jeudi 10 février 2011

Lire, en groupe,
l’Encyclique ‘Caritas in Veritate’
à l’aide du ‘guide de lecture’ de Jean-Yves Calvez1

(au ‘Chantier’ Solidarité le 11 Janvier 2011)

Il ne s’agit pas ici de faire une conférence sur l’Encyclique ‘Caritas in Veritate’ du 29 Juin 2009. Il s’agit de proposer une méthode pour lire, en groupe, cette Encyclique dans le cadre de la ‘Dynamique Missionnaire’ de notre diocèse de Bordeaux.

Comme beaucoup d’écrits de Benoit XVI, ce texte est limpide et subtil à la fois. La lecture continue risque d’être vite décourageante. C’est pourquoi divers ‘guides de lecture’ ont été proposés. Les responsables du ‘Chantier’ Solidarité on choisi le guide de Jean-Yves CALVEZ, sj. Je me propose de voir comment, à l’aide de cet ouvrage, animer des groupes dans les divers Secteurs et Ensembles pastoraux, Services et Mouvements de notre Diocèse.

« Tout ce qui est simple est faux, tout ce qui n’est pas simple est inutilisable »2 selon Paul VALERY. Je propose, pour chaque chapitre, de procéder en trois temps :
- dégager quelques idées forces par chapitre (ou portion de chapitre pour le chapitre 5)

- lire des paragraphes de l’Encyclique où ces idées sont développées. Il ne s’agit pas de faire un commentaire de ce texte, mais d’entrer en contact avec lui.

- s’interroger pour voir ce qui, dans notre pensée, dans la pensée de notre entourage, puis dans la pensée dominante de notre temps, consonne ou au contraire résiste à ces idées forces.

Pour les deux premiers temps le ‘Guide de lecture’ de Jean-Yves CALVEZ est précieux. Avec un surligneur coloré on peut dégager une ou plusieurs idées forces par chapitre (souvent les intertitres), puis lire les extraits proposés par l’auteur. Pour le troisième temps, le questionnaire en trois temps que je propose (et que je répète ici) doit permettre un échange :

- Qu’est-ce-qui, en moi, consonne et résiste aux idées forces ici développées ?

- id , dans mon entourage, id ?

- id , dans les idées dominantes de notre temps, id ?

Chaque animateur de groupe de lecture peut alors rédiger une ‘fiche de lecture’ avant chaque réunion. Il y a une introduction, six chapitres et une conclusion. Le chapitre 5, qui traite de plusieurs sujets peut être vu en plusieurs fois. De quoi alimenter un groupe mensuel jusqu’à la Saint-André 2011 !

Comme on habite mieux le travail que l’on fait soi-même que celui qui est fait par autrui il est souhaitable que chaque animateur de groupe fasse cette ‘fiche de lecture’. Néanmoins je propose le fruit de cette méthode telle que je l’applique.

I Un plan possible

Introduction : Deux idées forces :
Amour et Vérité
L’homme comme vocation

Amour et Vérité : extrait de &1 page 10

L’homme comme ‘vocation’ : extraits de &3 et &6 page 11

Questionnaire ci-dessus

Chapitre 1 : Quatre idées forces :
La ‘Doctrine sociale’
Le développement authentique
La dimension religieuse dans le développement authentique
Le danger des messianismes de substitution

La Doctrine sociale : extrait de &2 page 13

Le développement authentique : extrait de &8 page 14

La dimension religieuse … : extrait de &12 page 16

Le danger des messianismes… : extrait de &14 page 17

Questionnaire ci-dessus

Chapitre 2 Cinq idées forces :
Les ‘plaies’ du moment
La ‘mondialisation’
Mais où est la sagesse ?
Le sens de l’économie et ses fins
De nouvelles fractures

Les ‘plaies’ du moment : extraits de &21 et &22 pages 22-23

La ‘mondialisation’ : extrait de &25 page 25

Mais où est la sagesse ? : extrait de &30 page 27

Le sens de l’économie et ses fins : extrait de &32 page 28

De nouvelles fractures : extrait de &33 page 28

Questionnaire ci-dessus

Chapitre 3 Quatre idées forces :
Le don
Le marché
Vers la mutation de l’Etat ?
Mondialisation et crise

Le don : extraits de &34 page 32

Le marché : extraits de &36 pages 33-34

Vers la mutation de l’Etat ? : extraits de &41 pages 37-38

Mondialisation et crise : extrait de &42 page 40

Questionnaire ci-dessus

Chapitre 4 : Trois idées forces :
La solidarité
L’éthique en économie
L’environnement

La solidarité : extrait de &44 page 44

L’éthique en économie : extrait de &45 page 46

L’environnement : extraits de &48-50-51 pages 47-49

Questionnaire ci-dessus

Chapitre 5 : Six idées forces
Isolement et développement
Religion(s) et raison
L’aide au développement et à l’éducation
Coopération internationale et migrations
Finance internationale
Réformer l’ONU

Ce chapitre peut être parcouru en deux séances

Isolement et développement : extraits de &53-54 pages 52-53

Religion(s) et raison : extraits de &55-56 pages 54-56

L’aide au développement et à l’éducation : extraits de &58 et 61 pages 56-58

Coopération internationale et migrations : extrait de &62 page 59

La finance internationale : extrait de &65 page 60

Réformer l’ONU : extrait de &67 page 63

Questionnaire ci-dessus

Chapitre 6 :Quatre idées forces
Technique et liberté
Les médias
La bioéthique
Le bien-être émotionnel

Technique et liberté : extraits de &68-69-70-71 pages 66-68

Les médias : extrait de &73 page 69

La bioéthique : extraits de 74-75 pages 70-71

Le bien-être émotionnel : extraits de 76-77 pages 72-73

Questionnaire ci-dessus

Conclusion : Une idée force :
Sans Dieu où va-t-on ?

