samedi 22 octobre 2011

Quelle théologie pastorale de l’accompagnement des fiancés ?

(à l’Officialité Interprovinciale d’Aquitaine le 20 Octobre 2011)

 Comment la préparation et l’admission au mariage contribuent-t-elles à ce que les mariages célébrés soient de vrais mariages c’est-à-dire canoniquement valides ?

 Vaste question qui ne cesse de m’inquiéter, moi qui d’une part prépare et célèbre de nombreux mariages et qui d’autre part, pendant une vingtaine années, ai enseigné à Toulouse et à Bordeaux la théologie du Mariage, contribuant ainsi à former (et/ou à déformer) sur ce point de nombreux jeunes confrères.

 Notons tout d’abord, pour ne pas trop nous inquiéter, que nous sommes tenus à l’obligation de moyens et non pas à l’obligation de résultat tant sont complexes, plurielles et fluctuantes la situation culturelle et l’apparente disposition d’esprit des fiancés… Ce sera mon premier point : D’où partons-nous ? Quelle est la situation actuelle des fiancés ? Dans un deuxième point nous verrons les moyens que nous mettons en œuvre pour que les époux, ministres du sacrement, célèbrent un vrai mariage. Dans un troisième point nous verrons comment on pourrait mieux faire ?

  I La situation telle que je la vois…

Depuis un quart de siècle et plus que je suis prêtre, je puis attester une lente mais puissante évolution de la disposition d’esprit des fiancés que je prépare au mariage en collaboration avec des laïcs. Il y a un quart de siècle bien des fiancés étaient ambivalents dans leurs motivations. Ils se sentaient appelés à un geste que pourtant ils trouvaient ringard. Néanmoins ils étaient fascinés par lui. Ils se sentaient l’objet d’une pression sociale et pourtant, au bout du compte ils y consentaient.

 Aujourd’hui ils se présentent habités par une aventure intérieure mystérieuse, cherchant des mots, une grammaire pour en saisir le sens, l’accueillir, y consentir, l’amplifier. Oui ! On passe vraiment de la posture d’héritiers plus ou moins vindicatifs par rapport à leur héritage à la posture d’inventeurs d’un trésor, de découvreurs d’un mystère caché, de défricheurs d’une aventure fascinante…

 Cette posture nouvelle nous permet d’accueillir sans complaisance certes, mais surtout sans lamentation, les multiples pauvretés, misères, blessures provoquées par notre société sans repère issue de la formidable mutation de la fin du siècle dernier. Oui ! Nos fiancés sont, pour la plupart, ignares sur le pan catéchétique. Oui ! Ils n’en sont pas, pour beaucoup à la découverte de la vie affective et sexuelle. Oui ! Ils sont marqués par la précarité familiale et professionnelle dans laquelle se débat notre société. Oui ! La constance, la persévérance dans l’engagement religieux leur paraît soupçonnable tant ils ont peur du phénomène de secte, de clan, d’enfermement. Mais ils ont soif et demandent un accueil vrai et profond. Ils tâtonnent mais beaucoup cherchent… Ils demandent que leur liberté soit respectée. Mais ils devinent et expérimentent, dans la démarche même de leur mariage, que cette liberté ne peut se déployer que dans un engagement radical respectant l’unicité de chacun…

 La grammaire élémentaire de l’existence qui faisait consensus jusque dans les années soixante du siècle dernier se délite de génération en génération. Ce qui allait de soi socialement devient l’objet d’un choix, d’un engagement personnels. C’est particulièrement vrai et de l’acte de foi chrétienne et du mariage et donc, doublement, du mariage chrétien.

 Deux écueils sont à éviter :
 - la référence stérile et paralysante à ce passé, que ce passé soit idéalisé ou au contraire diabolisé, peu importe !.
 - adhérer plus ou moins confusément à l’idéologie libertaire, psychologiquement adolescente, qui théorise cette évolution, me semble-t-il avant tout sociale, en proclamant que la requête contemporaine d’authenticité, de choix personnel est antagoniste d’un engagement et dans le temps et dans une institution.

 Car la Bonne Nouvelle c’est précisément que dans une ambiance culturelle massivement individualiste et présentiste des jeunes veuillent s’engager et dans le temps et devant des institutions (Etat, Eglise). Par le fait même de leur démarche dans notre contexte culturel ils proclament que pour être libre, il faut aimer vraiment c’est-à-dire s’engager dans le temps et donc devant des institutions. Ils illustrent en le sachant plus ou moins confusément la dynamique pascale : « Qui accepte de perdre sa vie… » (Mt 16 25).

 Or nous sommes tous, fiancés et ministres de l’Eglise, en combat spirituel permanent sur ce point central de la foi. Nous sommes tous marqués par le moment culturel que nous vivons socialement. Nous sommes tous en Exode permanent, partant du souvenir d’un engagement marital allant tellement de soi qu’il nous paraît aujourd’hui contraint (non sans quelque anachronisme), passant par la requête adolescente d’un choix personnel, tendus vers un engagement adulte libre et personnel où une liberté neuve se découvre et s’enracine.

 L’enjeu de la ‘Pastorale’ est de faire se féconder l’expérience humaine et spirituelle des fiancés avec le récit pascal que porte l’Eglise. Ce n’est que si les fiancés sentent cette consonance entre ce qu’ils s’apprêtent à vivre à rebours de la culture dominante et ce qui sous-tend la vie de ceux qui les accueillent qu’ils découvriront en ceux-ci plus des aînés les aidant à faire le passage que des maîtres leur enseignant une théorie, voire une idéologie.

  II Les moyens mis en œuvre pour la vérité du mariage

Attente réelle et grande méconnaissance de l’Eglise se conjuguent souvent chez les fiancés. L’attente, pourtant vraie, peut aussi être entravée par la faible disponibilité due au rythme de la vie contemporaine. Toujours est-il qu’il y a parfois beaucoup d’acteurs à rencontrer et beaucoup à découvrir et à intérioriser en peu de mois et au milieu d’une multitude de soucis relationnels et matériels…

 Se succèdent le premier accueil en paroisse avec une ‘dame accueillante’, la première rencontre avec des couples mariés et d’âge plus mûr que l’on reverra lors du week-end de préparation, la rencontre du prêtre (ou du diacre), la compréhension des ‘Piliers du Mariage’ et leur reformulation personnalisée dans la Déclaration d’Intention, la découverte de textes liturgiques jusque-là largement inconnus… bâtir une célébration liturgique qui sera souvent quasiment la seule pendant des décennies…

 De tout cela découle l’impression d’une expérience vraie, forte mais inédite et sans lendemain. Des liens forts se tissent, mais ponctuels. Une réelle première découverte de l’Eglise et de son mystère a lieu. Mais à l’image de ce qu’est notre société, mobile et pressée… et peu propice à une histoire suivie.

 Est-ce-que ces multiples rencontres et exercices contribuent à mettre les fiancés devant leur responsabilité d’époux célébrant un vrai mariage ? Oui, certainement… mais… Oui certainement …Car beaucoup est fait pour mettre en valeur le lien matrimonial dans ces composantes augustiniennes, fidélité, fécondité, indissolubilité, le tout dans la liberté et dans une certaine dimension religieuse ouverte à la Révélation Chrétienne. Tout cela est bien rodé… Le week-end permet aux fiancés d’en parler entre eux… La Déclaration d’Intention en permet une reformulation personnalisée. Bien sûr certains fiancés passent à travers les mailles du filet de cette préparation immédiate bien huilée. Bien sûr certains manifestent une fragilité psychologique inquiétante… Mais je ne vois pas ce qu’on pourrait faire de plus… étant entendu que nous n’avons que l’obligation de moyens…

  III Peut-on mieux faire ?

Mais… Car il y a un mais… et même trois mais…

 Dans la société de grande mobilité où nous sommes, nous en sommes réduits à la formation immédiate à un mariage déjà décidé… Ce que le Bienheureux Jean-Paul II appelait dans Familiaris Consortio les préparations éloignée et prochaine ne nous sont pas accessibles sauf pour de très rares jeunes faisant partie d’aumônerie et de mouvements de jeunes. Or c’est dès la constitution du lien affectif que devrait être perçue sa vocation à être vécu dans la radicalité du mariage.

 Deuxième entrave à une meilleure formation au mariage, nous préparons des fiancés ayant déjà pour la plupart une longue vie commune et même des enfants. La décision de se marier devient donc comme un couronnement souhaitable certes mais quelque peu superfétatoire à un lien déjà ancien. Certains fiancés se sont déjà promis fidélité de façon telle qu’avant le Concile de Trente et son décret ‘Tametsi’ on les aurait considérés comme mariés clandestinement ce qui était certes illicite mais non invalidant. D’autres au contraire sont tellement fragiles psychologiquement qu’un doute subsistera toujours sur leur aptitude à vraiment s’engager dans un lien indissoluble. Théologiquement et humainement le consentement matrimonial est-il déclaratif ou performatif ? Vaste débat…

 Troisième piste de réflexion. Comment articuler avec cette nécessaire préparation au mariage humain, une annonce de la foi ? D’une part il faut tenir que le mariage humain relève de la ‘Loi Naturelle’ et ne requiert donc pas la Révélation pour qu’on s’y engage (bien des ‘infidèles’ se marient ! Et l’Eglise reconnaît leur mariage comme vrai ‘légitime’) ; d’autre part il faut aussi tenir que la foi éclaire puissamment la raison de telle façon que la ‘Loi Naturelle’ est plus aisément et plus sûrement connue sous l’éclairage de la foi. Cela sera de plus en plus vrai dans une société où, je l’ai dit, la grammaire élémentaire de l’existence fait de moins en moins consensus et où de multiples compréhensions partielles, parfois très partielles de l’affectivité et de la sexualité se proposent de façon chatoyante !

  En conclusion,

je dirai que nous faisons globalement ce que nous pouvons pour célébrer de vrais mariages. Mais restons modestes la décision bilatérale de s’engager réciproquement définitivement sera de plus en plus difficile à atteindre par une partie croissante de la population fragilisée par un monde fragilisant, incertain…

 Abbé Arnaud de VAUJUAS

lundi 25 avril 2011

Comment peut-on annoncer la foi, le message évangélique, aux jeunes couples qui se préparent au mariage ?

(au Conseil Presbytéral du diocèse de Bordeaux, le 26 Avril 2011)

Tels sont les termes de la question qu’il m’a été demandé de traiter ce matin ? J’en ai accepté les termes mais en y travaillant, j’ai transformé la question, comme on le verra… Je pense que ce n’est pas abusif…

En bonne théologie le mariage est une réalité naturelle que la foi et le baptême des conjoints élèvent au rang de sacrement, de signe mystérieux de l’amour de Dieu pour l’humanité, du Christ pour l’Eglise.

Pour ce qui est de la réalité naturelle, une conseillère conjugale en traitera, m’a-t-on dit. Voyons aujourd’hui comment un dialogue de foi peut être vécu aujourd’hui entre l’Église (et ses ministres ordonnés que nous sommes avec nos collaborateurs laïcs) et ceux qui, ici et dans les circonstances actuelles, se préparent à y célébrer le mariage.

Un dialogue de foi, dis-je. Est-ce différent de ‘l’annonce de la foi, du message évangélique’, comme cela m’était demandé ? C’est une transformation de la question, certes, j’en conviens. Mais, comme je l’ai dit, c’est ce qui m’est apparu, en préparant ce topo, tant de ma pratique que de la pratique de l’Église. Je pense, par exemple, au discours de Paul VI en clôture du Concile Vatican II où il dit que l’Église s’exprime ‘dans le style de la conversation ordinaire’ (32ème paragraphe).

Car nous n’annonçons pas l’Évangile comme un paquet de vérités à faire croire, comme une idéologie à laquelle il faudrait que nous fassions adhérer sans que cela ne change rien à la façon dont nous comprenons en retour cet Évangile. Nous nous épuiserions vite si nous pensions que nous n’avons rien à recevoir de ceux à qui nous annonçons l’Évangile. Et devant le peu de succès visible de l’entreprise, avouons-le, nous tournerions vite à l’amertume, au découragement, comme je le vois d’ailleurs au devenir de certains de nos confrères.

Dans un premier temps voyons la situation, au moins telle que je la vois comme ‘pasteur ordinaire’, curé d’une de nos paroisses… (Car dans mon Secteur Pastoral il n’ya qu’une seule Paroisse !) Dans un deuxième temps nous verrons ce que cela implique comme attitude tant dans l’annonce de notre foi que dans la transformation de la façon dont nous comprenons cette foi et en vivons. Dans un troisième temps nous verrons ce que nous en tirons comme conséquence à Talence.

I La situation telle que je la vois…

Depuis un quart de siècle et plus que je suis prêtre, je puis attester une lente mais puissante évolution de la disposition d’esprit des fiancés que je prépare au mariage en collaboration avec des laïcs. Il y a un quart de siècle bien des fiancés étaient ambivalents dans leurs motivations. Ils se sentaient appelés à un geste que pourtant ils trouvaient ringard. Néanmoins ils étaient fascinés par lui. Ils se sentaient l’objet d’une pression sociale et pourtant, au bout du compte ils y consentaient.

