre. Et avant l’ère de la contraception illusoirement facile, la fin première du mariage, comme on disait alors, était la procréation. D’ailleurs, sans système de protection sociale généralisée, apparue juste avant la Seconde Guerre, la famille était la communauté de protection proximale unique, notamment quand les vieux jours arrivaient.

Enfin dans une société où l’innovation était lente, la tradition et ses valeurs étaient dominante. Se marier c’était communier avec les forces cosmiques sacrées qui s’imposaient à tous sans que personne n’ait barre sur elles, ce qui est la définition du sacré. Le mariage avait une évidente dimension religieuse et sacrée.

Que ce temps si proche chronologiquement nous semble si lointain ! Les personnes n’étaient ni plus vertueuses ni plus vicieuses qu’aujourd’hui. Mais on vivait dans des communautés de proximité de contrainte où tout le monde était sous le regard de tout le monde. Dans les villages ou quartiers de ville tout le monde connaissait tout le monde et savait tout sur tout le monde, parfois plus que la vérité. On s’aimait ou on se haïssait, parfois de génération en génération, mais enfin on se connaissait. La grammaire élémentaire de la vie était évidente.

En vingt ans, pendant les décennies soixante et soixante-dix, la sexualité humaine a été dépouillée de ce qui en faisait la gravité. Le travail salarié s’est généralisé, permettant aux femmes qui, encore une fois, ont toujours travaillé, d’avoir leur indépendance économique et donc de pouvoir rompre et recréer des liens familiaux. La solidarité économique s’est socialisée. La société de grande mobilité a produit l’anonymat de masse où on ne connaît plus son voisin mais où on choisit ses relations sur des critères affectifs. La tradition a fait place à l’innovation galopante marginalisant ceux qui ne savent pas courir assez vite dans leur tête, valorisant les jeunes et ringardisant les vieux. Dans ce contexte la religion est devenue matière à option, selon que ça me fait vibrer ou pas.

Quand on voit l’ampleur de la mutation, finalement ce qui est étonnant c’est qu’il y ait encore des gens qui se marient et qui soient religieux, notamment chrétiens. Mais quand ils se marient ou sont chrétiens, petit à petit ce n’est plus par convenance sociale mais par décision personnelle.

Encore une fois nous passons d’un état où les structures s’imposaient socialement de l’extérieur à un état où il faut trouver à l’intérieur de soi les raisons de faire ceci ou cela. Les crustacés se transforment en vertébrés.

Mais quelles sont donc les raisons de se marier ? Il faut maintenant en rendre compte.

II Des fins (institutionnelles) du mariage
aux biens (personnels) des époux.

L’Eglise a l’odorat fin. Rien n’est plus faux que de dire qu’elle est ringarde et dépassée. Depuis le Concile Vatican II, elle a réorienté son enseignement sur le mariage. Dans la Constitution Gaudium et Spes, puis dans l’Encyclique Humanae Vitae et dans l’Exhortation Apostolique Familiaris Consortio on tait, sans le renier, l’enseignement antérieur focalisé sur l’institution sociale du mariage et ses fins (procréation, remède à la concupiscence, aide mutuelle des époux) pour valoriser et enseigner l’amour conjugal et ses biens (union et procréation).

On passe de la théologie de l’œuvre (opus operis), de l’institution du mariage, à la théologie des acteurs, des époux (opus operantis).

Dans une société stable, pré moderne, l’institution va de soi et on en dessine la finalité sociale. Dans une société moderne le sujet surgit face voire contre ce qui jusque là en était le terrain nourricier, la société. Celle-ci est alors sommée d’être au service du bien des personnes. L’attention se tourne alors vers l’accomplissement et l’épanouissement des acteurs.

Dans les sociétés pré modernes on s’aime parce qu’on est mariés, ce qui ne relève pas du libre choix des personnes, ou si peu ! Dans les sociétés modernes on se marie parce qu’on s’aime. Révolution copernicienne !