Sans Dieu où va-t-on ? extrait de 78 page 75

II Avec quelle disposition d’esprit s’engager dans cette lecture de l’Encyclique ?

a) On peut comprendre… à son niveau…

On peut agir… à son niveau…

Le propre des « messianismes de substitution » selon Benoît XVI, des « idéologies » selon Paul VI dans Octagesimo Adveniens, c’est que les questions politiques, économiques et sociales sont très complexes et que seuls des experts (idéologie libérale), des conscientisés (idéologie marxiste) y comprennent quelque chose. La masse doit faire confiance aux experts ou aux conscientisés. C’est le TINA de Margaret Thatcher (‘There is no alternative’).

Or tout le monde, mais à son niveau, peut y comprendre quelque chose et agir en conséquence, modestement certes mais en ‘communion’, en synergie avec d’autres et trouver goût ainsi à l’action politique et sociale…

b)… car l’essentiel est spirituel.

Il y a un combat spirituel, et un seul, qui me traverse, traverse l’Eglise et traverse le monde. Qui traverse ce qui me plaît et ce qui m’irrite en moi, dans l’Eglise et dans le monde. Le propre des « messianismes de substitution » c’est de frontaliser, d’externaliser le mal en me mettant et en mettant les gens de mon ‘parti’ dans le camp du bien et mes ‘adversaires’ dans le camp du mal. C’est le pharisaïsme !

Il y a donc unité de vie entre mon travail de conversion personnelle, mon action dans l’Eglise et mon action dans le monde. Le combat spirituel se joue à trois, l’Esprit saint, l’esprit du monde (qui tous deux travaillent et moi et l’Eglise et le monde) et moi qui reste libre d’opter pour l’un ou pour l’autre.

Or le fruit de l’Esprit se discerne dans le ton du discours et de l’action selon Ga 5 22 c’est ‘l’amour, la paix, la joie, la patience, etc.’. Certes ‘Heureux les doux’ (Mt 5), cela ne veut pas dire heureux les mous. Mais cela signale l’ouverture permanente du cœur à un combat dans lequel nous sommes immergés, dont nous sommes les arbitres mais où nous ne vainquons que dans l’humilité et l’aptitude permanente à nous convertir, à nous remettre en cause.

Pour Benoît XVI le ‘fil rouge’ de ce combat spirituel c’est ‘l’amour’
- qui inclut et dépasse la ‘justice’,
- qui dynamise la recherche de la vérité
- qui s’exprime dans ‘l’étonnante expérience du don’ (CIV &34).

c) Il y a plus de joie à se battre
que dans les résultats de ce combat

Comme le combat spirituel est permanent et jamais gagné (jusqu’à la Parousie exclusivement !) le résultat de mon action politique sera toujours précaire et difficile à discerner. Mais il y a plus de joie à lancer le filet qu’à le relever plein ou vide… (Lc 5).

Formons le vœu que ce parcours initie le désir de lire toute l’Encyclique

Arnaud de VAUJUAS
le 11 Janvier 2011

samedi 5 février 2011

Questions à l’Église
devant l’évolution du cheminement des couples aujourd’hui
Avoir les idées claires pour avoir le cœur large.

(à la Pastorale Familiale de Dax le 5 Février 2011)

Nous sommes passés, dans le dernier tiers du siècle dernier, vingtième du nom, d’une société de subsistance et de proximité de contrainte, à une société de prospérité (relativement à ce qu’on connaissait avant 1960) et de grande mobilité. Cela a entrainé le passage d’une société de contrainte idéologique (qu’elle soit, en France, catholique, communiste, laïcarde-franc-maçonne, protestante, juive ou musulmane) à une société libérale, relativiste, individualiste où chacun doit trouver son propre chemin, en amour comme sur le plan professionnel, politique, religieux, etc…

Nous sommes passés d’une société de crustacés dont la structure est extérieure, à la recherche tâtonnante d’une société de vertébrés, où la structure est intérieure par la métabolisation intime de valeurs reconnues et assumées personnellement. Il est inéluctable que ce travail d’intériorisation soit plus ou moins du bricolage, tant sur le plan des personnes que sur le plan sociétal. Il est inéluctable que nous passions par le stade de mollusques, sans structure, pour passer de l’état de crustacés à l’état de vertébrés.

Que peut faire l’Église dans cette situation, pour rester elle-même et transmettre l’Évangile ?

I Éviter la nostalgie

Nostalgie, nostalgie tu nous guettes ! Non seulement les sexagénaires et plus, mais aussi les plus jeunes, par ouï-dire, se souviennent de la France des années cinquante du siècle dernier. Pas d’union maritale hors mariage ou si peu ! Pas de divorce ou si peu ! Donc pas de familles recomposées, ou si peu, avec leur aller et retour des enfants d’un foyer à l’autre ! Pas de naissance hors mariage, ou si peu. Pas d’homosexualité affichée, ou si peu. Pas de revendication de mariage homosexuel, pas du tout ! Pas de revendication d’homoparentalité, pas du tout ! Période idyllique pourrait-on penser !

Régnait en maître le mariage, union stable entre un homme et une femme publiquement déclarée et célébrée, seul modèle social pour vivre l’affectivité et la sexualité humaines. Les exceptions se cantonnaient quelque part entre l’originalité, au mieux, la honte et l’infamie, le plus souvent.

Mais que nous était-il donc arrivé ? Les habitants d’Europe Occidentale et d’Amérique du Nord étaient-ils donc subitement devenus vicieux, jouisseurs, irresponsables par on ne sait quel sortilège diabolique subit ? Poser la question en ces termes c’est déjà prendre quelque recul avec le mythe simpliste de la décadence qu’impliquerait la réponse positive à une telle question…

Non ça n’est pas si simple ! Il faut y regarder de plus près. Et d’abord exorciser de nous, de notre tête et de notre cœur, les réactions apparemment affectives, en fait mégalomaniaques, qui nous poussent à aimer ou à ne pas aimer notre époque. Quand je suis arrivé comme curé à Talence, où je suis actuellement, un prêtre à la retraite qui m’y attendait m’a écrit : « Ce sera pour toi la plus belle paroisse du monde puisque c’est la paroisse que le Seigneur te donne ». Eh bien il en est de même pour la période que nous vivons. La période que nous vivons est la plus belle période de l’histoire puisque c’est celle que le Seigneur, amoureusement, nous donne à vivre. D’ailleurs nous n’en avons pas d’autres, ce qui montre qu’il est mégalomaniaque de vouloir aimer ou ne pas aimer ce que nous n’avons pas à choisir ! Nous avons à découvrir dans notre époque des merveilles qu’on ne pouvait pas découvrir avant et qu’on ne pourra plus jamais découvrir après, même s’il est vrai aussi qu’on y vit des épreuves qu’on ne vivait pas avant et qu’on ne vivra plus après !. C’est l’amour de notre époque, donc, comme don de Dieu, qui nous pousse à essayer de la comprendre et d’en comprendre la genèse.