Aujourd’hui ils se présentent habités par une aventure intérieure mystérieuse, cherchant des mots, une grammaire pour en saisir le sens, l’accueillir, y consentir, l’amplifier. Oui ! On passe vraiment de la posture d’héritiers plus ou moins vindicatifs par rapport à leur héritage à la posture d’inventeurs d’un trésor, de découvreurs d’un mystère caché, de défricheurs d’une aventure fascinante…

Cette posture nouvelle nous permet d’accueillir sans complaisance certes, mais surtout sans lamentation, les multiples pauvretés, misères, blessures provoquées par notre société sans repère issue de la formidable mutation de la fin du siècle dernier. Oui ! Nos fiancés sont, pour la plupart, ignares sur le pan catéchétique. Oui ! Ils n’en sont pas, pour beaucoup à la découverte de la vie affective et sexuelle. Oui ! Ils sont marqués par la précarité familiale et professionnelle dans laquelle se débat notre société. Oui ! La constance, la persévérance dans l’engagement religieux leur paraît soupçonnable tant ils ont peur du phénomène de secte, de clan, d’enfermement. Mais ils ont soif et demandent un accueil vrai et profond. Ils tâtonnent mais beaucoup cherchent… Ils demandent que leur liberté soit respectée. Mais ils devinent et expérimentent, dans la démarche même de leur mariage, que cette liberté ne peut se déployer que dans un engagement radical respectant l’unicité de chacun…

Sur un autre plan, c’est avec ceux qui ne peuvent pas se marier, car divorcés, que nous apprenons cette posture d’inventeurs, de découvreurs, de défricheurs qui nous permet, non sans tâtonnements, de chercher comment, aussi, vivre avec justesse et vérité, une vie chrétienne alors qu’on est confronté à l’échec conjugal, aux blessures affectives et sexuelles. Là aussi c’est un long et douloureux chemin que de passer d’une posture vindicative d’un ‘droit à communier’ quand on est divorcé-remarié civilement, à la posture d’un accueil inventif de soi-même et de l’amour inconditionnel de Dieu alors qu’on est en situation de ne pas pouvoir être le signe public de Sa fidélité sans faille.

Nous sommes donc, tous, pasteurs et peuple, à devoir découvrir à nouveaux frais, les merveilles de l’amour humain dans un monde confus et blessant pour les personnes. Cela nous demande une attitude spirituelle d’humilité et d’audace.

II Une attitude d’humilité et d’audace

Oui notre époque est fascinante pour qui en comprend les enjeux. Je me laisse aller à penser, parfois, qu’il y aurait un parallèle entre ce qui est advenu au Peuple de la Première Alliance et ce qui advient à l’Église en Occident.

Pour le Peuple d’Israël, après que la foi dans le Seigneur ait été (non certes sans défaillances multiples) le ciment avoué et publiquement proclamé du royaume de David et de Salomon puis des royaumes d’Israël et de Juda, le Seigneur a reconduit son Peuple au désert lors de l’exil à Babylone. Mais c’était pour lui parler au cœur et lui faire redécouvrir son amour comme autrefois dans la phase d’errance dans le désert du Sinaï, préparant ainsi la venue du Seigneur Jésus, Parole définitive de son Amour.

Ainsi peut-être aujourd’hui, sur les décombres de la chrétienté, l’Église, en Occident, est-elle invitée, dans un exil de sa gloire sociale passée, à redécouvrir les fondamentaux de sa vocation, pour préparer la seconde venue en gloire du Christ, comme Il le voudra, quand Il le voudra…

Cela demande humilité et audace pour redécouvrir la joie merveilleuse d’être choisis, sans mérite aucun, pour être les prophètes du Seigneur.

L’humilité

Que nous soyons contraints à la modestie dans la promotion du mariage, c’est évident ! Jamais nous ne parviendrons, ou du moins pas avant longtemps, à ce que le mariage soit, à nouveau, la voie sociale hégémonique de l’union de l’homme et de la femme qu’elle était il y a cinquante ans. Bien sûr le Seigneur est bien libre de faire les miracles qu’il veut. Mais ce serait vraiment un miracle !

Nous ne pouvons, au mieux, qu’accueillir de notre mieux ceux dont l’amour est tel et la proximité avec l’Eglise telle, qu’ils demandent que cet amour soit ‘comme consacré’ dans le mariage chrétien. Mais des pans entiers de la société, hier touchés par l’Eglise, sont aujourd’hui hors de portée de sa voix… Mais ils ne sont pas hors de la vue et du cœur de nos fiancés qui se perçoivent dès lors comme originaux, quelque peu militants dans un monde anomique.

Mais la modestie ce n’est pas encore l’humilité… L’humilité c’est de consentir, et non pas se résigner, à la petitesse, la fragilité, la précarité de ce que l’on est parce qu’on sait que le Seigneur passe de préférence par notre petitesse et nos difficultés… Car pour accueillir des chercheurs tâtonnants de Dieu, il faut soi-même être chercheur tâtonnant de Dieu… C’est d’abord cette attitude spirituelle que requièrent plus ou moins consciemment les fiancés qui s’adressent à nous.

Une anecdote, ici pour me faire comprendre. J’étais étudiant, quelque part au début des années 1970, et nous étions une quinzaine réunis autour de Marcel Légaut, philosophe chrétien décédé depuis en 1990 à l’âge de 90 ans. L’orateur parlait de l’insondable, insaisissable mystère de Dieu. Un de mes compagnons, vivement agacé par ce discours, interrompt l’orateur et s’écrie : « Mais enfin depuis deux mille ans on devrait savoir qui est Dieu ! » La réponse de Marcel Légaut a été cinglante et m’a marqué à vie : « Monsieur, pour parler ainsi il faut que vous soyez athée ! »

Tel est ce que nous devons bien comprendre si nous voulons rencontrer les chercheurs tâtonnants de Dieu que sont nos fiancés. Et ce qui est vrai de Dieu Lui-même est vrai de tout ce qui en est l’épiphanie, la manifestation, comme, par exemple, la prière et l’amour humain. Un jour je prêchais une retraite à des religieuses très âgées. Quand j’ai dit que nous étions tous des débutants dans la prière, une des religieuses, octogénaire ou nonagénaire, s’est écriée : « Ca s’est bien vrai ! ». Je m’étais fait comprendre. J’espère que je me fais comprendre ce matin…

Nous sommes tous des débutants en amour humain, quelles que soient le nombre de nos années de mariage ou de célibat consacré. Rencontrer un homme et une femme qui nous parlent de leur amour, si blessé ou si bancal soit-il, c’est assister à la création du monde, au surgissement permanent du Seigneur.

L’audace

Alors n’aurions-nous rien à annoncer ? Serions-nous condamner à l’admiration béate et muette des merveilles de Dieu en tout amour humain, si bancal soit-il… Or tout amour humain, avant la Parousie du moins, sera toujours plus ou moins bancal.

C’est ici qu’il faut distinguer la foi par laquelle on croit (fides qua credimus) de la foi que l’on croit (fides quae creditur).

La foi par laquelle on croit est la vertu de foi, la force, l’élan du cœur par lequel on se tourne vers Dieu. La foi que l’on croit est le contenu de la foi, le credo proclamé le dimanche à la messe…

On est sauvé par la vertu de foi, pas par la connaissance du contenu de la foi. Même si la connaissance du contenu de la foi est d’un grand secours, (si elle bien ajustée) pour le déploiement de la vertu de foi. On peut savoir par cœur le Catéchisme de l’Église Catholique et être sec comme une trique quant à la vertu de foi ! Mais la connaissance du Catéchisme peut, si elle bien ajustée être, d’un grand secours pour la vertu de foi.

Qui peut dire que nos fiancés n’ont pas la foi par laquelle on croit, la vertu de foi ? Qui a un thermomètre à foi ? On peut faire passer un examen de catéchisme. On ne peut pas sonder les reins et les cœurs…

Nos fiancés se marient à l’Église à une époque où la pression sociale pour ce faire est nulle, voire négative. Qu’est-ce-qui les pousse ? Certes ils sont souvent fort peu catéchisés. Mais précisément c’est autre chose… Même si nous devons, avec délicatesse, susciter en eux le désir d’être catéchisés…

Car la foi que l’on croit peut aussi être, à cause du péché, un obstacle à la foi par laquelle on croit, à la vertu de foi. Le centurion romain de Lc 7, ce colonel de l’armée d’occupation qui n’avait certainement pas fait sa Bar Mitsva, s’est fait dire par Jésus que celui-ci n’avait jamais vu une foi telle que la sienne en Israël. Or il en savait sans doute moins sur la Torah que les Docteurs de la Loi qui, eux, n’ont pas reconnu le Christ !

Bien sûr nous, nous sommes catéchisés (enfin nous sommes censés l’être car le théologien patenté que je suis frémis parfoiss de certaines âneries théologiques proférées dans notre bon clergé ! Mais je ne m’en indigne pas car je dois aussi dire des âneries théologiques sans le savoir !). Catéchisés donc, nous savons bien que le mariage est le seul cadre qui respecte pleinement et permet de déployer pleinement l’amour humain dans toute sa dignité. Mais c’est là une science de connaissance doctrinale qui laisse entiers le chantier et la tâche de la conversion spirituelle permanente de tout amour humain à ce que dit de lui la doctrine du mariage…

Car c’est précisément la conversion permanente que nous avons à faire, nous autres hommes de religion socialement reconnus. Voir, contempler, comment l’Évangile, que nous croyons connaître, s’incarne de façon toujours nouvelle, inédite, en chaque chercheur de Dieu. Et être avide de ce que cela nous apprend d’inédit, d’unique, de surprenant sur Dieu. Si bien que vouloir évangéliser pour nous c’est vouloir découvrir au contact de ceux que nous voulons évangéliser ce que nous ne connaissons pas encore de Dieu…

C’est pourquoi seule l’humilité est audacieuse. Si je suis un chercheur tâtonnant de Dieu, un chercheur tâtonnant en amour humain, je peux accueillir, écouter, former, exhorter à la conversion tout chercheur de Dieu, tout amour humain… Mais si je crois savoir ce qu’est Dieu, ce qu’est l’amour humain, je serai inéluctablement péremptoire, blessant avec ceux qui me parleront de Dieu, qui me parleront de leur amour humain.

Bien sûr la conversion spirituelle d’un amour humain en l’amour du Christ qui se donne radicalement et sans retour à l’Eglise, son épouse, cette conversion a vocation à s’inscrire dans l’institution sacramentelle du mariage. Mais la conversion institutionnelle, socialement visible, ne garantit rien quant à la conversion spirituelle. En d’autres termes, si on s’aime on est appelé à se marier. Mais se marier ne garantit pas qu’on s’aime !

Prophètes de Dieu apprenant Lui-même à aimer

Jésus lui-même a appris… ce qu’il était !

Dans cette ‘docte ignorance’ de ce qu’est Dieu et ses épiphanies, comme la prière ou l’amour humain, nous sommes les prophètes du Dieu de Jésus-Christ qui, s’incarnant, apprend lui-même à aimer. C’est l’enseignement prodigieux de l’Épître aux Hébreux : « Tout Fils qu’il était [le Christ] appris par ses souffrances l’obéissance et, conduit jusqu’à son propre accomplissement, il devint pour tous ceux qui lui obéissent cause du salut éternel » (Hb 5 8-9)

Ces versets, attribués à saint Paul, affirment que le Christ a appris quelque chose. Ils ont plongé dans la perplexité bien des théologiens qui professaient que le Christ, étant Dieu, était omniscient, c’est-à-dire qu’Il savait tout et n’avait donc rien à apprendre ! Tentation permanente du docétisme, c'est-à-dire de cette hérésie qui dit que Dieu en Christ a fait mine d’être un homme, a paru être un homme (doceo, docere : je parais) mais n’a pas vraiment été un homme, avec tout ce que cela implique non seulement comme capacité mais aussi comme nécessité d’apprendre.

Saint Thomas d’Aquin s’en sort en distinguant le savoir de science que le Christ avait parfaitement et le savoir d’expérience qu’il a dû acquérir comme tout le monde.

Prenons un exemple. Si un ami proche de nous est en phase terminale de sa vie, nous savons de science qu’il va mourir. Pourtant quand il meurt nous sommes bouleversés et nous pleurons. Nous avons alors à apprendre de savoir d’expérience qu’il est mort. Nous avons à apprendre à vivre sans lui et à développer un autre type de présence à lui.

Eh bien Jésus a appris de savoir d’expérience ce que l’Epître aux Hébreux appelle ‘l’obéissance’.

Et, comme Lui, nous en sommes à devoir apprendre de savoir d’expérience ce qu’est le mariage, quand bien même nous savons de science doctrinale ce qu’est ce mariage ! Et cela l’expérience de chaque couple nous l’apprend.