Ce n’est pas que dans l’enseignement relatif au mariage qu’un tel changement de perspective s’opère. Dans la question, oh combien sensible pour nos amis traditionalistes, de la liberté religieuse, on passe de l’affirmation de la vérité sociale du christianisme, formalisée par la théorie de l’Etat catholique, à l’attention aux personnes dans leur cheminement vers la vérité : « La vérité ne s’impose que par la force de la vérité qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance » (DH 2)

Ce n’est pas une mince affaire que d’accompagner ce changement de perspective. Dans les diocèses, les paroisses, se met alors en place une préparation au mariage. Préparation immédiate où, reprenant les trois caractéristiques augustinienne du mariage, fidélité, fécondité, indissolubilité, les fiancés sont appelés à rédiger une déclaration d’intention les incitant à s’engager personnellement, librement dans ce qui autrefois leur était, plus ou moins consciemment, imposé par la société et sa culture dominante. Préparation distale par l’éducation affective et sexuelle que des organismes comme le CLER proposent aux adolescents et aux jeunes. Accompagnement après le mariage dans des mouvements comme les Equipes Notre-Dame…

On tâche de faire prendre conscience aux fidèles que, pour que l’amour humain soit plénier et à la hauteur de leur dignité, ils doivent en recevoir le don de Dieu même. On tâche de leur faire saisir que, en exprimant publiquement leur amour dans le don l’un à l’autre, total et définitif, couronné par le désir que leur soient donnés des enfants, ils sont conformés, configurés à Dieu même qui se donne radicalement, définitivement à l’humanité dans le Christ, époux de l’Eglise.

Petit à petit, non sans crises et sans difficultés certes, le mariage apparaît comme un engagement personnel, une attestation publique que l’homme n’est pas le jouet passif de pulsions anonymes et incontrôlables, mais le bénéficiaire d’un don qui lui fait découvrir ce qu’il est en le conformant à son propre créateur.

Depuis un quart de siècle que je suis prêtre, je puis attester une lente mais puissante évolution de la disposition d’esprit des fiancés que je prépare au mariage en collaboration avec des laïcs. Il y a un quart de siècle bien des fiancés étaient ambivalents dans leurs motivations. Ils se sentaient appelés à un geste que pourtant ils trouvaient ringard. Mais pourtant ils étaient fascinés par lui. Ils se sentaient l’objet d’une pression sociale et pourtant, au bout du compte ils y consentaient.

Aujourd’hui ils se présentent habités par une aventure intérieure mystérieuse, cherchant des mots, une grammaire pour en saisir le sens, l’accueillir, y consentir, l’amplifier. Oui ! on passe vraiment de la posture d’héritiers plus ou moins vindicatifs par rapport à leur héritage à la posture d’inventeurs d’un trésor, de découvreurs d’un mystère caché, de défricheurs d’une aventure fascinante…

Cette posture nouvelle nous permet d’accueillir sans complaisance certes, mais surtout sans lamentation, les multiples pauvretés, misères, blessures provoquées par notre société sans repère issue de la formidable mutation de la fin du siècle dernier. Oui ! nos fiancés sont, pour la plupart, ignares sur le pan catéchétique. Oui ! ils n’en sont pas, pour beaucoup à la découverte de la vie affective et sexuelle. Oui ! ils sont marqués par la précarité familiale et professionnelle dans laquelle se débat notre société. Oui ! la constance, la persévérance dans l’engagement religieux leur paraît soupçonnable tant ils ont peur du phénomène de secte, de clan, d’enfermement. Mais ils ont soif et demandent un accueil vrai et profond. Ils tâtonnent mais beaucoup cherchent… Ils demandent que leur liberté soit respectée mais ils devinent et expérimentent qu’elle ne peut se déployer que dans un engagement radical respectant l’unicité de chacun…

Sur un autre plan, c’est avec eux que nous apprenons cette posture d’inventeurs, de découvreurs, de défricheurs qui nous permet, non sans tâtonnements, de chercher comment, aussi, vivre avec justesse et vérité, une vie chrétienne alors qu’on est confronté à l’échec conjugal, aux blessures affectives et sexuelles. Là aussi c’est un long et douloureux chemin que de passer d’une posture vindicative d’un ‘droit à communier’ quand on est divorcé-remarié, à la posture d’un accueil inventif de soi-même et de l’amour inconditionnel de Dieu alors qu’on est en situation de ne pas pouvoir être le signe public de Sa fidélité sans faille.