II Des fins (institutionnelles) du mariage
aux biens (personnels) des époux.

L’Église a l’odorat fin. Rien n’est plus faux que de dire qu’elle est ringarde et dépassée. Encore faut-il l’écouter en sachant que ce n’est pas France-Soir et autres médias qui sont ses organes officiels ! Depuis le Concile Vatican II, elle a réorienté son enseignement sur le mariage. Dans la Constitution Gaudium et Spes, puis dans l’Encyclique Humanae Vitae et dans l’Exhortation Apostolique Familiaris Consortio on tait, sans le renier, l’enseignement antérieur focalisé sur l’institution sociale du mariage et ses fins (procréation, remède à la concupiscence, aide mutuelle des époux) pour valoriser et enseigner l’amour conjugal et ses biens (union et procréation).

On passe de la théologie de l’œuvre (opus operis), de l’institution du mariage, à la théologie des acteurs, des époux (opus operantis).

Dans une société stable, pré moderne, l’institution va de soi et on en dessine la finalité sociale. Dans une société moderne le sujet surgit face voire contre ce qui jusque là en était le terrain nourricier, la société. Celle-ci est alors sommée d’être au service du bien des personnes. L’attention se tourne alors vers l’accomplissement et l’épanouissement des acteurs.

Dans les sociétés pré modernes on s’aime parce qu’on est mariés, ce qui ne relève pas du libre choix des personnes, ou si peu ! Dans les sociétés modernes on se marie parce qu’on s’aime. Révolution copernicienne !

Ce n’est pas que dans l’enseignement relatif au mariage qu’un tel changement de perspective s’opère. Dans la question, oh combien sensible pour nos amis traditionalistes, de la liberté religieuse, on passe de l’affirmation de la vérité sociale du christianisme, formalisée par la théorie de l’ État catholique, à l’attention aux personnes dans leur cheminement vers la vérité : « La vérité ne s’impose que par la force de la vérité qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance » (DH 2)

Ce n’est pas une mince affaire que d’accompagner ce changement de perspective. Dans les diocèses, les paroisses, se met alors en place une préparation au mariage. Préparation immédiate où, reprenant les trois caractéristiques augustinienne du mariage, fidélité, fécondité, indissolubilité, les fiancés sont appelés à rédiger une déclaration d’intention les incitant à s’engager personnellement, librement dans ce qui autrefois leur était, plus ou moins consciemment, imposé par la société et sa culture dominante. Préparation distale par l’éducation affective et sexuelle que des organismes comme le CLER proposent aux adolescents et aux jeunes. Accompagnement après le mariage dans des mouvements comme les Equipes Notre-Dame…

On tâche de faire prendre conscience aux fidèles que, pour que l’amour humain soit plénier et à la hauteur de leur dignité, ils doivent en recevoir le don de Dieu même. On tâche de leur faire saisir que, en exprimant publiquement leur amour dans le don l’un à l’autre, total et définitif, couronné par le désir que leur soient donnés des enfants, ils sont conformés, configurés à Dieu même qui se donne radicalement, définitivement à l’humanité dans le Christ, époux de l’Eglise.

Petit à petit, non sans crises et sans difficultés certes, le mariage apparaît comme un engagement personnel, une attestation publique que l’homme n’est pas le jouet passif de pulsions anonymes et incontrôlables, mais le bénéficiaire d’un don qui lui fait découvrir ce qu’il est en le conformant à son propre créateur.

Depuis un quart de siècle que je suis prêtre, je puis attester une lente mais puissante évolution de la disposition d’esprit des fiancés que je prépare au mariage en collaboration avec des laïcs. Il y a un quart de siècle bien des fiancés étaient ambivalents dans leurs motivations. Ils se sentaient appelés à un geste que pourtant ils trouvaient ringard. Mais pourtant ils étaient fascinés par lui. Ils se sentaient l’objet d’une pression sociale et pourtant, au bout du compte ils y consentaient.

Aujourd’hui ils se présentent habités par une aventure intérieure mystérieuse, cherchant des mots, une grammaire pour en saisir le sens, l’accueillir, y consentir, l’amplifier. Oui ! on passe vraiment de la posture d’héritiers plus ou moins vindicatifs par rapport à leur héritage à la posture d’inventeurs d’un trésor, de découvreurs d’un mystère caché, de défricheurs d’une aventure fascinante…

III Vivre l’Espérance dans l’espoir
de la progression des personnes

Cette posture nouvelle nous permet d’accueillir sans complaisance certes, mais surtout sans lamentation, les multiples pauvretés, misères, blessures provoquées par notre société sans repère issue de la formidable mutation de la fin du siècle dernier. Oui ! nos fiancés sont, pour la plupart, ignares sur le pan catéchétique. Oui ! ils n’en sont pas, pour beaucoup à la découverte de la vie affective et sexuelle. Oui ! ils sont marqués par la précarité familiale et professionnelle dans laquelle se débat notre société. Oui ! la constance, la persévérance dans l’engagement religieux leur paraît soupçonnable tant ils ont peur du phénomène de secte, de clan, d’enfermement. Mais ils ont soif et demandent un accueil vrai et profond. Ils tâtonnent mais beaucoup cherchent… Ils demandent que leur liberté soit respectée mais ils devinent et expérimentent qu’elle ne peut se déployer que dans un engagement radical respectant l’unicité de chacun…

a) Pour ceux qui ne peuvent pas se marier

Sur un autre plan, c’est avec eux que nous apprenons cette posture d’inventeurs, de découvreurs, de défricheurs qui nous permet, non sans tâtonnements, de chercher comment, aussi, vivre avec justesse et vérité, une vie chrétienne alors qu’on est confronté à l’échec conjugal, aux blessures affectives et sexuelles. Là aussi c’est un long et douloureux chemin que de passer d’une posture vindicative d’un ‘droit à communier’ indifférencié quelle que soit la situation de chacun donc aussi quand on est divorcé-remarié, à la posture d’un accueil inventif de soi-même et de l’amour inconditionnel de Dieu alors qu’on est en situation de ne pas pouvoir être le signe public de Sa fidélité sans faille.