Cet apprentissage réciproque entre ceux qui s’engagent dans une expérience et demandent l’accompagnement de l’Église et l’Église qui sait, mais de science, et ne sait jamais totalement d’expérience, c’est ce que nous essayons de vivre à Talence.

III Une expérience

À Talence nous avons inauguré récemment une nouvelle façon de faire, et nous allons continuer…

Jusqu’ici nous proposions seulement le classique week-end sur les quatre piliers : liberté, fidélité, fécondité, indissolubilité. Pendant ce week-end je fais un exposé magistral sur la dimension religieuse du mariage surtout à base historique : comment la polygamie, en Israël, a progressivement fait place à la monogamie, parallèlement au passage du polythéisme au monothéisme ; comment ce passage est toujours en question aujourd’hui. C’est magistral, c’est utile et insuffisant. Les fiancés sont de niveau culturel très différent et je ne me fais guère d’illusion sur la fécondité d’un tel exercice… Mais ça ne me paraît pas inutile… ni aux couples laïcs mariés qui abordent les ‘4 piliers’.

Cette équipe de préparation a pensé bon de proposer depuis deux ans une soirée complémentaire de première annonce de l’Évangile, pas du tout magistrale cette fois-ci. Nous prenons la fiche 0 du parcours ‘Matins d’Évangile’ pour catéchumènes adultes. Après une pédagogie permettant à chacun de dire ‘qu’est-ce-que croire ?’ pour lui, nous lisons l’Évangile des disciples d’Emmaüs.

La pédagogie est très impliquante. Certains fiancés font état d’une curiosité spirituelle très personnelle. D’autres restent sur la réserve… Mais c’est fortement régénérant, rafraichissant pour les chrétiens habituels, sachant, ou croyant savoir, tellement ce que c’est que croire, connaissant, ou croyant connaître, tellement cette page d’Évangile que leur regard, leur cœur en sont amortis !

Nous invitons à écrire une prière personnelle. Nous finissons par un temps de prière commune. Et nous invitons ceux qui le veulent à rejoindre le groupe de catéchuménat pour adultes… sans succès pour le moment !

L’an prochain nous prévoyons six ‘dimanches autrement’ où parallèlement à la catéchèse des enfants sera proposée une catéchèse des adultes, avant tout parents d’enfants catéchisés, mais aussi jeunes récemment mariés.

Je ne me fais pas d’illusion sur les résultats visibles d’une telle proposition… Mais je cherche à créer un climat, une ambiance, une attitude chez les ‘pratiquants du dimanche’ attitude accueillante à la fraîcheur, à l’inédit de ceux qui, pour la première fois pour beaucoup, rentrent dans cette façon d’être originale qu’est l’Église.

Alors nous percevrons petit à petit qu’il y a plus de joie à lancer le filet qu’à le relever plein ou vide… Et nous comprendrons que sil est plein c’est bien mais c’est par surcroît par rapport à notre plus grande joie qui est de le lancer. Car c’est Jésus qui nous le demande (Lc 5).

P. Arnaud de VAUJUAS

lundi 4 avril 2011

La façon dont est vécue la sexualité
aujourd'hui
est-elle dans l'intérêt des pauvres
et des blessés de la sexualité?

(aux EFFA le 5 Avril 2011)

La lecture que je fais des mutations des mœurs familiales et sexuelles aujourd'hui est colorée par ce que vit une partie de la population, les plus pauvres. Non pas d'abord pour la raison personnelle tenant au fait que je les fréquente depuis plus de trente ans. Mais surtout pour une raison théologique et pastorale. Nous sommes dans une Eglise qui dit faire "l'option préférentielle pour les pauvres". J'entends bien qu'"option préférentielle" ne veut pas dire "option exclusive" et que nous devons annoncer l'Evangile à tous les hommes qu'elle que soit leur situation sociale. J'entends bien aussi que la pauvreté humaine n'est pas seulement la pauvreté économique et sociale. Mais, quand on doit observer une société, faire "l'option préférentielle pour les pauvres" cela veut dire l'observer de parti-pris en fonction de ce que vivent les plus pauvres de ses membres. Dis-moi quels sont tes pauvres, je te dirai qui tu es ! Dis-moi ce que vivent les plus pauvres parmi toi et je te dirai quelles sont les pauvretés cachées que tu vis toi-même, même si tu es socialement riche et que tu peux donc mieux les cacher, même si de toi aussi, riche socialement, je me dois d'être ton frère !

Or l'écoute des personnes marginalisées, démunies, ne peut laisser de doute sur le fait que les souffrances familiales ont une place importante dans leur histoire. Ou, plus précisément dit, elles sont plus visibles quant à leurs conséquences sociales, moins 'compensées' par les garde-fous, les esquives que permet une bonne insertion sociale. Car il ne s'agit pas du tout ici de sous-entendre que les mœurs seraient plus inhumaines chez les pauvres que dans le reste de la population. Il s'agit seulement de regarder là où les fonctionnements et dysfonctionnements culturels et sociaux sont les plus repérables dans les conséquences qu'ils ont sur l'homme.

Bien sûr il faut éviter de faire de la vie affective, familiale et sexuelle l'unique raison de la malinsertion sociale des pauvres. Certes la souffrance familiale est difficilement chiffrable objectivement car, par essence, toute souffrance est subjective. Et on ne peut donc pas établir de parallèle strict entre une situation familiale objective (divorce des parents, recomposition familiale, placement des enfants à l'Aide Sociale à l'Enfance, etc.) et la souffrance avec laquelle tel ou tel enfant aura supporté cette situation. Mais il ne peut faire de doute que si le vécu familial n'est pas le seul conditionnement de l'insertion future des enfants, il en est un paramètre important. Il faut donc se demander si la façon dont est vécue la sexualité aujourd’hui est dans l'intérêt des pauvres ou pas.

La façon dont est vécue la sexualité aujourd'hui est-elle dans l'intérêt des pauvres? Drôle de question, penserons certains ! Il est en effet courant, jusque dans notre sainte Eglise, de ne parler des pauvres que comme des acteurs économiques. Mais peut-il y avoir un rapport entre la façon dont est vécue la sexualité dans la société et le fait qu'ils soient pauvres ?

I L'évolution des mœurs...

a) Que s’est-il donc passé ?

Tout le monde connaît l'évolution du vécu social de la sexualité en Occident depuis quelques décennies. Depuis le courant de la décennie 1960, le nombre de mariages a notablement baissé; la cohabitation juvénile s'est généralisée; le nombre de divorces a augmenté; l'apparition de la contraception féminine fantasmatiquement facile a bouleversé (le mot n'est pas trop fort) l'approche de la sexualité, la place de la femme, et donc de l'homme, dans le couple, et donc aussi dans la société; l'avortement a été légalisé; la tolérance sociale à l'homosexualité s'est un peu étendue. Bref s'est vécue une profonde transformation des mœurs.

Et cela s'est fait dans un sentiment de libération, de plus grande authenticité. Et ça a pris de court ceux qui avaient une approche plus traditionnelle de la sexualité et parmi eux les chrétiens. L'histoire retiendra que la marginalisation des Églises en Europe occidentale et en Amérique du Nord dans la deuxième moitié des "trente glorieuses" a eu pour cause consciente principale le hiatus qui est apparu entre la façon dont la majeure partie de la société appréhendait la sexualité et celle des Églises. Ce phénomène a culminé lors de la publication de l'Encyclique "Humanæ vitæ" sur la limitation des naissances en 1968, année qui correspondait aussi à l'apogée de la manifestation de l'idéologie libertaire sur le plan des mœurs.

Il faut faire l'effort de comprendre cette évolution et donc d'avoir le minimum d'a priori sympathique nécessaire à cela. La population d'Europe de l'Ouest et d'Amérique du Nord n'est pas subitement devenue vicieuse, jouisseuse et irresponsable en quelques années. Non ! C’est une nouvelle façon de voir les choses qui est apparue. Certes, cette nouvelle façon de voir est différente de celle des chrétiens. Mais il faut prendre le temps de l'entendre, de l'examiner, de tâcher d'en cerner les racines sans condamner d'emblée. Je ne peux que vous renvoyer ici aux études de chercheurs comme Agnès PITROU, Evelyne SULLEROT (notamment "Quels pères, quels fils?" Fayard 1992), Louis ROUSSEL.

b)... et l'intérêt des pauvres...

Cette évolution s'est produite sans que se pose la question de savoir si ces nouveaux comportements étaient conformes ou pas à l'intérêt des pauvres. Certes, il est vite apparu que la fragilisation des familles se fait au détriment des plus fragiles de leurs membres, à savoir les enfants, que les enfants du divorce vivent une lourde épreuve qui entrave leur développement affectif, voire intellectuel pour les plus fragiles d'entre eux, au moment où l'aptitude à l'apprentissage devient le facteur décisif d'insertion sociale. Les avocats font souvent des effets de manche sur l'enfance désastreuse de leurs clients en demandant aux tribunaux d'en faire des circonstances atténuantes. Les travailleurs sociaux reconnaissent volontiers que les plus démunis de leurs clients ont un comportement social en rapport avec la déstructuration familiale significativement plus importante parmi eux qu'ailleurs. Bref il apparaît une génération où beaucoup sont "sans père et sans repères", et cela est un handicap dans leur bonheur et dans le développement de toute la collectivité, y compris économique.

Et pourtant tout cela n'apparaît à beaucoup au mieux que comme un regrettable effet pervers d'une évolution qu'on ne peut pas remettre en cause, sur laquelle on ne peut pas peser. Et on ne peut pas dire pour autant que tous ceux qui tiennent ces langages n'ont nuls soucis des pauvres. Non ! Ils font preuve souvent d'un dévouement, d'une générosité qui forcent l'admiration. C'est notamment vrai dans les milieux influencés par le marxisme où par postulat le seul facteur de pauvreté retenant l'attention est économique. Se recrutent là des "militants" dont on ne peut pas nier qu'ils aient, quand ils sont à la base, une authentique et héroïque présence aux pauvres. Et pourtant l'observation de la réalité sociale en matière familiale et de ses conséquences pour les pauvres est mentalement impossible dans ces milieux.

Par ailleurs les groupes qui défendent "les valeurs familiales" ne montrent pas souvent en quoi ils se soucient des pauvres. Si bien que le levain n'est pas souvent dans la pâte : ceux qui sont en contact avec les pauvres en parlent souvent comme d'êtres asexués, purs acteurs économiques. Et ceux qui s'efforcent de "défendre les valeurs familiales" ne montrent pas en quoi ils connaissent le vécu des plus pauvres.

c) ... une question éludée !

C'est donc qu'il y a un intérêt mental supérieur à ne pas mettre en cause l'évolution culturelle en cours, là où il est pertinent de le faire. Et il est vain de condamner cette évolution sans prendre le temps d'appréhender cet intérêt supérieur qui est d'ordre mental, culturel, idéologique. Comme disent les psychologues, il est injuste d'appeler un "déni" mauvaise foi et il est vain de le combattre sans discerner les "défenses" qui en sont à la base.

Cet intérêt supérieur, mental, idéologique, à défendre coûte que coûte et qui rend inconsciemment sourd et aveugle aux souffrances induites par le nouvel ordre sexuel, me semble lié au développement des sciences et des techniques et plus spécialement à l'apparence de maîtrise de la fécondité et de la sexualité qu'il permet. Car dans tout ce que l'efficacité des sciences a d'enivrant, c'est sans doute la maîtrise de la fécondité féminine qui a le plus ébloui l'homme ces dernières décennies. On n'a pas encore pris la mesure du choc culturel que représente la possibilité, ou le sentiment d'avoir la possibilité, de mettre la main sur ce mystère central inscrit en notre chair désirante, qu'est la fécondité. Il y a là de quoi être pris de vertige prométhéen. Par la contraception paraissant techniquement facile nous avons mis la main (ou plutôt nous avons cru mettre la main) sur un feu, sur un (voire sur le) dynamisme humain fondamental et passionnel qui nous habite tous.

Entendons bien que ce n'est pas le développement scientifique et technique en lui-même qui engendre ce prométhéisme mais il en fournit inéluctablement la tentation. Ce n'est pas la science en elle-même qui épuise le mystère dans le monde mais l'attachement désordonné à ce bien qu'est la science.

Et du même coup (à la mesure même de notre ambition délirante) c'est nous, c'est notre empreinte que nous voyons désormais en notre sexualité. L'homme a eu le sentiment de mettre la main sur l'homme, il a fait un pas décisif, éblouissant, dans la façon de s'assumer comme homme et femme. Et désormais c'est l'image de lui-même, en ce qu'il est vertigineusement (et dérisoirement, illusoirement) puissant, que l'homme voit dans sa sexualité. Et il faut voir que cet éblouissement est d'autant plus puissant qu'il touche ce qui, en l'homme, est particulièrement symbolique de son mystère profond.

II La Parole primordiale impossible?