Nous sommes donc, tous, pasteurs et peuple, à devoir découvrir à nouveaux frais, les merveilles de l’amour humain dans un monde confus et blessant pour les personnes. Cela nous demande une attitude spirituelle d’humilité et d’audace.

III L’audace de l’humilité

Oui notre époque est fascinante pour qui en comprend les enjeux. Je me laisse aller à penser, parfois, qu’il y aurait un parallèle entre ce qui est advenu au Peuple de la Première Alliance et ce qui advient à l’Eglise.

Pour le Peuple d’Israël, après que la foi dans le Seigneur ait été (non certes sans défaillances multiples) le ciment avoué et publiquement proclamé du royaume de David et de Salomon puis des royaumes d’Israël et de Juda, le Seigneur a reconduit son Peuple au désert lors de l’exil à Babylone. Mais c’était pour lui parler au cœur et lui faire redécouvrir son amour comme autrefois dans la phase d’errance dans le désert du Sinaï, préparant ainsi la venue du Seigneur Jésus, Parole définitive de son Amour.

Ainsi peut-être aujourd’hui, sur les décombres de la chrétienté, l’Eglise est-elle invitée, dans un exil de sa gloire sociale passée, à redécouvrir les fondamentaux de sa vocation, pour préparer la seconde venue en gloire du Christ, comme Il le voudra, quand Il le voudra…

Cela demande humilité et audace pour redécouvrir la joie merveilleuse d’être choisis, sans mérite aucun, pour être les prophètes du Seigneur.

L’humilité

Que nous soyons contraints à la modestie dans la promotion du mariage, c’est évident ! Jamais nous ne parviendrons, ou du moins pas avant longtemps, à ce que le mariage soit, à nouveau, la voie sociale hégémonique de l’union de l’homme et de la femme qu’elle était il y a cinquante ans. Bien sûr le Seigneur est bien libre de faire les miracles qu’il veut. Mais ce serait vraiment un miracle !

Nous ne pouvons, au mieux, qu’accueillir de notre mieux ceux dont l’amour est tel et la proximité avec l’Eglise telle, qu’ils demandent que cet amour soit ‘comme consacré’ dans le mariage chrétien. Mais des pans entiers de la société, hier touchés par l’Eglise, sont aujourd’hui hors de portée de sa voix…

Mais la modestie ce n’est pas encore l’humilité… L’humilité c’est de consentir, et non pas se résigner, à la petitesse, la fragilité, la précarité de ce que l’on est parce qu’on sait que le Seigneur passe de préférence par notre petitesse et nos difficultés… Car pour accueillir des chercheurs tâtonnants de Dieu, il faut soi-même être chercheur tâtonnant de Dieu…

Une anecdote, ici pour me faire comprendre. J’étais étudiant, quelque part au début des années 1970, et nous étions une quinzaine réunis autour de Marcel Légaut, philosophe chrétien décédé depuis en 1990 à l’âge de 90 ans. L’orateur parlait de l’insondable, insaisissable mystère de Dieu. Un de mes compagnons, vivement agacé par ce discours, interrompt l’orateur et s’écrie : « Mais enfin depuis deux mille ans on devrait savoir qui est Dieu ! » La réponse de Marcel Légaut a été cinglante et m’a marqué à vie : « Monsieur, pour parler ainsi il faut que vous soyez athée ! »

Eh bien ce qui est vrai de Dieu Lui-même est vrai de tout ce qui en est l’épiphanie, la manifestation, comme, par exemple, la prière et l’amour humain. Un jour je prêchais une retraite à des religieuses très âgées. Quand j’ai dit que nous étions tous des débutants dans la prière, une des religieuses, octogénaire ou nonagénaire, s’est écriée : « Ca s’est bien vrai ! ». Je m’étais fait comprendre. J’espère que je me fais comprendre ce soir…

Nous sommes tous des débutants en amour humain, quelles que soient le nombre de nos années de mariage ou de célibat consacré. Rencontrer un homme et une femme qui nous parlent de leur amour, si blessé ou si bancal soit-il, c’est assister à la création du monde, au surgissement permanent du Seigneur.