Il y a de la place pour tout le monde dans l’Église mais pas la même place pour tout le monde. Certains peuvent vivre la stabilité affective et sexuelle. Ils n’ont aucun mérite à cela. On connaît la fragilité, la délicatesse, la vulnérabilité de l’équilibre psychologique de chacun en matière affective et sexuelle. Que ceux qui vivent la stabilité affective et sexuelle sachent qu’ils sont les bénéficiaires de multiples dons venant de leur éducation, de leur tempérament personnel, de la chance qu’ils ont eue d’éviter de graves blessures personnelles, bref de multiples dons venant de Dieu et des hommes. Qu’ils redoublent donc d’humilité et ne s’attribuent en rien le mérite de leur vertu. Que la vive conscience de leur fragilité soit le rempart préservant le don qui leur est fait. Ils sont les hérauts de la fidélité conjugale de l’Éternel pour son peuple, du Christ pour son Église. Qu’ils en soient confus et non pas fiers. Je pense que le pharisaïsme plus ou moins rampant des « personnes en situation régulière » est cause de grandes souffrances pour ceux qui ne le sont pas et source de rébellion de leur part quant à leur mission dans l’Église.

Car les personnes qui ne sont pas en situation de manifester dans leur vie la fidélité conjugale sans faille de l’Éternel avec son peuple, du Christ avec l’Église ont une mission importante dans l’Église, très importante, à honorer pleinement. L’Église leur demande de « ne pas désespérer de leur salut ». Arrêtons-nous sur deux termes de cette expression.

« Ne pas désespérer… ». C’est un double négatif, c’est-à-dire une affirmation renforcée. On pourrait traduire par sur-espérer. Oui la voie sacramentelle est la voie ordinaire du salut (je reviendrai sur ce terme). Elle n’est en rien la voie exclusive du salut. C’est très important à considérer à l’époque où de nombreux « hommes de bonne volonté » peinent à reconnaître l’Église comme « lieu de vérité et liberté » comme dit une des prières eucharistiques.

Les sacrements sont un service, un humble service, « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ». C’est ce que répond l’Assemblée au prêtre quand il dit : « Prions ensemble au moment d’offrir le Sacrifice de toute l’Église ». Les fidèles répondent « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ». Ils ne répondent pas « pour notre salut personnel » ! Les sacrements, au-delà de l’Eucharistie seulement, sont « pour la gloire de Dieu et le salut du monde » et non pas d’abord pour le salut de ceux qui les célèbrent !

Cela on le comprend bien pour le sacrement de l’Ordre. On comprend bien que les prêtres ne sont pas prêtres pour leur propre salut d’abord mais pour le service de la communauté et, de proche en proche, pour le monde entier. Même si, mais de façon seconde, c’est aussi une voie de salut pour eux. Éh bien il en est de même pour les six autres sacrements et pour l’Église toute entière sacrement…

Nous avons donc besoin que les chrétiens qui ne sont pas en situation de vivre dans le mariage et dans l’Eucharistie rappellent à ceux qui sont en situation de le vivre qu’ils sont au service « de la gloire de Dieu et du salut du monde » et non pas d’abord à leur propre service…

« … de leur salut ».Ce à quoi l’Église demande de ne pas désespérer, c’est de leur salut. Cessons de considérer le salut comme un sauvetage, comme la réussite à l’examen de passage final que serait le Jugement Dernier. C’est terriblement angoissant comme perspective de réduire le salut à cela. Non le salut est le développement des dons que le Seigneur nous a donnés jusqu’à leur divinisation et la divinisation de notre personne et du monde entier. Les divorcés-remariés sont donc invités à « sur-espérer » en l’épanouissement de leur capacité affective et sexuelle jusqu’à leur divinisation, comme pour tout le monde.

Il est donc très important pour que l’Église toute entière se situe avec justesse dans son humble service sacramentel « pour la gloire de Dieu et le salut du monde » que les chrétiens qui ne vivent pas dans l’économie sacramentelle, dans la voie ordinaire du salut, vivent eux aussi avec justesse, avec joie, avec ‘sur-espérance’ la mission qui leur est donnée. Ce décentrement de tous les fidèles de leur propre service personnel est terriblement important !

Je sens bien que c’est à un renversement copernicien que j’appelle. Le christianisme occidental, après Luther, et bien au-delà du protestantisme proprement dit, est taraudé de façon malsaine par le salut compris comme évitement de la damnation éternelle. En témoigne la longue querelle du jansénisme et de ses avatars jusque tard dans le 20ème siècle.

Le fait que nous soyons passés depuis cinquante ans d’un extrême à l’autre, qu’aujourd’hui nous ayons une religion baba-cool où tout le monde il est beau tout le monde il est gentil occulte la question mais ne la résous pas ! La voie à chercher est celle où tout le monde, selon le don qui lui est fait, aura comme objectif « la gloire de Dieu et le salut du monde » et non pas sa petite angoisse à honorer ou à nier, peu importe. Alors nous pourrons vraiment être sauvés, épanouis, vraiment gratuitement, par Celui dont nous aurons cherché d’abord la Gloire et non pas par notre petite peur avouée ou niée, peu importe.

b) Pour ceux qui sont paralysés devant l’engagement

Passer de l’état de crustacés à l’état de vertébrés présente, je l’ai dit, le risque de rester, dans cette mue, à l’état de mollusques. Bien des personnes vivent leur vie maritale sans engagement ou avec un ‘engagement’ permettant la répudiation unilatérale comme le PACS.

Il y a un combat spirituel, et un seul, et il passe et à travers moi, et à travers l’Église et à travers le monde. Le grand risque, pharisien, est de frontaliser le combat spirituel (alors que le combat spirituel est saggital) de nous mettre dans le camp des bons et les ‘autres’ dans le camp du mal.