Si la sexualité n'est plus un mystère, alors ce n'est plus la Parole donnée qui est pertinente pour la rendre humaine, mais la prouesse technique. Car la Parole donnée, la Parole d'Alliance, implique un type de rapport au réel supposant qu'on ne le maîtrise pas, mais qu'on s'y engage spirituellement et moralement. Or il semble s'être développée ces dernières décennies une instrumentalisation, une conception utilitaire de la sexualité considérée comme un outil à la disposition de l'homme. Cette conception de la sexualité s'oppose à celle qui la considère comme symbole inscrit en l'homme de quelque chose qui le dépasse et donc lieu de Parole donnée possible.

a) La sexualité, outil ou symbole?

* La sexualité, un outil...

La maîtrise vertigineuse et euphorisante que l'humanité a acquise récemment sur sa sexualité pousse nombre d'hommes à la considérer comme un outil à leur disposition pour qu'ils s'en servent selon ce qu'il leur semble bon. Et comme nous ne pouvons pas considérer a priori que l'homme de notre temps est mauvais et méchant en soi, considérons que c'est le plus souvent pour quelque chose de bon que l'homme de notre temps veut se servir de sa sexualité comme d'un outil.

Se servir d'un outil, c'est d'abord le considérer comme un objet façonné à partir de la nature par d'autres hommes, dans le but de faciliter un travail ou une expression qui, sans cela, serait plus pénible, voire impossible. Un outil est neutre de toute signification autre que celle du travail pour lequel il a été conçu. Une automobile est faite pour transporter des personnes; un marteau pour enfoncer des clous; un ordinateur pour faire des calculs compliqués ou pour écrire des rapports. On peut aussi se servir d'un outil pour autre chose que ce pourquoi il a été fait sans faire un acte qualifiable moralement de bon ou de mauvais. On peut dormir dans sa voiture quand on n'a pas le sou pour aller à l'hôtel, même si elle n'a pas été faite pour ça, sans que ce soit un sacrilège contre la nature intrinsèque et sacrée de l'automobile.

* ... ou un symbole?

Un symbole est autre chose qu'un outil. Un drapeau, un uniforme sont des symboles. Ils signifient quelque chose sous un mode différent qu'un outil. Ils sont habités d'une présence, de la Parole de personnes, d'un groupe, qui l'investissent comme symbole unificateur de leur groupe. La signification d'un symbole est culturelle et non pas immédiatement opératoire. Elle est plus passionnellement investie. Donc se servir d'un symbole pour autre chose que ce pourquoi il est convenu qu'on s'en serve est un comportement plus choquant moralement que pour un outil. Si je me sers du drapeau national comme descente de lit ou comme mouchoir le jour où je suis enrhumé, je risque de provoquer dans mon entourage des réactions plus vives que si je dors dans ma voiture.

On peut donc dire qu'il y a une nature de tel ou tel outil comme on peut dire qu'il y a une nature de tel ou tel symbole. C'est dire qu'ils ont l'un et l'autre des caractéristiques fondamentales qu'il faut respecter si on veut les prendre pour ce qu'ils sont. Mais ça n'est pas la même chose de se servir d'un outil contre sa nature et de le faire pour un symbole.

C'est là tout le malentendu entre les rédacteurs de l'Encyclique "Humanæ Vitæ" et ses détracteurs. Quand on conteste l'importance que l'Encyclique porte au fait que la contraception artificielle est contre la nature de la sexualité, on manifeste par là qu'on aborde la sexualité comme une réalité autre que celle que vise l'Encyclique. Dans un cas on prend la sexualité comme un symbole, dans l'autre comme un outil. Et cela révèle le niveau où chacun vit sa propre sexualité, soit comme lieu d'Alliance, de Parole, soit comme réalité neutre de toute signification symbolique et donc manipulable à merci. C'est là le contentieux de fond, me semble-t-il, entre nombre de nos contemporains et le Magistère ecclésial.

b) Vérité sociale de la sexualité

La vérité sociale, la vérité culturelle ambiante, sur la sexualité en Europe occidentale et en Amérique du Nord, c'est qu'elle est un outil à la disposition de chacun pour qu'il l'utilise au mieux, tant que l'ordre public n'est pas troublé. Tantôt pour le plaisir, tantôt pour exprimer la tendresse, tantôt pour transmettre la vie. A chacun de voir, sans que la société n'ait rien à en dire. Cela ne veut pas dire que l'ordre symbolique n'existe plus dans notre société. Mais il n'est pas (ou n'est plus, s'il l'a jamais été) investi dans la sexualité.

Entre autres caractéristiques le symbolique se signale par le fait qu'il s'accompagne d'un cortège d'interdits moraux le plus souvent inconscients et de ce fait quasi unanimement acceptés socialement, comme on l'a vu avec l'exemple de la profanation du drapeau national. L'actualité nous a donné un autre exemple du couplage du symbolique et de l'interdit socialement accepté: je veux parler de la profanation du cimetière de Carpentras il y a quelques années. Nul ne considère comme abusif et autoritaire l'interdit de violer les tombes. Car la tombe est considérée dans notre société comme plus qu'un outil, c'est-à-dire un lieu où on range matériellement un cadavre. La tombe est véritablement un symbole pour nous. On se recueille devant elle, on la décore de fleurs, on fait des discours devant. Ce qu'on ne ferait pas si elle n'était qu'un outil, un simple entrepôt pour un objet encombrant, le cadavre. La tombe est un symbole de notre rapport à la mort, et au-delà de la mort au mystère ultime de l'homme, qui fait tellement consensus culturellement que l'interdit de la violer est unanimement acceptée et ne paraît abusif à personne. Et nul n'écrit d'article enflammé vantant le génie artistique et la perspicacité émancipatrice de ceux qui ont violé les tombes de Carpentras. Et il n'y a pas besoin, pour le moment de matérialiser l'interdit de violer les tombes en faisant garder les cimetières par des compagnies de C.R.S.

Le jour où, au nom de la démocratie, aura droit de cité parmi d'autres l'opinion que le viol des tombes est une expression esthétique et politique respectable, une sorte de prophétisme, une interpellation culturelle pertinente, cela voudra dire que notre rapport symbolique à la mort et au corps aura changé. Il ne s'agit pas là de morale mais de fonctionnement mental et culturel inconscients ! Si bien que les profanateurs d'interdits liés à une symbolique qui "fonctionne" bien socialement apparaissent plus comme des monstres ou des fous que comme des êtres immoraux ! Quand la symbolique commence à moins bien fonctionner les fous et les monstres passent au statut de dissidents, d'ébranleurs prophétiques d'interdits surannés ce qui est un tout autre statut social.

C'est ce qui s'est passé en vingt ans à propos de la sexualité et du mariage. Je me souviens en 1972 d'un ami, responsable du MRJC, dont la fiancée était enceinte de ses œuvres avant leur mariage. Dans le milieu rural où je vivais alors ce comportement était pour cet ami, très explicitement et consciemment, un message adressé à la société pour lui dire qu'elle vivait sur une conception de l'amour humain et du mariage à ses yeux surannée. Cet homme apparaissait scandaleux à son entourage. Mais lui se considérait comme un prophète. On en était au début de la désymbolisation de la sexualité. Aujourd'hui les fiancés que je reçois pour leur préparation au mariage, pour 95% d'entre eux, ne voient pas, mais pas du tout, ce qu'il y a de mal à vivre sexuellement ensemble hors mariage. Ils ne sont scandaleux pour personne et surtout pas à leurs propres yeux et ne se prennent pas pour des prophètes. Ils ne voient pas la 'nécessité' d'une Parole donnée comme cadre d'une mise en œuvre de la sexualité. On est au terme de la désymbolisation de la sexualité.

III L'impératif de la séduction permanente.

a) Dans le domaine affectif et sexuel...

Cette non-pertinence de la Parole donnée pour rendre humaine la sexualité implique alors de se régler sur le sentiment, nouveau fondement de la morale. On en connaît les harmoniques, les expressions approchées: c'est ce qui est authentique, ressenti, 'vécu'. C'est "l'amour" défini comme la vibration sentimentale psychologiquement ressentie actuellement. L'expérience élémentaire montrant que ce sentiment est fluctuant, on est donc condamné à une épuisante séduction réciproque permanente pour que l'autre ressente cet "amour" à mon égard. Sinon je le perds. La règle du jeu en effet est de se quitter si on ne "s'aime" plus. Pour paraphraser Saint-Exupéry, puisqu'on n'a plus de mystère, d'au-delà de la sexualité, vers lequel regarder ensemble, on est condamné à se regarder l'un l'autre!

La contre-valeur de cette morale est l'abnégation. Se donner, s'oublier, s'abandonner, cela relève de l'esprit d'esclave dénoncé par Nietzsche, de la névrose mise en évidence par Freud, du manque de caractère. Il est donc moralement prescrit de quitter l'autre quand on ne "l'aime" plus. La "fidélité" n'a pour définition que la non tromperie, le non multi-partenariat simultané, c'est-à-dire l'engagement de prévenir celui qu'on quitte quand on a trouvé mieux. Mais la fidélité dans le temps, la foi en la Parole que j'ai dite hier, alors que j'étais dans des sentiments autres qu'aujourd'hui, cette fidélité là est perçue comme immorale et doit être dénoncée.

Il convient donc de distinguer cette morale ambiante de l'absence de toute morale. Il suffit pour s'en convaincre d'écouter la fameuse émission 'Lov'in Fun'. Le rôle de l'immoral, du fou du roi, est joué par Difool. Mais le but de l'émission, et même le rôle de Difool, c'est de mettre en valeur, par contraste, la parole du Doc qui développe avec art et conviction la morale décrite ci-dessus. Et il ne me semble pas du tout neutre que ce moraliste soit un médecin et d'une médecine réduite à une compétence pointue en biologie humaine et rudimentaire en psychologie.

b)... et de proche en proche en toute activité.

Mais de proche en proche c'est toute l'activité humaine qui est réduite à ce jeu de séduction permanente. Non seulement par mimétisme quant à ce qui se passe dans le domaine affectif et sexuel. Mais aussi par une sorte de diffusion de l'érotique qui n'est plus assumé dans une Parole qui le rend chaste et dont les exigences s'emparent alors de tous les secteurs de la vie.

Ainsi quel est le pasteur de jeunes qui, dans les mouvements ou dans les aumôneries, ne s'est pas un jour senti contraint de séduire les jeunes, de bâtir des célébrations où le risque est de faire miroir aux sentiments d'ados indéfiniment prolongés? Quel est l'éducateur qui n'a pas eu à déminer ce qu'il peut y avoir de subrepticement incestueux dans la dynamique de séduction érigée en universel relationnel? Et peut-on, par exemple, reprocher au jeu médiatique de faire la part trop belle au sensationnel, à l'aguichant; n'y aurait-il là que des intérêts mercantiles à court terme; n'y aurait-il pas aussi une logique culturelle de la séduction de plus en plus omniprésente (ou alors les téléspectateurs ne se laisseraient pas prendre)?

IV La nécessaire "descente aux enfers" près des exclus et des souffrants.

Je l'ai dit, c'est près des plus fragiles des citoyens que les ravages de ce tout-séduction se font le plus voir. Précisément parce qu’ils sont les plus fragiles, (mais en ce sens ils nous disent qui nous sommes)! Dans les activités sociales (stages de formation; travail; activités ludiques) la gratification supporte de moins en moins d'être différée. Les travailleurs sociaux s'épuisent à coller à un désir de plus en plus évanescent pour vouloir être trop vite satisfait. Par exemple les stages de formation doivent de plus en plus être précédés de stage de motivation. Car la frustration inhérente à tout processus d'apprentissage n'est plus acceptée. Et les personnalités les plus fragiles disjonctent, éclatent, perdent leurs repères élémentaires dans la fluidité et l'explosivité de l'échange affectif et sexuel induites par le code social en la matière dont nous avons parlé.

a) … près des exclus socialement

C'est pourquoi il faut souhaiter que des éducateurs ou des animateurs pastoraux prennent des initiatives de lieux de parole gratuite spécialement destinés aux plus défavorisés. Il existe ainsi, depuis vingt-cinq ans maintenant à Bordeaux, l'Aumônerie Magdala s'adressant à des jeunes "pour qui la vie quotidienne est dure". Bien que les besoins matériels de ces personnes soient criants, le contrat est qu'à Magdala on ne demande ni ne donne d'argent, on n'aide pas à des démarches directement utiles à la réinsertion sociale. Non! on prend le temps de lire l'Évangile, de célébrer une fois par mois pour rien, pour la seule joie d'entendre et d'accueillir au plus profond de chacun, animateurs et accueillis, la Parole naissant là où elle souffre d'être partout ailleurs étouffée en étant utilisée. S'expérimente alors une histoire, une fidélité au-delà de l'utilitaire. Ce qui s'avère parfois, précisément parce que ce n'était pas recherché au départ, très structurant pour ceux "pour qui la vie quotidienne est dure".

b) Près des blessés de la sexualité

C’est volontairement que je parle avec une périphrase lourde des ‘personnes ayant un vécu prégnant’ que ce soit d’homosexualité, de masturbation ou d’instabilité sexuelle. Je veux par là me démarquer de la qualification que trop souvent, surtout en matière d’homosexualité, on attribut aux personnes elles-mêmes. Ce n’est que par un raccourci de langage, dont il ne faudrait pas que nous soyons dupes, que l’on peut parler de personnes homosexuelles. Au sens strict du terme il n’y a que des actes, ou à la rigueur un vécu subjectif, qui peuvent être qualifier d’homosexuels.

