mardi 23 octobre 2012




De l'homosexualité intime à l'homosexualité sociale

(aux prêtres et diacres du Sud-Gironde le 24 Octobre 2012)

Le projet de "mariage pour tous" fait passer l'homosexualité du statut d'une question intime au statut d'une situation sociale publique. Nous sommes plus habitués nous autres pasteurs à traiter la  question de l'homosexualité sous l'angle de l'accompagnement personnel, confidentiel de personnes concernées par l'homosexualité: personnes homosexuelles elles-mêmes ou leur entourage. Mais voici que nous sommes confrontés à une question inédite: une société, la France, veut reconnaître socialement des unions homosexuelles au même titre que les unions hétérosexuelles.

C'est l'occasion pour nous de comprendre que, de fait, la résistance existentielle à l'altérité qu'illustre éminemment l'homosexualité est une question anthropologique qui ne peut pas se réduire à une question psychologique, même si, bien sûr, l'abord psychologique est éclairant pour tâcher de comprendre ce dont il s'agit, mais parmi d'autres abords complémentaires.

Dans un premier temps nous qualifierons l'homosexualité d'illustration éminente de la résistance existentielle à l'altérité en précisant ce qu'est l'altérité. Puis nous verrons en quoi cette résistance existentielle à l'altérité se joue à différents niveaux qu'il faut distinguer, certes, mais pour mieux les articuler entre eux: niveaux théologique, spirituel, psychologique, moral, culturel, social, politique. Enfin nous verrons en quoi la revendication du "mariage pour tous" relève aussi de cette résistance existentielle à l'altérité.

I L'homosexualité, illustration éminente de la résistance existentielle à l'altérité.

"Christ plus intérieur à moi que moi-même" dit saint Augustin. L'altérité n'est pas seulement la différence respectée, elle est la différence comprise comme révélant à lui-même celui accueille le différent, plus qu'il ne pourrait se comprendre lui-même ou que ne pourrait lui permettre de se comprendre un semblable. C'est le phénomène de l'amour: "Je suis plus moi-même sous ton regard que je ne le serais seul. Et réciproquement, tu es plus toi-même sous mon regard que tu ne le serais seul."

L'altérité heureuse, amoureuse est le signe de la confiance réussie. Si la confiance défaille, si la rencontre avec le différent non seulement ne me rend pas heureux mais me blesse alors je vais chercher une réassurance près du semblable. La différence devient alors un extrincésisme menaçant, et la 'mêmeté' un havre réassurant.

Cette réussite ou cet échec de l'altérité se joue et sur le plan sexuel et sur le plan religieux, nous le verrons. Ils ne peuvent pas rester seulement 'personnels'. Ils ne peuvent pas ne pas avoir de dimension sociale. Le débat actuel sur le "mariage pour tous" met en évidence que ni la sexualité ni la religion ne peuvent rester 'privés'. La dimension personnelle et sociale et de la religion et de la sexualité sont comme le recto et le verso d'une feuille. On ne peut avoir l'un sans avoir l'autre.

La différence toute première que nous rencontrons en naissant est la différence sexuelle. Il y a deux sexes, pas plus, pas moins, et c'est universel. C'est pourquoi le vécu sexuel, dont nous verrons que nous ne sommes que partiellement maîtres, illustre de façon éminente si nous avons l'altérité plutôt heureuse ou plutôt laborieuse et problématique.

Par contre il y a une grande pluralité religieuse. Et la religion nous paraît l'objet d'un choix libre. Pourtant en judéochristianisme la différence sexuelle est symbole et sacrement de l'altérité de Dieu, nous le verrons.

II L'altérité à dimensions multiples.

A) D'un point de vue plutôt intime

a) sur le plan théologique

25 [Les païens] ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge ; ils ont adoré et servi les créatures au lieu du Créateur, lui qui est béni éternellement. Amen.
26 C'est pourquoi Dieu les a livrés à des passions déshonorantes. Chez eux, les femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature.
27 De même, les hommes ont abandonné les rapports naturels avec les femmes pour brûler de désir les uns pour les autres ; les hommes font avec les hommes des choses infâmes, et ils reçoivent en retour dans leur propre personne ce qui devait leur arriver pour leur égarement." dit saint Paul dans l'Épître aux Romains (1 25-27 traduction liturgique).

On voit à ce texte que le refus de Dieu s'exprime d'abord par l'homosexualité féminine puis en conséquence par l'homosexualité masculine. Comme si l'humanité sans Dieu était une humanité qui faisait l'amour avec elle-même. En effet dans le Premier Testament, l'Éternel est époux d'Israël, jamais épouse. Parfois, certes, Il peut avoir les traits féminins d'une mère, mais jamais d'une épouse (cf Osée, Ézéchiel...).