La présence, délicate et fraternelle, de chacun au combat spirituel de ses frères éclaire son propre combat spirituel. Être présent, entendre le manque de goût, la peur de l’engagement, la retenue, voire la restriction spirituelle de ceux qui ne se marient pas alors qu’il le pourrait nous renvoie à nos propres peurs, angoisses, restrictions dans notre propre engagement. Comment donner le goût de l’engagement sans creuser en nous la joie de l’abandon, sans méditer d’abord pour nous la Parole de Jésus : « Qui accepte de perdre sa vie pour moi, la sauvera, qui veut garder sa vie pour lui la perdra » (Mt 10 39)

Le danger que s’érode en nous cette dynamique, proprement pascale, de se perdre pour recevoir la vie nous concerne tous. Un vaste travail de réflexion et de conversion est à faire.

Nous sommes donc, tous, pasteurs et peuple, à devoir découvrir à nouveaux frais, les merveilles de l’amour humain dans un monde confus et blessant pour les personnes. Les crises et difficultés de notre époque rendent de plus en plus urgent que nous allions résolument au cœur de la foi.

Arnaud de VAUJUAS,
le 5 Février 2011

Les blessés de la sexualité
dans le mystère de l’Eglise.

(aux frères carmes du Broussey le 12 Octobre 2010)

« Les prostituées et les publicains arrivent avant vous dans le Royaume des cieux » (Mt 21 31). C’est à la lumière de cette parole audacieuse de Jésus qu’il nous faut réfléchir à la place dans le mystère de l’Eglise de ceux qui, de manière particulière, sont blessés dans leur aptitude affective et sexuelle. Je veux parler des personnes ayant un vécu prégnant d’homosexualité ou de pédophilie.

Nous ne sommes ni des psychothérapeutes ni des gardiens de l'ordre moral. Nous nous situons dans une perspective pastorale. Notre ‘job’, si j’ose dire, c’est d’aider les personnes dans leur combat spirituel, combat spirituel dans le quel nous sommes saisis nous-mêmes. Nous sommes donc et face à elles pour les introduire et les soutenir dans l’exigente miséricorde du Seigneur ; et avec elles dans le combat spirituel que nous menons nous aussi. C'est dire qu'il faut nous départir d'emblée de toute attitude de pitié. Selon nous tout combat spirituel est fécond dans la communion des saints, dans le mystère de l'Église. Dans le combat spirituel que tous ont à mener, Dieu demande à chacun rien de moins que tout et il donne à chacun la douce grâce pour y arriver...

I Situer des personnes dans un devenir

a) Des comportements auxquels on ne peut laisser les personnes se réduire.

C’est volontairement que je parle avec une périphrase lourde des ‘personnes ayant un vécu prégnant’ que ce soit d’homosexualité ou de pédophilie. Je veux par là me démarquer de la qualification que trop souvent, surtout en matière d’homosexualité, on attribut aux personnes elles-mêmes. Ce n’est que par un raccourci de langage, dont il ne faudrait pas que nous soyons dupes, que l’on peut parler de personnes homosexuelles. Au sens strict du terme il n’y a que des actes, ou à la rigueur un vécu subjectif, qui peuvent être qualifiés d’homosexuels.

Je rejoins, disant cela, Jean-Claude GUILLEBAUD, dans son livre "La tyrannie du Plaisir" Seuil 1998 pages 331-335 qu'il nous faut citer ici:

"L'homosexualité fonderait-elle, à elle seule, une identité ? Question absurde pour un ancien Grec. Comme on le sait, la pensée grecque ne condamnait pas les pratiques homosexuelles. En revanche, l'absolutisation d'une telle préférence lui était totalement étrangère. A Athènes, il pouvait y avoir des pratiques librement acceptées, il n'existait pas d'homosexualité en tant que telle, c'est-à-dire définitive, exclusive, estampillée.

" "Les Grecs, écrit Foucault, n'opposaient pas, comme deux choix exclusifs, comme deux types de comportements radicalement diffférents, l'amour de son propre sexe et celui de l'autre. Les lignes de partage ne suivaient pas une telle frontière. Ce qui opposait un homme tempérant et maître de lui-même à celui qui s'adonnait aux plaisirs était, du point de vue de la morale, beaucoup plus important que ce qui distinguait entre elles les catégories de plaisirs auxquelles on pouvait se consacrer le plus volontiers. Avoir des moeurs relâchées, c'était ne savoir résister ni aux femmes ni aux garçons, sans que ceci soit plus grave que cela. [...] On peut parler de leur "bisexualité" en pensant au libre choix qu'ils se donnaient entre les deux sexes, mais cette possibilité n'était pas pour eux référée à une structure double, ambivalente et "bisexuelle" du désir. A leurs yeux, ce qui faisait qu'on pouvait désirer un homme ou une femme, c'était tout uniment l'appétit que la nature avait implanté dans le coeur de l'homme pour ceux qui sont "beaux" quel que soit leur sexe"

"Les revendications identitaires d'aujourd'hui seraient, pour un Athénien, littéralement incompréhensibles. Revendique-t-on sans y être contraint un statut qui, une fois obtenu, vous enfermera dans l'étroitesse d'un véritable état civil ? Réclame-t-on le « droit » de se voir désigné et identifié à travers ses seules inclinations amoureuses ? Un homme se résume-t-il à sa sexualité ? Une telle catégorisation paraîtrait non seulement absurde à un contemporain de Plutarque mais choquante quand elle est réclamée par les intéressés eux-mêmes. Ne revient-elle pas à céder de son plein gré aux injonctions du censeur ? N'invite-t-elle pas chacun à placer lui-même un triangle rose sur sa poitrine ? Les Grecs n'étaient pas les seuls à écarter de telles éventualités. Au Moyen Age, il eût paru inacceptable à un voluptueux pratiquant, à l'occasion, la bougrerie d'être catalogué une fois pour toutes comme bougre. Plus tard, un Louis XIII tenté un moment par le sémillant Cinq-Mars (de son vrai nom Henri d'Effiat), un prince de Conti, un Gaston d'Orléans ou un prince de Guéménée, tous sensibles à la séduction des jeunes gens, n'eussent pas accepté d'être définis comme des sodomites appartenant à une communauté du même nom.