α) Les acquis mal compris des sciences humaines

C’est la mauvaises compréhension des sciences humaines, psychologie et sociologie, dans notre culture qui, pourrait-on dire, fait refluer la phénoménologie sur l’ontologie ou plutôt qui tend à rendre caduque un point de vue ontologique. Que les sciences humaines montrent la grande prégnance des comportements homosexuels habituels sur la subjectivité des personnes c’est légitime et pertinent dans l’ordre de connaissance que développent ces sciences humaines. Car il est vrai que les pulsions homosexuelles sont parfois si intenses, si exclusives, si archaïquement ancrées dans le développement psychologique des personnes que l’on peut parler, mais d’un point de vue psychologique seulement, de structure homosexuelle. Et il est vrai que, sociologiquement, ce vécu subjectif tend à ce que certaines personnes (pas toutes) ayant un vécu prégnant d’homosexualité se regroupent en milieu homogène (pouvant tourner au ghetto, mais pas toujours), ce qui renforce leur sentiment d’appartenir à une essence, à une nature sexuelle particulière.

Mais le vécu subjectif d’une personne ne peut pas, à lui seul, la définir. Nul ne s’appartient au point que seul le regard qu’il a sur lui-même serait pertinent pour le qualifier. C’est un décentrement de soi-même élémentaire que de consentir à dépendre, pour la conscience qu’on a de soi-même, d’autrui, de la culture qui nous façonne, de la société à laquelle on appartient et ultimement de Dieu son créateur. Que ce décentrement de soi-même soit parfois vécu comme une blessure narcissique aigüe c’est vrai, particulièrement en matière de sexualité. Mais cela ne rend pas caduque pour autant l’exigence élémentaire de ne pas faire de soi-même la seule et unique source de la compréhension qu’on a de soi-même.

Car si intense que soit le vécu des homosexuels, ils n’en restent pas moins sexués, hommes ou femmes. Et il n’en reste pas moins vrai que leur sexualité est la trace, en leur chair, de l’ouverture à l’autre, dont l’autre du sexe opposé est le symbole et le ministre naturel. De cela nulle subjectivité ne peut décider que cela n’est pas, sauf à outrepasser les limites de la raison.

Pour accompagner et avoir accompagné un assez grand nombre d’homosexuels je peux me risquer à dire qu’à intensité de vécu homosexuel subjectif comparable, certains comprennent cela et d’autres non. Or ceux qui font le plus de bruit socialement, surtout lors des premières années de l’épidémie du SIDA, ce sont ceux qui sont le plus revendicatifs quant à leur droit à se définir eux-mêmes en fonction exclusivement de leurs affects subjectifs. Mais l’expérience élémentaire montre qu’ils ne sont pas représentatifs de tous ceux qui ont un vécu prégnant d’homosexualité.

Le « droit » à se définir seulement en fonction de son vécu subjectif a débouché logiquement sur le phénomène du transsexualisme. Etre transsexuel c’est revendiquer d’opter pour l’autre sexe si, subjectivement, on se sent y appartenir. Et c’est demander à la médecine, à la justice et aux services d’état civil d’obtempérer.

Dire aux personnes marquées par un lourd vécu d’homosexualité qu’elles ne s’appartiennent pas exclusivement c’est une première libération à leur proposer. Certaines vivent cette invitation à l’ouverture avec reconnaissance, d’autres résistent parfois avec véhémence nous accusant d’homophobie. Nous sommes chargés de le leur dire, le plus délicatement possible certes. Mais nous ne sommes pas chargés de le leur faire croire !

Ce qui est vrai des comportements homosexuels l’est aussi de la masturbation et de l’instabilité hétérosexuelle. Je m’expliquerai pourquoi je traite, dans un premier temps, conjointement de ces trois atypies sexuelles. Disons, pour le moment, qu’il est aussi important de ne pas laisser s’enfermer ces personnes dans leur comportement répété et difficilement réductible.

β) Une blessure sexuelle multiforme
mais de signification homogène

C’est aussi volontairement que je parle de façon groupée, générique, dans un premier temps, des personnes ayant divers vécus subjectifs d’atypie sexuelle : homosexualité, masturbation, instabilité hétérosexuelle. Ces divers comportements, qu’il faudra bien sûr distinguer dans un second temps, me semblent relever d’une même résistance existentielle à l’altérité sexuelle.

Certes la compréhension sociale de ces trois phénomènes est très diverse voire dissonante. La masturbation est secrète et seule l’accompagnement spirituel « au fors interne » peut permettre de comprendre combien est intense très souvent la souffrance morale et spirituelle qui y est liée. L’homosexualité reste infâmante pour de fort larges couches de la population et les revendications véhémentes d’honorabilité de certains ayant un vécu prégnant d’homosexualité sont à comprendre comme une protestation de leur dignité inaliénable. Quant à l’instabilité hétérosexuelle elle est, traditionnellement, pour les hommes, objet de vantardise et pour les femmes, objet d’opprobe. Mais il est vrai qu’il se fait, sur ce plan de l’honorabilité sociale du vagabondage sexuel, une certaine égalisation des sexes.

Mais quelle que soit leur différence de traitement social, ces trois atypies sexuelles sont à comprendre comme une résistance existentielle à l’altérité sexuelle. Résistance existentielle, c’est-à-dire non maîtrise de la raison et/ou de la volonté sur l’acte. S'il s'agit de non-maîtrise de la raison on est devant une conscience erronée. S'il s'agit de non-maîtrise de la volonté on est devant un habitudinaire.

γ) Conduite à tenir pastorale

Les documents magistériels tels Persona Humana, le Catéchisme de l’Eglise Catholique (§ 2357- § 2359), le Catéchisme des Evêques de France (§ 607), la Lettre aux évêques de la Congrégation pour la Doctrine de le Foi du 1er Octobre 1986 au sujet de la pastorale à l’égard des personnes homosexuelles, dont vous avez le texte ci-joint, me semblent unanimes sur trois points :

1) il s’agit d’une « matière grave » objectivement, c’est-à-dire blessant gravement l’aptitude affective et sexuelle des personnes quelle que soit leur culpabilité objective (c’est-à-dire l’imputation possible de ces actes à leur volonté libre) ou subjective (c’est-à-dire leur sentiment de culpabilité) ;
2) il arrive souvent que le consentement éclairé, (c’est-à-dire ou l’accord de la conscience avec la loi morale objective, ou la liberté d’agir, ou les deux) soit obéré de telle façon que la faute objectivement grave peut n’être qu’un péché véniel (CEC § 1862)

3) on ne peut pas inférer de cette fréquence de l’atténuation de la responsabilité pour généraliser et présumer, avant examen concret de chaque cas, notamment dans l’enseignement public de la morale, que les personnes s’adonnant à ces actes sont toutes irresponsables. C'est la responsabilité, c'est-à-dire ce qui est normal, qui doit être présumée. La charge de la preuve doit donc revenir à l'irresponsabilité et non à la responsabilité morale. Le danger d’atteindre la dignité des personnes en les présumant irresponsables peut l’emporter sur le danger de les culpabiliser à tort. Ceci dit le plus souvent la responsabilité est atténuée et non pas ou totalement entière (pardon pour le pléonasme !) ou totalement exténuée.

Dans la pratique les pasteurs et théologiens doivent promouvoir trois attitudes
:
1) la nécessité de parler de ces difficultés, bien sûr sous le sceau du secret, à des conseillers habilités : confesseurs, conseillers spirituels, psychologues avertis si le retentissement psychologique est lourd. Cette parole aux confesseurs ou aux thérapeutes, à la rigueur à de rares amis avertis, n'a donc rien à voir avec l'outing

Conclusion

La compréhension de l’époque que nous vivons doit donc associer fermeté doctrinale et compréhension anthropologique et culturelle. C’est en étant soucieux des pauvres et des blessés de la sexualité que nous pourrons comprendre en quoi la Bonne Nouvelle de l’Évangile est vraie non seulement objectivement, c’est-à-dire expression du désir de Dieu sur l’homme, mais aussi subjectivement, c’est-à-dire pouvant rejoindre chacun dans son vécu.

Arnaud de VAUJUAS

jeudi 10 février 2011

Lire, en groupe,
l’Encyclique ‘Caritas in Veritate’
à l’aide du ‘guide de lecture’ de Jean-Yves Calvez1

(au ‘Chantier’ Solidarité le 11 Janvier 2011)

Il ne s’agit pas ici de faire une conférence sur l’Encyclique ‘Caritas in Veritate’ du 29 Juin 2009. Il s’agit de proposer une méthode pour lire, en groupe, cette Encyclique dans le cadre de la ‘Dynamique Missionnaire’ de notre diocèse de Bordeaux.

Comme beaucoup d’écrits de Benoit XVI, ce texte est limpide et subtil à la fois. La lecture continue risque d’être vite décourageante. C’est pourquoi divers ‘guides de lecture’ ont été proposés. Les responsables du ‘Chantier’ Solidarité on choisi le guide de Jean-Yves CALVEZ, sj. Je me propose de voir comment, à l’aide de cet ouvrage, animer des groupes dans les divers Secteurs et Ensembles pastoraux, Services et Mouvements de notre Diocèse.

« Tout ce qui est simple est faux, tout ce qui n’est pas simple est inutilisable »2 selon Paul VALERY. Je propose, pour chaque chapitre, de procéder en trois temps :
- dégager quelques idées forces par chapitre (ou portion de chapitre pour le chapitre 5)

- lire des paragraphes de l’Encyclique où ces idées sont développées. Il ne s’agit pas de faire un commentaire de ce texte, mais d’entrer en contact avec lui.

- s’interroger pour voir ce qui, dans notre pensée, dans la pensée de notre entourage, puis dans la pensée dominante de notre temps, consonne ou au contraire résiste à ces idées forces.

Pour les deux premiers temps le ‘Guide de lecture’ de Jean-Yves CALVEZ est précieux. Avec un surligneur coloré on peut dégager une ou plusieurs idées forces par chapitre (souvent les intertitres), puis lire les extraits proposés par l’auteur. Pour le troisième temps, le questionnaire en trois temps que je propose (et que je répète ici) doit permettre un échange :

- Qu’est-ce-qui, en moi, consonne et résiste aux idées forces ici développées ?

- id , dans mon entourage, id ?

- id , dans les idées dominantes de notre temps, id ?

Chaque animateur de groupe de lecture peut alors rédiger une ‘fiche de lecture’ avant chaque réunion. Il y a une introduction, six chapitres et une conclusion. Le chapitre 5, qui traite de plusieurs sujets peut être vu en plusieurs fois. De quoi alimenter un groupe mensuel jusqu’à la Saint-André 2011 !

Comme on habite mieux le travail que l’on fait soi-même que celui qui est fait par autrui il est souhaitable que chaque animateur de groupe fasse cette ‘fiche de lecture’. Néanmoins je propose le fruit de cette méthode telle que je l’applique.

I Un plan possible

Introduction : Deux idées forces :
Amour et Vérité
L’homme comme vocation

Amour et Vérité : extrait de &1 page 10

L’homme comme ‘vocation’ : extraits de &3 et &6 page 11

Questionnaire ci-dessus

Chapitre 1 : Quatre idées forces :
La ‘Doctrine sociale’
Le développement authentique
La dimension religieuse dans le développement authentique
Le danger des messianismes de substitution

La Doctrine sociale : extrait de &2 page 13

Le développement authentique : extrait de &8 page 14

La dimension religieuse … : extrait de &12 page 16

Le danger des messianismes… : extrait de &14 page 17

Questionnaire ci-dessus

Chapitre 2 Cinq idées forces :
Les ‘plaies’ du moment
La ‘mondialisation’
Mais où est la sagesse ?
Le sens de l’économie et ses fins
De nouvelles fractures

Les ‘plaies’ du moment : extraits de &21 et &22 pages 22-23

La ‘mondialisation’ : extrait de &25 page 25

Mais où est la sagesse ? : extrait de &30 page 27

Le sens de l’économie et ses fins : extrait de &32 page 28

De nouvelles fractures : extrait de &33 page 28

Questionnaire ci-dessus

Chapitre 3 Quatre idées forces :
Le don
Le marché
Vers la mutation de l’Etat ?
Mondialisation et crise

Le don : extraits de &34 page 32

Le marché : extraits de &36 pages 33-34

Vers la mutation de l’Etat ? : extraits de &41 pages 37-38

Mondialisation et crise : extrait de &42 page 40

Questionnaire ci-dessus

Chapitre 4 : Trois idées forces :
La solidarité
L’éthique en économie
L’environnement

La solidarité : extrait de &44 page 44

L’éthique en économie : extrait de &45 page 46

L’environnement : extraits de &48-50-51 pages 47-49

Questionnaire ci-dessus

Chapitre 5 : Six idées forces
Isolement et développement
Religion(s) et raison
L’aide au développement et à l’éducation
Coopération internationale et migrations
Finance internationale
Réformer l’ONU

Ce chapitre peut être parcouru en deux séances

Isolement et développement : extraits de &53-54 pages 52-53

Religion(s) et raison : extraits de &55-56 pages 54-56

L’aide au développement et à l’éducation : extraits de &58 et 61 pages 56-58

Coopération internationale et migrations : extrait de &62 page 59

La finance internationale : extrait de &65 page 60

Réformer l’ONU : extrait de &67 page 63

Questionnaire ci-dessus

Chapitre 6 :Quatre idées forces
Technique et liberté
Les médias
La bioéthique
Le bien-être émotionnel

Technique et liberté : extraits de &68-69-70-71 pages 66-68

Les médias : extrait de &73 page 69

La bioéthique : extraits de 74-75 pages 70-71

Le bien-être émotionnel : extraits de 76-77 pages 72-73

Questionnaire ci-dessus

Conclusion : Une idée force :
Sans Dieu où va-t-on ?