La configuration des sexes est donc significative, symbolique de l'altérité de Dieu. Dans l'humanité, il y a des réceptrices et des pénétrants. L'humanité est féminine, c'est-à-dire réceptrice du don de Dieu. Dieu intervient dans l'histoire de l'humanité, comme un époux intervient dans le corps de son épouse, la pénétrant par intermittence, lui donnant la semence de vie et se retirant. L'humanité reçoit le don de Dieu, le couve et en accouche le moment venu.

On comprend alors Gn 1 27: Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme (même traduction). L'homme est image de Dieu, éminemment dans sa différence sexuelle.

b) sur le plan spirituel

On voit, à la lecture de Rm 1 25-27 ci-dessus, que c'est face au 'mensonge' que se dévoile la vérité. Perversio optimis pessima: la perversion des meilleures choses est la pire des choses. Mais ce pire, en creux, appelle le meilleur dont il est la déformation. Car c'est dans le combat spirituel qui nous étreint nous-mêmes que nous partons à la découverte, à nouveaux frais, de l'altérité et divine et sexuelle mise en péril par l'évolution de notre culture. Dans le débat inéluctablement polémique, ici ou là, avec ceux qui réduisent l'altérité en extrincésisme menaçant, nous approfondissons notre propre compréhension de la dite altérité...

c) sur le plan psychologique et moral

Nous sommes tous habités par des 'passions' : c'est-à-dire des représentations, des émotions, des affections que par définition nous ne maîtrisons pas et même qui sont largement inconscientes. C'est de ce matériau psychique que se saisissent la volonté et la raison conscientes, informées par la morale, pour agir de façon responsable. C'est dire que bien souvent "c'est le bien que je veux et c'est le mal qui se présente à moi..." (cf Rm 7 21). On ne dira jamais assez que la voie de sainteté est ouverte à tous... même et surtout à ceux qui sont asservis à de cruelles passions rendant difficile le combat moral, tels les publicains et les prostituées dont le Seigneur dit qu'ils sont avant beaucoup de monde dans le Royaume de Dieu.

B) D'un point de vue plutôt social

a) sur le plan culturel

Tout groupe humain, toute société a une cuture, c'est-à-dire une vision collective de l'homme, de la société, de la nature, des croyances religieuses, etc... Cette culture est en refonte permanente sous l'influence du vécu des membres et des groupes de membre de cette société. Et en retour la culture contribue grandement aux 'passions' de ses membres, à leurs représentations et émotions plus ou moins conscientes.

Or notre société est de plus en plus sécularisée. L'attestation d'une altérité heureuse, structurant la vie de ceux qui la vive, est de plus en inaudible. La culture libérale réduit de tels témoignages à un choix, une option possible parmi d'autres. Or pour les témoins de l'altérité, il s'agit au contraire de la grammaire fondamentale de toute existence humaine personnelle et sociale : il s'agit de l'humanité de tout homme et de toute société humaine. Mais une telle prétention à une telle anthropologie universelle heurte la société libérale dans ses fondements mêmes. Et on criera alors à l'intolérance ...

b) sur le plan sociétal

Nous sommes aspirés donc dans un relativisme sans fin et sans fond. Faut-il en désespérer ? Je ne le crois pas ! Certes, je ne nie pas qu'il y ait de grandes souffrances dûes à cette confusion, notamment chez les jeunes qui doivent se construire dans un marécage, un brouillard anthropologique culturel.

Mais nous sommes sommés par le fait même d'explorer à nouveaux frais les fondements les plus élémentaires de notre foi et de la compréhension de l'homme qui en découle. Qu'est-ce-que la sexualité ? Qu'est-ce-que l'altérité ? Comment prendre conscience que nous en vivons ? Comment en attester, en rendre compte ? Nous sommes contraints d'habiter pleinement notre humanité pour y découvrir, en notre chair, le signe, le symbole de notre étrange ressemblance avec Dieu, si différent, si proche...



III Le mariage, service ou honneur ?

La résistance à l'altérité se révèle aussi dans la compréhension du mariage, en deçà de la question de son ouverture ou non aux personnes de même sexe.

On attribue à Churchill en 1940, ce que d'autres politiciens sans doute ont dit aussi en temps de crise : "L'heure n'est plus à vous demander ce que l'Angleterre peut faire pour vous mais à vous demander ce que vous pouvez faire pour l'Angleterre".

L'expérience de l'altérité rend oblatif. La résistance à l'altérité rend prédateur.

Le mariage n'est pas avant tout une 'reconnaissance' par la société de ceux qui s'aiment, reconnaissance revendicable par tous ceux qui s'aiment pour qu'on les admire ! Le mariage est oblation de ceux qui s'aiment à la société, d'abord et avant tout pour y avoir des enfants. Ce n'est qu'en retour que la société les honore !

P. Arnaud de VAUJUAS