"On devrait garder en mémoire un détail chronologique : c'est précisément au XIXe siècle, époque d'apothéose pour le puritanisme bourgeois et le scientisme le plus normatif, que fut "inventée" l'homosexualité en tant que catégorie. Ce n'est pas par hasard. Foucault, encore lui, avait bien repéré cette concomitance et souligné les périls qu'elle annonçait. « La sodomie - celle des anciens droits, civil ou canonique - était un type d'actes interdits ; leur auteur n'en était que le sujet juridique. L'homosexuel du XIXe est devenu un personnage : un passé, une histoire et une enfance, un caractère, une forme de vie ; une morphologie aussi, avec une anatomie indiscrète et peut-être une physiologie mystérieuse. Rien de ce qu'il est au total n'échappe à sa sexualité. [...] Le sodomite était un relaps, l'homosexuel est maintenant une espèce »

"Ce n'est donc pas seulement la culture du ghetto, qu'il faut mettre en cause, c'est cette aliénante catégorisation du désir, cet empressement à énoncer une définition qu'on opposera ensuite aux oppressions supposées en provenance du dehors. Ce fétichisme identitaire, il est vrai, demeure beaucoup plus vif dans le monde anglo-saxon qu'en Europe. Une récente péripétie scientifique a permis de le vérifier. Au début des années 90, la tendance culturaliste et différentialiste de la communauté gaie américaine a conduit une bonne partie de ses membres à accueillir plutôt favorablement l'hypothèse passablement farfelue (et démentie depuis) d'un « gène homosexuel » - le Xq28 -, hypothèse avancée par le docteur Dean Hammer, de l'Institut national du cancer, à Washington.

"Pour ce chercheur, l'homosexualité trouverait son origine dans une particularité génétique présente dès la naissance. Dans son esprit, la découverte de ce marquage biologique était providentielle puisqu'elle venait oindre les gais d'une imparable légitimité, fondée à la fois sur la science et sur un statut de victime. Si les homosexuels sont génétiquement différents, répétait-on outre-Atlantique, cela veut dire qu'ils ne sont pas responsables, ni eux ni leurs parents. On ne saurait donc leur reprocher la nature de leurs désirs, pas plus qu'on ne peut obliger quiconque à répondre de la couleur de sa peau. Le prétendu gène homosexuel permettait aux gais américains d'accéder scientifiquement au « privilège minoritaire », fort gratifiant en Amérique. Cela rendait d'autant plus légitime, ajoutait-on, leur volonté d'afficher leur différence et d'en faire un motif de fierté.

"En France, au contraire, les hypothèses de Dean Hammer ont aussitôt paru effrayantes à la plupart des homosexuels. Il y avait de quoi. Dans leur grande majorité, ces derniers ont très mal réagi à une théorie génétique qu'ils ont assimilée aux délires eugéniques des nazis. Une telle réaction montre qu'en France le communautarisme continue de se heurter à un fond anthropologique et culturel, imprégné d'universalisme. A la différence des Anglo-Saxons, nous n'obéissons pas d'instinct à un réflexe de classification catégorielle, pas plus que nous ne cédons à une inclination spontanée pour la différence. Mais cela ne veut pas dire que nous soyons à l'abri d'une telle dérive. La tentation communautariste, comme on le sait, progresse dans nos pays latins, que ce soit à propos de l'homosexualité, en matière de religion, d'ethnie, de langue, etc.

"Ces discussions, décidément, ne sont pas anecdotiques...

[...}

"Il n'est pas inutile, parfois, de reprendre les choses à leur début. En fin de compte, à quelle intention fondatrice obéissait la libéralisation des moeurs ? Au souci d'élargir au maximum le champ des libertés individuelles. A supposer que cela fût souhaitable, restait à se demander de quelle manière cette liberté serait la mieux assurée pour ce qui concerne l'homosexualité. Par la différence revendiquée ou par l'indifférence reconquise ? Par le regroupement tribal ou la fantaisie de chacun. On reconnaîtra aux adversaires du communautarisme le mérite d'avoir placé la question sur le bon terrain.

"Risquons une hypothèse : c'est parce qu'elle refusait toute idée de maîtrise personnelle des désirs, parce qu'elle s'interdisait de voir dans cet empire sur soi-même, comme les Grecs, le seul vrai critère transcendant les préférences, que la modernité en est venue à catégoriser ces mêmes préférences. Il ne restait plus que cela pour classifier les hommes ; une prétendue nature - homo, hétéro, bi, etc. - substituée aux classifications de jadis, qui avaient partie liée avec la volonté. Depuis une trentaine d'années, pour la vulgate permissive, l'effusion sans limites, l'assouvissement éperdu constituaient la seule valeur positive. Celui qui jouissait sans entrave était moderne; celui qui se défiait du « tyran Éros » ou demeurait fidèle à quelques convictions était archaïque. Dorénavant, on ne serait plus répertorié comme chaste ou libertin, maître de soi ou soumis à ses pulsions, volontariste ou jouisseur, ascète ou débauché, etc. On ne pouvait l'être que par les particularités régionales de son désir.

"Il y avait là un tour de passe-passe sans doute moins libérateur qu'on ne l'imaginait. En échange de cette licence nouvelle, il était tacitement admis en effet que nul n'échapperait plus à la spécificité de son plaisir. Il était même convenu que ce n'était pas souhaitable. Quiconque aurait cédé à une inclination amoureuse - homosexuelle ou autre - se trouverait sommé de se reconnaître en elle et d'en accepter le statut. Une sommation sans guère d'échappatoire. Qu'il la rejette, et il lui serait reproché d'être honteux de soi-même ou de manquer de courage ; qu'il s'y rallie, et la communauté des semblables serait aussitôt là pour le défendre... et l'absorber. Terrible alternative, quand on y réfléchit bien. Et pourtant. Combien de variations littéraires ne furent-elles pas publiées sur ce thème obsessionnel de l'acceptation ? Combien de professions de foi auront brodé sur l'idée d'une « victoire remportée sur la honte » ou d'une « vérité » qu'on a eu le courage de « regarder en face ». J'ai enfin pu m'accepter comme homosexuel, etc.