Sans Dieu où va-t-on ? extrait de 78 page 75

II Avec quelle disposition d’esprit s’engager dans cette lecture de l’Encyclique ?

a) On peut comprendre… à son niveau…

On peut agir… à son niveau…

Le propre des « messianismes de substitution » selon Benoît XVI, des « idéologies » selon Paul VI dans Octagesimo Adveniens, c’est que les questions politiques, économiques et sociales sont très complexes et que seuls des experts (idéologie libérale), des conscientisés (idéologie marxiste) y comprennent quelque chose. La masse doit faire confiance aux experts ou aux conscientisés. C’est le TINA de Margaret Thatcher (‘There is no alternative’).

Or tout le monde, mais à son niveau, peut y comprendre quelque chose et agir en conséquence, modestement certes mais en ‘communion’, en synergie avec d’autres et trouver goût ainsi à l’action politique et sociale…

b)… car l’essentiel est spirituel.

Il y a un combat spirituel, et un seul, qui me traverse, traverse l’Eglise et traverse le monde. Qui traverse ce qui me plaît et ce qui m’irrite en moi, dans l’Eglise et dans le monde. Le propre des « messianismes de substitution » c’est de frontaliser, d’externaliser le mal en me mettant et en mettant les gens de mon ‘parti’ dans le camp du bien et mes ‘adversaires’ dans le camp du mal. C’est le pharisaïsme !

Il y a donc unité de vie entre mon travail de conversion personnelle, mon action dans l’Eglise et mon action dans le monde. Le combat spirituel se joue à trois, l’Esprit saint, l’esprit du monde (qui tous deux travaillent et moi et l’Eglise et le monde) et moi qui reste libre d’opter pour l’un ou pour l’autre.

Or le fruit de l’Esprit se discerne dans le ton du discours et de l’action selon Ga 5 22 c’est ‘l’amour, la paix, la joie, la patience, etc.’. Certes ‘Heureux les doux’ (Mt 5), cela ne veut pas dire heureux les mous. Mais cela signale l’ouverture permanente du cœur à un combat dans lequel nous sommes immergés, dont nous sommes les arbitres mais où nous ne vainquons que dans l’humilité et l’aptitude permanente à nous convertir, à nous remettre en cause.

Pour Benoît XVI le ‘fil rouge’ de ce combat spirituel c’est ‘l’amour’
- qui inclut et dépasse la ‘justice’,
- qui dynamise la recherche de la vérité
- qui s’exprime dans ‘l’étonnante expérience du don’ (CIV &34).

c) Il y a plus de joie à se battre
que dans les résultats de ce combat

Comme le combat spirituel est permanent et jamais gagné (jusqu’à la Parousie exclusivement !) le résultat de mon action politique sera toujours précaire et difficile à discerner. Mais il y a plus de joie à lancer le filet qu’à le relever plein ou vide… (Lc 5).

Formons le vœu que ce parcours initie le désir de lire toute l’Encyclique

Arnaud de VAUJUAS
le 11 Janvier 2011

samedi 5 février 2011

Questions à l’Église
devant l’évolution du cheminement des couples aujourd’hui
Avoir les idées claires pour avoir le cœur large.

(à la Pastorale Familiale de Dax le 5 Février 2011)

Nous sommes passés, dans le dernier tiers du siècle dernier, vingtième du nom, d’une société de subsistance et de proximité de contrainte, à une société de prospérité (relativement à ce qu’on connaissait avant 1960) et de grande mobilité. Cela a entrainé le passage d’une société de contrainte idéologique (qu’elle soit, en France, catholique, communiste, laïcarde-franc-maçonne, protestante, juive ou musulmane) à une société libérale, relativiste, individualiste où chacun doit trouver son propre chemin, en amour comme sur le plan professionnel, politique, religieux, etc…

Nous sommes passés d’une société de crustacés dont la structure est extérieure, à la recherche tâtonnante d’une société de vertébrés, où la structure est intérieure par la métabolisation intime de valeurs reconnues et assumées personnellement. Il est inéluctable que ce travail d’intériorisation soit plus ou moins du bricolage, tant sur le plan des personnes que sur le plan sociétal. Il est inéluctable que nous passions par le stade de mollusques, sans structure, pour passer de l’état de crustacés à l’état de vertébrés.

Que peut faire l’Église dans cette situation, pour rester elle-même et transmettre l’Évangile ?

I Éviter la nostalgie

Nostalgie, nostalgie tu nous guettes ! Non seulement les sexagénaires et plus, mais aussi les plus jeunes, par ouï-dire, se souviennent de la France des années cinquante du siècle dernier. Pas d’union maritale hors mariage ou si peu ! Pas de divorce ou si peu ! Donc pas de familles recomposées, ou si peu, avec leur aller et retour des enfants d’un foyer à l’autre ! Pas de naissance hors mariage, ou si peu. Pas d’homosexualité affichée, ou si peu. Pas de revendication de mariage homosexuel, pas du tout ! Pas de revendication d’homoparentalité, pas du tout ! Période idyllique pourrait-on penser !

Régnait en maître le mariage, union stable entre un homme et une femme publiquement déclarée et célébrée, seul modèle social pour vivre l’affectivité et la sexualité humaines. Les exceptions se cantonnaient quelque part entre l’originalité, au mieux, la honte et l’infamie, le plus souvent.

Mais que nous était-il donc arrivé ? Les habitants d’Europe Occidentale et d’Amérique du Nord étaient-ils donc subitement devenus vicieux, jouisseurs, irresponsables par on ne sait quel sortilège diabolique subit ? Poser la question en ces termes c’est déjà prendre quelque recul avec le mythe simpliste de la décadence qu’impliquerait la réponse positive à une telle question…

Non ça n’est pas si simple ! Il faut y regarder de plus près. Et d’abord exorciser de nous, de notre tête et de notre cœur, les réactions apparemment affectives, en fait mégalomaniaques, qui nous poussent à aimer ou à ne pas aimer notre époque. Quand je suis arrivé comme curé à Talence, où je suis actuellement, un prêtre à la retraite qui m’y attendait m’a écrit : « Ce sera pour toi la plus belle paroisse du monde puisque c’est la paroisse que le Seigneur te donne ». Eh bien il en est de même pour la période que nous vivons. La période que nous vivons est la plus belle période de l’histoire puisque c’est celle que le Seigneur, amoureusement, nous donne à vivre. D’ailleurs nous n’en avons pas d’autres, ce qui montre qu’il est mégalomaniaque de vouloir aimer ou ne pas aimer ce que nous n’avons pas à choisir ! Nous avons à découvrir dans notre époque des merveilles qu’on ne pouvait pas découvrir avant et qu’on ne pourra plus jamais découvrir après, même s’il est vrai aussi qu’on y vit des épreuves qu’on ne vivait pas avant et qu’on ne vivra plus après !. C’est l’amour de notre époque, donc, comme don de Dieu, qui nous pousse à essayer de la comprendre et d’en comprendre la genèse.

II Des fins (institutionnelles) du mariage
aux biens (personnels) des époux.

L’Église a l’odorat fin. Rien n’est plus faux que de dire qu’elle est ringarde et dépassée. Encore faut-il l’écouter en sachant que ce n’est pas France-Soir et autres médias qui sont ses organes officiels ! Depuis le Concile Vatican II, elle a réorienté son enseignement sur le mariage. Dans la Constitution Gaudium et Spes, puis dans l’Encyclique Humanae Vitae et dans l’Exhortation Apostolique Familiaris Consortio on tait, sans le renier, l’enseignement antérieur focalisé sur l’institution sociale du mariage et ses fins (procréation, remède à la concupiscence, aide mutuelle des époux) pour valoriser et enseigner l’amour conjugal et ses biens (union et procréation).

On passe de la théologie de l’œuvre (opus operis), de l’institution du mariage, à la théologie des acteurs, des époux (opus operantis).

Dans une société stable, pré moderne, l’institution va de soi et on en dessine la finalité sociale. Dans une société moderne le sujet surgit face voire contre ce qui jusque là en était le terrain nourricier, la société. Celle-ci est alors sommée d’être au service du bien des personnes. L’attention se tourne alors vers l’accomplissement et l’épanouissement des acteurs.

Dans les sociétés pré modernes on s’aime parce qu’on est mariés, ce qui ne relève pas du libre choix des personnes, ou si peu ! Dans les sociétés modernes on se marie parce qu’on s’aime. Révolution copernicienne !

Ce n’est pas que dans l’enseignement relatif au mariage qu’un tel changement de perspective s’opère. Dans la question, oh combien sensible pour nos amis traditionalistes, de la liberté religieuse, on passe de l’affirmation de la vérité sociale du christianisme, formalisée par la théorie de l’ État catholique, à l’attention aux personnes dans leur cheminement vers la vérité : « La vérité ne s’impose que par la force de la vérité qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance » (DH 2)

Ce n’est pas une mince affaire que d’accompagner ce changement de perspective. Dans les diocèses, les paroisses, se met alors en place une préparation au mariage. Préparation immédiate où, reprenant les trois caractéristiques augustinienne du mariage, fidélité, fécondité, indissolubilité, les fiancés sont appelés à rédiger une déclaration d’intention les incitant à s’engager personnellement, librement dans ce qui autrefois leur était, plus ou moins consciemment, imposé par la société et sa culture dominante. Préparation distale par l’éducation affective et sexuelle que des organismes comme le CLER proposent aux adolescents et aux jeunes. Accompagnement après le mariage dans des mouvements comme les Equipes Notre-Dame…

On tâche de faire prendre conscience aux fidèles que, pour que l’amour humain soit plénier et à la hauteur de leur dignité, ils doivent en recevoir le don de Dieu même. On tâche de leur faire saisir que, en exprimant publiquement leur amour dans le don l’un à l’autre, total et définitif, couronné par le désir que leur soient donnés des enfants, ils sont conformés, configurés à Dieu même qui se donne radicalement, définitivement à l’humanité dans le Christ, époux de l’Eglise.

Petit à petit, non sans crises et sans difficultés certes, le mariage apparaît comme un engagement personnel, une attestation publique que l’homme n’est pas le jouet passif de pulsions anonymes et incontrôlables, mais le bénéficiaire d’un don qui lui fait découvrir ce qu’il est en le conformant à son propre créateur.

Depuis un quart de siècle que je suis prêtre, je puis attester une lente mais puissante évolution de la disposition d’esprit des fiancés que je prépare au mariage en collaboration avec des laïcs. Il y a un quart de siècle bien des fiancés étaient ambivalents dans leurs motivations. Ils se sentaient appelés à un geste que pourtant ils trouvaient ringard. Mais pourtant ils étaient fascinés par lui. Ils se sentaient l’objet d’une pression sociale et pourtant, au bout du compte ils y consentaient.

Aujourd’hui ils se présentent habités par une aventure intérieure mystérieuse, cherchant des mots, une grammaire pour en saisir le sens, l’accueillir, y consentir, l’amplifier. Oui ! on passe vraiment de la posture d’héritiers plus ou moins vindicatifs par rapport à leur héritage à la posture d’inventeurs d’un trésor, de découvreurs d’un mystère caché, de défricheurs d’une aventure fascinante…

III Vivre l’Espérance dans l’espoir
de la progression des personnes

Cette posture nouvelle nous permet d’accueillir sans complaisance certes, mais surtout sans lamentation, les multiples pauvretés, misères, blessures provoquées par notre société sans repère issue de la formidable mutation de la fin du siècle dernier. Oui ! nos fiancés sont, pour la plupart, ignares sur le pan catéchétique. Oui ! ils n’en sont pas, pour beaucoup à la découverte de la vie affective et sexuelle. Oui ! ils sont marqués par la précarité familiale et professionnelle dans laquelle se débat notre société. Oui ! la constance, la persévérance dans l’engagement religieux leur paraît soupçonnable tant ils ont peur du phénomène de secte, de clan, d’enfermement. Mais ils ont soif et demandent un accueil vrai et profond. Ils tâtonnent mais beaucoup cherchent… Ils demandent que leur liberté soit respectée mais ils devinent et expérimentent qu’elle ne peut se déployer que dans un engagement radical respectant l’unicité de chacun…

a) Pour ceux qui ne peuvent pas se marier

Sur un autre plan, c’est avec eux que nous apprenons cette posture d’inventeurs, de découvreurs, de défricheurs qui nous permet, non sans tâtonnements, de chercher comment, aussi, vivre avec justesse et vérité, une vie chrétienne alors qu’on est confronté à l’échec conjugal, aux blessures affectives et sexuelles. Là aussi c’est un long et douloureux chemin que de passer d’une posture vindicative d’un ‘droit à communier’ indifférencié quelle que soit la situation de chacun donc aussi quand on est divorcé-remarié, à la posture d’un accueil inventif de soi-même et de l’amour inconditionnel de Dieu alors qu’on est en situation de ne pas pouvoir être le signe public de Sa fidélité sans faille.