Bien sûr nous savons bien que le mariage est le seul cadre qui respecte pleinement et permet de déployer pleinement l’amour humain dans toute sa dignité. Mais c’est là une science de connaissance doctrinale qui laisse entiers le chantier et la tâche de la conversion spirituelle permanente de tout amour humain à ce que dit de lui la doctrine du mariage…

L’audace

C’est pourquoi seule cette humilité est audacieuse. Si je suis un chercheur tâtonnant en amour humain, je peux accueillir, écouter, former, exhorter à la conversion tout amour humain… Mais si je crois savoir ce qu’est l’amour humain, je serai inéluctablement péremptoire, blessant avec ceux qui me parleront de leur amour humain.

Bien sûr la conversion spirituelle d’un amour humain en l’amour du Christ qui se donne radicalement et sans retour à l’Eglise, son épouse, cette conversion a vocation à s’inscrire dans l’institution sacramentelle du mariage. Mais la conversion institutionnelle, socialement visible, ne garantit rien quant à la conversion spirituelle. En d’autres termes, si on s’aime on est appelé à se marier. Mais se marier ne garantit pas qu’on s’aime !

Le mariage est donc l’horizon permanent de tout le monde, qu’on soit marié ou pas. Sur cette base on peut et on doit accueillir tout le monde, personnes déjà mariées, personnes pouvant se marier et personnes en situation telle qu’elles ne peuvent pas se marier…

Prophètes de Dieu apprenant lui-même à aimer

Dans cette ‘docte ignorance’ de ce qu’est Dieu et ses épiphanies, comme par exemple la prière ou l’amour humain, nous sommes les prophètes du Dieu de Jésus-Christ qui, s’incarnant, apprend lui-même à aimer. C’est l’enseignement prodigieux de l’Epître aux Hébreux : « Tout Fils qu’il était [le Christ] appris par ses souffrances l’obéissance et, conduit jusqu’à son propre accomplissement, il devint pour tous ceux qui lui obéissent cause du salut éternel » (Hb 5 8-9)

Ces versets, attribués à saint Paul, affirment que le Christ a appris quelque chose. Ils ont plongé dans la perplexité bien des théologiens qui professaient que le Christ, étant Dieu, était omniscient, c’est-à-dire qu’Il savait tout et n’avait donc rien à apprendre ! Tentation permanente du docétisme, c'est-à-dire de cette hérésie qui dit que Dieu en Christ a fait mine d’être un homme, a paru être un homme (doceo, docere : je parais) mais n’a pas vraiment été un homme, avec tout ce que cela implique non seulement comme capacité mais aussi comme nécessité d’apprendre.

Saint Thomas d’Aquin s’en sort en distinguant le savoir de science que le Christ avait parfaitement et le savoir d’expérience qu’il a dû acquérir comme tout le monde. Prenons un exemple. Si un ami proche de nous est en phase terminale de sa vie, nous savons de science qu’il va mourir. Pourtant quand il meurt nous sommes bouleversés et nous pleurons. Nous avons alors à apprendre de savoir d’expérience qu’il est mort. Nous avons à apprendre à vivre sans lui et à développer un autre type de présence à lui.

Eh bien Jésus a appris de savoir d’expérience ce que l’Epître aux Hébreux appelle ‘l’obéissance’. Et, comme Lui, nous en sommes à devoir apprendre de savoir d’expérience ce qu’est le mariage, quand bien même nous savons de science doctrinale ce qu’est ce mariage !

Conclusion

Formidable mutation donc. Et l’exil de l’Eglise de sa gloire sociale passée nous permet cette mutation qui, à mes yeux, est une croissance spirituelle. Oui ! je crois vraiment que le Seigneur ramène son Eglise au désert pour lui faire apprendre de science d’expérience cette figure essentielle de ce qu’Il est, le mariage.

Nous sommes donc bien loin donc du mariage trésor menacé à défendre ou noble cause à promouvoir. Nous sommes à pied d’œuvre pour découvrir tous, chacun à sa place, ce qu’est le mariage.

Arnaud de VAUJUAS
Rochefort, le 21 Mai 2010

Bonjour!

Curé de Talence (Diocèse de Bordeaux), enseignant en Théologie Morale au Séminaire Saint-Joseph, me voilà pris de prurit de faire connaître ma (petite) opinion sur les événements