"On ne s'est pas beaucoup demandé si la liberté y gagnait réellement au change. On n'a pas vu qu'un émiettement aussi tranché - et public - des désirs risquait de devenir tout simplement totalitaire...

b) Les acquis mal compris des sciences humaines

C’est la mauvaises compréhension des sciences humaines, psychologie et sociologie, dans notre culture qui, pourrait-on dire, fait refluer la phénoménologie sur l’ontologie ou plutôt qui tend à rendre caduque un point de vue ontologique. Que les sciences humaines montrent la grande prégnance des comportements homosexuels habituels sur la subjectivité des personnes c’est légitime et pertinent dans l’ordre de connaissance que développent ces sciences humaines. Car il est vrai que les pulsions homosexuelles sont parfois si intenses, si exclusives, si archaïquement ancrées dans le développement psychologique des personnes que l’on peut parler, mais d’un point de vue psychologique seulement, de structure homosexuelle. Et il est vrai que, sociologiquement, ce vécu subjectif tend à ce que certaines personnes (pas toutes) ayant un vécu prégnant d’homosexualité se regroupent en milieu homogène (pouvant tourner au ghetto, mais pas toujours), ce qui renforce leur sentiment d’appartenir à une essence, à une nature sexuelle particulière.

Mais le vécu subjectif d’une personne ne peut pas, à lui seul, la définir. Nul ne s’appartient au point que seul le regard qu’il a sur lui-même serait pertinent pour le qualifier. C’est un décentrement de soi-même élémentaire que de consentir à dépendre, pour la conscience qu’on a de soi-même, d’autrui, de la culture qui nous façonne, de la société à laquelle on appartient et ultimement de Dieu son créateur. Que ce décentrement de soi-même soit parfois vécu comme une blessure narcissique aigüe c’est vrai, particulièrement en matière de sexualité. Mais cela ne rend pas caduque pour autant l’exigence élémentaire de ne pas faire de soi-même la seule et unique source de la compréhension qu’on a de soi-même.

Car si intense que soit le vécu des homosexuels, ils n’en restent pas moins sexués, hommes ou femmes. Et il n’en reste pas moins vrai que leur sexualité est la trace, en leur chair, de l’ouverture à l’autre, dont l’autre du sexe opposé est le symbole et le ministre naturel. De cela nulle subjectivité ne peut décider que cela n’est pas, sauf à outrepasser les limites de la raison.

Pour accompagner et avoir accompagné un assez grand nombre d’homosexuels je peux me risquer à dire qu’à intensité de vécu homosexuel subjectif comparable, certains comprennent cela et d’autres non. Or ceux qui font le plus de bruit socialement, surtout lors des premières années de l’épidémie du SIDA, ce sont ceux qui sont le plus revendicatifs quant à leur droit à se définir eux-mêmes en fonction exclusivement de leurs affects subjectifs. Mais l’expérience élémentaire montrent qu’ils ne sont pas représentaitifs de tous ceux qui ont un vécu prégnant d’homosexualité.

Le « droit » à se définir seulement en fonction de son vécu subjectif a débouché logiquement sur le phénomène du transexualisme. Etre transexuel c’est revendiquer d’opter pour l’autre sexe si, subjectivement, on se sent y appartenir. Et c’est demander à la médecine, à la justice et aux services d’état civil d’optempérer.

Dire aux personnes marquées par un lourd vécu d’homosexualité qu’elles ne s’appartiennent pas exclusivement c’est une première libération à leur proposer. Certaines vivent cette invitation à l’ouverture avec reconnaissance, d’autres résistent parfois avec véhémence nous accusant d’homophobie. Nous sommes chargés de le leur dire, le plus délicatement possible certes. Mais nous ne sommes pas chargés de le leur faire croire !

c) Conduite à tenir pastorale

Les documents magistériels tels Persona Humana (Congrégation pour la Doctrine de la Foi 29 Décembre 1975), le Catéchisme de l’Eglise Catholique (§ 2357- § 2359), le Catéchisme des Evêques de France (§ 607), la Lettre aux évêques de la Congrégation pour la Doctrine de le Foi du 1er Octobre 1986 au sujet de la pastorale à l’égard des personnes homosexuelles me semblent unamines sur trois points :

1) il s’agit d’une « matière grave » objectivement, c’est-à-dire blessant gravement l’aptitude affective et sexuelle des personnes quelle que soit leur culpabilité objective (c’est-à-dire l’imputation possible de ces actes à leur volonté libre) ou subjective (c’est-à-dire leur sentiment de culpabilité) ;

2) il arrive souvent que le consentement éclairé, (c’est-à-dire ou l’accord de la conscience avec la loi morale objective, ou la liberté d’agir, ou les deux) soit obéré de telle façon que la faute objectivement grave peut n’être qu’un péché véniel (CEC § 1862)

3) on ne peut pas inférer de cette fréquence de l’atténuation de la responsabilité pour généraliser et présumer, avant examen concret de chaque cas, notamment dans l’enseignement public de la morale, que les personnes s’adonnant à ces actes sont toutes irresponsables. C'est la responsabilité, c'est-à-dire ce qui est normal, qui doit être présumée. La charge de la preuve doit donc revenir à l'irresponsabilité et non à la responsabilité morale. Le danger d’atteindre la dignité des personnes en les présumant irresponsables peut l’emporter sur le danger de les culpabiliser à tort. Ceci dit le plus souvent la responsabilité est atténuée et non pas ou totalement entière (pardon pour le pléonasme !) ou totalement exténuée.