Il y a de la place pour tout le monde dans l’Église mais pas la même place pour tout le monde. Certains peuvent vivre la stabilité affective et sexuelle. Ils n’ont aucun mérite à cela. On connaît la fragilité, la délicatesse, la vulnérabilité de l’équilibre psychologique de chacun en matière affective et sexuelle. Que ceux qui vivent la stabilité affective et sexuelle sachent qu’ils sont les bénéficiaires de multiples dons venant de leur éducation, de leur tempérament personnel, de la chance qu’ils ont eue d’éviter de graves blessures personnelles, bref de multiples dons venant de Dieu et des hommes. Qu’ils redoublent donc d’humilité et ne s’attribuent en rien le mérite de leur vertu. Que la vive conscience de leur fragilité soit le rempart préservant le don qui leur est fait. Ils sont les hérauts de la fidélité conjugale de l’Éternel pour son peuple, du Christ pour son Église. Qu’ils en soient confus et non pas fiers. Je pense que le pharisaïsme plus ou moins rampant des « personnes en situation régulière » est cause de grandes souffrances pour ceux qui ne le sont pas et source de rébellion de leur part quant à leur mission dans l’Église.

Car les personnes qui ne sont pas en situation de manifester dans leur vie la fidélité conjugale sans faille de l’Éternel avec son peuple, du Christ avec l’Église ont une mission importante dans l’Église, très importante, à honorer pleinement. L’Église leur demande de « ne pas désespérer de leur salut ». Arrêtons-nous sur deux termes de cette expression.

« Ne pas désespérer… ». C’est un double négatif, c’est-à-dire une affirmation renforcée. On pourrait traduire par sur-espérer. Oui la voie sacramentelle est la voie ordinaire du salut (je reviendrai sur ce terme). Elle n’est en rien la voie exclusive du salut. C’est très important à considérer à l’époque où de nombreux « hommes de bonne volonté » peinent à reconnaître l’Église comme « lieu de vérité et liberté » comme dit une des prières eucharistiques.

Les sacrements sont un service, un humble service, « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ». C’est ce que répond l’Assemblée au prêtre quand il dit : « Prions ensemble au moment d’offrir le Sacrifice de toute l’Église ». Les fidèles répondent « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ». Ils ne répondent pas « pour notre salut personnel » ! Les sacrements, au-delà de l’Eucharistie seulement, sont « pour la gloire de Dieu et le salut du monde » et non pas d’abord pour le salut de ceux qui les célèbrent !

Cela on le comprend bien pour le sacrement de l’Ordre. On comprend bien que les prêtres ne sont pas prêtres pour leur propre salut d’abord mais pour le service de la communauté et, de proche en proche, pour le monde entier. Même si, mais de façon seconde, c’est aussi une voie de salut pour eux. Éh bien il en est de même pour les six autres sacrements et pour l’Église toute entière sacrement…

Nous avons donc besoin que les chrétiens qui ne sont pas en situation de vivre dans le mariage et dans l’Eucharistie rappellent à ceux qui sont en situation de le vivre qu’ils sont au service « de la gloire de Dieu et du salut du monde » et non pas d’abord à leur propre service…

« … de leur salut ».Ce à quoi l’Église demande de ne pas désespérer, c’est de leur salut. Cessons de considérer le salut comme un sauvetage, comme la réussite à l’examen de passage final que serait le Jugement Dernier. C’est terriblement angoissant comme perspective de réduire le salut à cela. Non le salut est le développement des dons que le Seigneur nous a donnés jusqu’à leur divinisation et la divinisation de notre personne et du monde entier. Les divorcés-remariés sont donc invités à « sur-espérer » en l’épanouissement de leur capacité affective et sexuelle jusqu’à leur divinisation, comme pour tout le monde.

Il est donc très important pour que l’Église toute entière se situe avec justesse dans son humble service sacramentel « pour la gloire de Dieu et le salut du monde » que les chrétiens qui ne vivent pas dans l’économie sacramentelle, dans la voie ordinaire du salut, vivent eux aussi avec justesse, avec joie, avec ‘sur-espérance’ la mission qui leur est donnée. Ce décentrement de tous les fidèles de leur propre service personnel est terriblement important !

Je sens bien que c’est à un renversement copernicien que j’appelle. Le christianisme occidental, après Luther, et bien au-delà du protestantisme proprement dit, est taraudé de façon malsaine par le salut compris comme évitement de la damnation éternelle. En témoigne la longue querelle du jansénisme et de ses avatars jusque tard dans le 20ème siècle.

Le fait que nous soyons passés depuis cinquante ans d’un extrême à l’autre, qu’aujourd’hui nous ayons une religion baba-cool où tout le monde il est beau tout le monde il est gentil occulte la question mais ne la résous pas ! La voie à chercher est celle où tout le monde, selon le don qui lui est fait, aura comme objectif « la gloire de Dieu et le salut du monde » et non pas sa petite angoisse à honorer ou à nier, peu importe. Alors nous pourrons vraiment être sauvés, épanouis, vraiment gratuitement, par Celui dont nous aurons cherché d’abord la Gloire et non pas par notre petite peur avouée ou niée, peu importe.

b) Pour ceux qui sont paralysés devant l’engagement

Passer de l’état de crustacés à l’état de vertébrés présente, je l’ai dit, le risque de rester, dans cette mue, à l’état de mollusques. Bien des personnes vivent leur vie maritale sans engagement ou avec un ‘engagement’ permettant la répudiation unilatérale comme le PACS.

Il y a un combat spirituel, et un seul, et il passe et à travers moi, et à travers l’Église et à travers le monde. Le grand risque, pharisien, est de frontaliser le combat spirituel (alors que le combat spirituel est saggital) de nous mettre dans le camp des bons et les ‘autres’ dans le camp du mal.

La présence, délicate et fraternelle, de chacun au combat spirituel de ses frères éclaire son propre combat spirituel. Être présent, entendre le manque de goût, la peur de l’engagement, la retenue, voire la restriction spirituelle de ceux qui ne se marient pas alors qu’il le pourrait nous renvoie à nos propres peurs, angoisses, restrictions dans notre propre engagement. Comment donner le goût de l’engagement sans creuser en nous la joie de l’abandon, sans méditer d’abord pour nous la Parole de Jésus : « Qui accepte de perdre sa vie pour moi, la sauvera, qui veut garder sa vie pour lui la perdra » (Mt 10 39)

Le danger que s’érode en nous cette dynamique, proprement pascale, de se perdre pour recevoir la vie nous concerne tous. Un vaste travail de réflexion et de conversion est à faire.

Nous sommes donc, tous, pasteurs et peuple, à devoir découvrir à nouveaux frais, les merveilles de l’amour humain dans un monde confus et blessant pour les personnes. Les crises et difficultés de notre époque rendent de plus en plus urgent que nous allions résolument au cœur de la foi.

Arnaud de VAUJUAS,
le 5 Février 2011

Les blessés de la sexualité
dans le mystère de l’Eglise.

(aux frères carmes du Broussey le 12 Octobre 2010)

« Les prostituées et les publicains arrivent avant vous dans le Royaume des cieux » (Mt 21 31). C’est à la lumière de cette parole audacieuse de Jésus qu’il nous faut réfléchir à la place dans le mystère de l’Eglise de ceux qui, de manière particulière, sont blessés dans leur aptitude affective et sexuelle. Je veux parler des personnes ayant un vécu prégnant d’homosexualité ou de pédophilie.

Nous ne sommes ni des psychothérapeutes ni des gardiens de l'ordre moral. Nous nous situons dans une perspective pastorale. Notre ‘job’, si j’ose dire, c’est d’aider les personnes dans leur combat spirituel, combat spirituel dans le quel nous sommes saisis nous-mêmes. Nous sommes donc et face à elles pour les introduire et les soutenir dans l’exigente miséricorde du Seigneur ; et avec elles dans le combat spirituel que nous menons nous aussi. C'est dire qu'il faut nous départir d'emblée de toute attitude de pitié. Selon nous tout combat spirituel est fécond dans la communion des saints, dans le mystère de l'Église. Dans le combat spirituel que tous ont à mener, Dieu demande à chacun rien de moins que tout et il donne à chacun la douce grâce pour y arriver...

I Situer des personnes dans un devenir

a) Des comportements auxquels on ne peut laisser les personnes se réduire.

C’est volontairement que je parle avec une périphrase lourde des ‘personnes ayant un vécu prégnant’ que ce soit d’homosexualité ou de pédophilie. Je veux par là me démarquer de la qualification que trop souvent, surtout en matière d’homosexualité, on attribut aux personnes elles-mêmes. Ce n’est que par un raccourci de langage, dont il ne faudrait pas que nous soyons dupes, que l’on peut parler de personnes homosexuelles. Au sens strict du terme il n’y a que des actes, ou à la rigueur un vécu subjectif, qui peuvent être qualifiés d’homosexuels.

Je rejoins, disant cela, Jean-Claude GUILLEBAUD, dans son livre "La tyrannie du Plaisir" Seuil 1998 pages 331-335 qu'il nous faut citer ici:

"L'homosexualité fonderait-elle, à elle seule, une identité ? Question absurde pour un ancien Grec. Comme on le sait, la pensée grecque ne condamnait pas les pratiques homosexuelles. En revanche, l'absolutisation d'une telle préférence lui était totalement étrangère. A Athènes, il pouvait y avoir des pratiques librement acceptées, il n'existait pas d'homosexualité en tant que telle, c'est-à-dire définitive, exclusive, estampillée.

" "Les Grecs, écrit Foucault, n'opposaient pas, comme deux choix exclusifs, comme deux types de comportements radicalement diffférents, l'amour de son propre sexe et celui de l'autre. Les lignes de partage ne suivaient pas une telle frontière. Ce qui opposait un homme tempérant et maître de lui-même à celui qui s'adonnait aux plaisirs était, du point de vue de la morale, beaucoup plus important que ce qui distinguait entre elles les catégories de plaisirs auxquelles on pouvait se consacrer le plus volontiers. Avoir des moeurs relâchées, c'était ne savoir résister ni aux femmes ni aux garçons, sans que ceci soit plus grave que cela. [...] On peut parler de leur "bisexualité" en pensant au libre choix qu'ils se donnaient entre les deux sexes, mais cette possibilité n'était pas pour eux référée à une structure double, ambivalente et "bisexuelle" du désir. A leurs yeux, ce qui faisait qu'on pouvait désirer un homme ou une femme, c'était tout uniment l'appétit que la nature avait implanté dans le coeur de l'homme pour ceux qui sont "beaux" quel que soit leur sexe"

"Les revendications identitaires d'aujourd'hui seraient, pour un Athénien, littéralement incompréhensibles. Revendique-t-on sans y être contraint un statut qui, une fois obtenu, vous enfermera dans l'étroitesse d'un véritable état civil ? Réclame-t-on le « droit » de se voir désigné et identifié à travers ses seules inclinations amoureuses ? Un homme se résume-t-il à sa sexualité ? Une telle catégorisation paraîtrait non seulement absurde à un contemporain de Plutarque mais choquante quand elle est réclamée par les intéressés eux-mêmes. Ne revient-elle pas à céder de son plein gré aux injonctions du censeur ? N'invite-t-elle pas chacun à placer lui-même un triangle rose sur sa poitrine ? Les Grecs n'étaient pas les seuls à écarter de telles éventualités. Au Moyen Age, il eût paru inacceptable à un voluptueux pratiquant, à l'occasion, la bougrerie d'être catalogué une fois pour toutes comme bougre. Plus tard, un Louis XIII tenté un moment par le sémillant Cinq-Mars (de son vrai nom Henri d'Effiat), un prince de Conti, un Gaston d'Orléans ou un prince de Guéménée, tous sensibles à la séduction des jeunes gens, n'eussent pas accepté d'être définis comme des sodomites appartenant à une communauté du même nom.