Dans la pratique les pasteurs et théologiens doivent promouvoir trois attitudes :

1) la nécessité de parler de ces difficultés, bien sûr sous le sceau du secret, à des conseillers habilités : confesseurs, conseillers spirituels, psychologues avertis si le retentissement psychologique est lourd . Cette parole aux confesseurs ou aux thérapeutes, à la rigueur à de rares amis avertis, n'a donc rien à voir avec l'outing public et fanfaron. En ce sens l’impératif du Concile de Trente de parler de tous les péchés mortels commis est sain anthropologiquement ;

2) le doute sur la responsabilité réelle, si la conscience est plus ou moins en désaccord avec l'enseignement de l'Église et/ou si sa liberté est obérée, peut rester sans que cela ne soit une excuse pour ne pas parler. On doit donc avouer en confession ses actes à matière grave même si on a des doutes sur l'accord de sa conscience et/ou sa liberté de les commettre (mais on doit aussi dire ces doutes sur ces points aux confesseurs) ; seul le Seigneur sonde les reins et les cœurs ; seul Il connaît la gravité réelle de nos péchés surtout en cette matière délicate ;

3) s’il y a « habitude », pour employer un langage traditionnel en morale, ou « complusivité » pour employer un langage psychologique, il faut déplacer la lutte morale de l’évitement de chaque acte, ce qui est généralement vain, à la libération de la liberté par l’ascèse, la prière, l’accompagnement spirituel, la psychothérapie si nécessaire.

II Fécondité de la souffrance et de la tentation pour l’Eglise

Etre lucide sur la gravité morale des blessures de la sexualité ne suffit pas. Encore faut-il accueillir pleinement nos frères affrontés à ces difficultés, loin de toute pitié ou marginalisation dans l’Eglise. Or la difficulté à tenir ensemble lucidité morale et accueil fraternel me semble venir de la difficulté à donner un sens fécond à la souffrance. En effet la tentation est une souffrance.

Cette question de la fécondité de la souffrance, longuement développée dans la Lettre Apostolique de Jean-Paul II du 11 Février 1984« Salvifici Doloris » a été occultée, ces dernières décennies, en réaction contre le dolorisme qui aurait prévalu à l'époque antérieure. Pour dire vite, car cette question de la fécondité de la souffrance dépasse le cadre de cette intervention, disons que le dolorisme considère la souffrance comme automatiquement féconde. La saine spiritualité de la souffrance féconde considère l’amour dans la souffrance comme seul fécond. La souffrance n’est alors considérée comme une occasion d’aimer. Mais c’est l’occasion qu’a vécue Jésus.

Toujours est-il que les souffrants, et parmi eux les personnes tentées dans leur équilibre sexuel, ont une fécondité possible pour l’Eglise et que leur responsabilité est grande de la déployer ou pas. Que cette fécondité soit aussi invisible aux yeux de la chair que la fécondité des contemplatifs renforce plutôt que dimininue cette fécondité.

Rien n’est inutile pour l’Eglise et il est urgent de redonner toute leur place à ceux qui, aux côtés de Jésus lui-même, sont tentés et luttent. Il est urgent de leur redonner cette fierté. Dieu, en Jésus tenté et en Jésus en Croix, est sur leur chemin, à leurs côtés dans la lutte. Et non pas seulement dans un toujours souhaitable bout du chemin, le jour où leurs diffiucltés exitentielles seraient vaincues.

Quant aux habitudes il faut les considérer comme jamais définitives et lutter contre elles comme je l’ai dit par la prière, l’ascèse, l’accompagnement spirituel et si nécessaire psychologique. Là aussi c’est la lutte qui est compagnonnage avec Jésus et non pas seulement quelque résultat prometteur. Ceci dit, ceux-ci, quand ils adviennent, sont bons à prendre comme toute consolation.

III La responsabilité sociale dans le cas de la pédophilie.

Un acte pédophile est un acte sexuel avec un enfant, c'est-à-dire imposé à cet enfant. Tout enfant, en effet, est incapable de donner son consentement éclairé à un tel acte. L'acte pédophile est donc équiparé à un viol tant sur le plan juridique que psychologique et moral.

Dans tous les pays, à ma connaissance, l'acte pédophile est un crime ou au moins un délit selon la gravité de l'outrage sexuel. Il est du devoir de tout citoyen de lutter contre les crimes.

Concrétement nous, pasteurs, pouvons avoir connaissance d'actes pédophiles par deux biais, le for interne ou le for externe.

a) au for interne

On appelle for interne le statut d'une confidence faite à un "confident nécessaire", parmi lesquels les ministres du culte. Ces confidences sont protégées par le secret professionnel. Nous pouvons recevoir des confidences relatives à des actes pédophiles soit par la victime de ces actes ou leur entourage proche comme les parents ou les camarades, soit par le coupable de ces actes.

Nous devons exhorter les victimes et leur entourage proche à dénoncer le crime (ou à ce niveau de notre connaissance des faits le crime seulement probable). Même si la justice des hommes n'a pas pour objet la thérapie des victimes, l'énoncé solennel du droit est de la plus haute importance pour la thérapie de ces victimes. Tout ce qui paraîtrait protection d'un criminel même seulement probable sous prétexte de son prestige ou de notre proximité institutionnelle avec lui serait désastreux pour la victime. Nous devons nous poser la question: 'Et s'il s'agissait d'un viol, et s'il s'agissait d'un homicide... comment agirais-je ?'.

De même nous devons, au for interne, exhorter le coupable qui se confierait à nous à se dénoncer surtout pour le bien du ou des victimes qui ont droit, je l'ai dit, pour se relever que le droit soit solennellement proclamé. Mais aussi les coupables pour se relever ont besoin que leur crime soit dit comme tel et socialement puni comme tel. Dans le sacrement de la Réconciliation nous pouvons, si nous le jugeons nécessaire, donner une absolution conditionnelle, sous réserve que le pécheur ait le ferme propos de se dénoncer.

b) au for externe

On appelle for externe le statut d'un acte connu hors de la confidence qu'en fait un des protagonistes. Au for externe nous sommes comme tout le monde! Nous devons dénoncer ou, si nous ne sommes pas sûrs, signaler les crimes connus de nous. Nous devons enseigner que la non-dénonciation de crime est un délit.

Conclusion

Belle, ce qui est appréhendable par la raison naturelle, bafouée par le péché qui n’est appréhendable que sous l’horizon du pardon révélé, la sexualité humaine peut être occasion d’action de grâce quelles que soient les circonstances. Dans la tentation apparaît la beauté redoublée du salut non seulement donné mais au don duquel on peut participer en étant associé au Sauveur.

Arnaud de VAUJUAS