"On devrait garder en mémoire un détail chronologique : c'est précisément au XIXe siècle, époque d'apothéose pour le puritanisme bourgeois et le scientisme le plus normatif, que fut "inventée" l'homosexualité en tant que catégorie. Ce n'est pas par hasard. Foucault, encore lui, avait bien repéré cette concomitance et souligné les périls qu'elle annonçait. « La sodomie - celle des anciens droits, civil ou canonique - était un type d'actes interdits ; leur auteur n'en était que le sujet juridique. L'homosexuel du XIXe est devenu un personnage : un passé, une histoire et une enfance, un caractère, une forme de vie ; une morphologie aussi, avec une anatomie indiscrète et peut-être une physiologie mystérieuse. Rien de ce qu'il est au total n'échappe à sa sexualité. [...] Le sodomite était un relaps, l'homosexuel est maintenant une espèce »

"Ce n'est donc pas seulement la culture du ghetto, qu'il faut mettre en cause, c'est cette aliénante catégorisation du désir, cet empressement à énoncer une définition qu'on opposera ensuite aux oppressions supposées en provenance du dehors. Ce fétichisme identitaire, il est vrai, demeure beaucoup plus vif dans le monde anglo-saxon qu'en Europe. Une récente péripétie scientifique a permis de le vérifier. Au début des années 90, la tendance culturaliste et différentialiste de la communauté gaie américaine a conduit une bonne partie de ses membres à accueillir plutôt favorablement l'hypothèse passablement farfelue (et démentie depuis) d'un « gène homosexuel » - le Xq28 -, hypothèse avancée par le docteur Dean Hammer, de l'Institut national du cancer, à Washington.

"Pour ce chercheur, l'homosexualité trouverait son origine dans une particularité génétique présente dès la naissance. Dans son esprit, la découverte de ce marquage biologique était providentielle puisqu'elle venait oindre les gais d'une imparable légitimité, fondée à la fois sur la science et sur un statut de victime. Si les homosexuels sont génétiquement différents, répétait-on outre-Atlantique, cela veut dire qu'ils ne sont pas responsables, ni eux ni leurs parents. On ne saurait donc leur reprocher la nature de leurs désirs, pas plus qu'on ne peut obliger quiconque à répondre de la couleur de sa peau. Le prétendu gène homosexuel permettait aux gais américains d'accéder scientifiquement au « privilège minoritaire », fort gratifiant en Amérique. Cela rendait d'autant plus légitime, ajoutait-on, leur volonté d'afficher leur différence et d'en faire un motif de fierté.

"En France, au contraire, les hypothèses de Dean Hammer ont aussitôt paru effrayantes à la plupart des homosexuels. Il y avait de quoi. Dans leur grande majorité, ces derniers ont très mal réagi à une théorie génétique qu'ils ont assimilée aux délires eugéniques des nazis. Une telle réaction montre qu'en France le communautarisme continue de se heurter à un fond anthropologique et culturel, imprégné d'universalisme. A la différence des Anglo-Saxons, nous n'obéissons pas d'instinct à un réflexe de classification catégorielle, pas plus que nous ne cédons à une inclination spontanée pour la différence. Mais cela ne veut pas dire que nous soyons à l'abri d'une telle dérive. La tentation communautariste, comme on le sait, progresse dans nos pays latins, que ce soit à propos de l'homosexualité, en matière de religion, d'ethnie, de langue, etc.

"Ces discussions, décidément, ne sont pas anecdotiques...

[...}

"Il n'est pas inutile, parfois, de reprendre les choses à leur début. En fin de compte, à quelle intention fondatrice obéissait la libéralisation des moeurs ? Au souci d'élargir au maximum le champ des libertés individuelles. A supposer que cela fût souhaitable, restait à se demander de quelle manière cette liberté serait la mieux assurée pour ce qui concerne l'homosexualité. Par la différence revendiquée ou par l'indifférence reconquise ? Par le regroupement tribal ou la fantaisie de chacun. On reconnaîtra aux adversaires du communautarisme le mérite d'avoir placé la question sur le bon terrain.

"Risquons une hypothèse : c'est parce qu'elle refusait toute idée de maîtrise personnelle des désirs, parce qu'elle s'interdisait de voir dans cet empire sur soi-même, comme les Grecs, le seul vrai critère transcendant les préférences, que la modernité en est venue à catégoriser ces mêmes préférences. Il ne restait plus que cela pour classifier les hommes ; une prétendue nature - homo, hétéro, bi, etc. - substituée aux classifications de jadis, qui avaient partie liée avec la volonté. Depuis une trentaine d'années, pour la vulgate permissive, l'effusion sans limites, l'assouvissement éperdu constituaient la seule valeur positive. Celui qui jouissait sans entrave était moderne; celui qui se défiait du « tyran Éros » ou demeurait fidèle à quelques convictions était archaïque. Dorénavant, on ne serait plus répertorié comme chaste ou libertin, maître de soi ou soumis à ses pulsions, volontariste ou jouisseur, ascète ou débauché, etc. On ne pouvait l'être que par les particularités régionales de son désir.

"Il y avait là un tour de passe-passe sans doute moins libérateur qu'on ne l'imaginait. En échange de cette licence nouvelle, il était tacitement admis en effet que nul n'échapperait plus à la spécificité de son plaisir. Il était même convenu que ce n'était pas souhaitable. Quiconque aurait cédé à une inclination amoureuse - homosexuelle ou autre - se trouverait sommé de se reconnaître en elle et d'en accepter le statut. Une sommation sans guère d'échappatoire. Qu'il la rejette, et il lui serait reproché d'être honteux de soi-même ou de manquer de courage ; qu'il s'y rallie, et la communauté des semblables serait aussitôt là pour le défendre... et l'absorber. Terrible alternative, quand on y réfléchit bien. Et pourtant. Combien de variations littéraires ne furent-elles pas publiées sur ce thème obsessionnel de l'acceptation ? Combien de professions de foi auront brodé sur l'idée d'une « victoire remportée sur la honte » ou d'une « vérité » qu'on a eu le courage de « regarder en face ». J'ai enfin pu m'accepter comme homosexuel, etc.

"On ne s'est pas beaucoup demandé si la liberté y gagnait réellement au change. On n'a pas vu qu'un émiettement aussi tranché - et public - des désirs risquait de devenir tout simplement totalitaire...

b) Les acquis mal compris des sciences humaines

C’est la mauvaises compréhension des sciences humaines, psychologie et sociologie, dans notre culture qui, pourrait-on dire, fait refluer la phénoménologie sur l’ontologie ou plutôt qui tend à rendre caduque un point de vue ontologique. Que les sciences humaines montrent la grande prégnance des comportements homosexuels habituels sur la subjectivité des personnes c’est légitime et pertinent dans l’ordre de connaissance que développent ces sciences humaines. Car il est vrai que les pulsions homosexuelles sont parfois si intenses, si exclusives, si archaïquement ancrées dans le développement psychologique des personnes que l’on peut parler, mais d’un point de vue psychologique seulement, de structure homosexuelle. Et il est vrai que, sociologiquement, ce vécu subjectif tend à ce que certaines personnes (pas toutes) ayant un vécu prégnant d’homosexualité se regroupent en milieu homogène (pouvant tourner au ghetto, mais pas toujours), ce qui renforce leur sentiment d’appartenir à une essence, à une nature sexuelle particulière.

Mais le vécu subjectif d’une personne ne peut pas, à lui seul, la définir. Nul ne s’appartient au point que seul le regard qu’il a sur lui-même serait pertinent pour le qualifier. C’est un décentrement de soi-même élémentaire que de consentir à dépendre, pour la conscience qu’on a de soi-même, d’autrui, de la culture qui nous façonne, de la société à laquelle on appartient et ultimement de Dieu son créateur. Que ce décentrement de soi-même soit parfois vécu comme une blessure narcissique aigüe c’est vrai, particulièrement en matière de sexualité. Mais cela ne rend pas caduque pour autant l’exigence élémentaire de ne pas faire de soi-même la seule et unique source de la compréhension qu’on a de soi-même.

Car si intense que soit le vécu des homosexuels, ils n’en restent pas moins sexués, hommes ou femmes. Et il n’en reste pas moins vrai que leur sexualité est la trace, en leur chair, de l’ouverture à l’autre, dont l’autre du sexe opposé est le symbole et le ministre naturel. De cela nulle subjectivité ne peut décider que cela n’est pas, sauf à outrepasser les limites de la raison.

Pour accompagner et avoir accompagné un assez grand nombre d’homosexuels je peux me risquer à dire qu’à intensité de vécu homosexuel subjectif comparable, certains comprennent cela et d’autres non. Or ceux qui font le plus de bruit socialement, surtout lors des premières années de l’épidémie du SIDA, ce sont ceux qui sont le plus revendicatifs quant à leur droit à se définir eux-mêmes en fonction exclusivement de leurs affects subjectifs. Mais l’expérience élémentaire montrent qu’ils ne sont pas représentaitifs de tous ceux qui ont un vécu prégnant d’homosexualité.

Le « droit » à se définir seulement en fonction de son vécu subjectif a débouché logiquement sur le phénomène du transexualisme. Etre transexuel c’est revendiquer d’opter pour l’autre sexe si, subjectivement, on se sent y appartenir. Et c’est demander à la médecine, à la justice et aux services d’état civil d’optempérer.

Dire aux personnes marquées par un lourd vécu d’homosexualité qu’elles ne s’appartiennent pas exclusivement c’est une première libération à leur proposer. Certaines vivent cette invitation à l’ouverture avec reconnaissance, d’autres résistent parfois avec véhémence nous accusant d’homophobie. Nous sommes chargés de le leur dire, le plus délicatement possible certes. Mais nous ne sommes pas chargés de le leur faire croire !

c) Conduite à tenir pastorale

Les documents magistériels tels Persona Humana (Congrégation pour la Doctrine de la Foi 29 Décembre 1975), le Catéchisme de l’Eglise Catholique (§ 2357- § 2359), le Catéchisme des Evêques de France (§ 607), la Lettre aux évêques de la Congrégation pour la Doctrine de le Foi du 1er Octobre 1986 au sujet de la pastorale à l’égard des personnes homosexuelles me semblent unamines sur trois points :

1) il s’agit d’une « matière grave » objectivement, c’est-à-dire blessant gravement l’aptitude affective et sexuelle des personnes quelle que soit leur culpabilité objective (c’est-à-dire l’imputation possible de ces actes à leur volonté libre) ou subjective (c’est-à-dire leur sentiment de culpabilité) ;

2) il arrive souvent que le consentement éclairé, (c’est-à-dire ou l’accord de la conscience avec la loi morale objective, ou la liberté d’agir, ou les deux) soit obéré de telle façon que la faute objectivement grave peut n’être qu’un péché véniel (CEC § 1862)

3) on ne peut pas inférer de cette fréquence de l’atténuation de la responsabilité pour généraliser et présumer, avant examen concret de chaque cas, notamment dans l’enseignement public de la morale, que les personnes s’adonnant à ces actes sont toutes irresponsables. C'est la responsabilité, c'est-à-dire ce qui est normal, qui doit être présumée. La charge de la preuve doit donc revenir à l'irresponsabilité et non à la responsabilité morale. Le danger d’atteindre la dignité des personnes en les présumant irresponsables peut l’emporter sur le danger de les culpabiliser à tort. Ceci dit le plus souvent la responsabilité est atténuée et non pas ou totalement entière (pardon pour le pléonasme !) ou totalement exténuée.

Dans la pratique les pasteurs et théologiens doivent promouvoir trois attitudes :

1) la nécessité de parler de ces difficultés, bien sûr sous le sceau du secret, à des conseillers habilités : confesseurs, conseillers spirituels, psychologues avertis si le retentissement psychologique est lourd . Cette parole aux confesseurs ou aux thérapeutes, à la rigueur à de rares amis avertis, n'a donc rien à voir avec l'outing public et fanfaron. En ce sens l’impératif du Concile de Trente de parler de tous les péchés mortels commis est sain anthropologiquement ;

2) le doute sur la responsabilité réelle, si la conscience est plus ou moins en désaccord avec l'enseignement de l'Église et/ou si sa liberté est obérée, peut rester sans que cela ne soit une excuse pour ne pas parler. On doit donc avouer en confession ses actes à matière grave même si on a des doutes sur l'accord de sa conscience et/ou sa liberté de les commettre (mais on doit aussi dire ces doutes sur ces points aux confesseurs) ; seul le Seigneur sonde les reins et les cœurs ; seul Il connaît la gravité réelle de nos péchés surtout en cette matière délicate ;

3) s’il y a « habitude », pour employer un langage traditionnel en morale, ou « complusivité » pour employer un langage psychologique, il faut déplacer la lutte morale de l’évitement de chaque acte, ce qui est généralement vain, à la libération de la liberté par l’ascèse, la prière, l’accompagnement spirituel, la psychothérapie si nécessaire.

II Fécondité de la souffrance et de la tentation pour l’Eglise

Etre lucide sur la gravité morale des blessures de la sexualité ne suffit pas. Encore faut-il accueillir pleinement nos frères affrontés à ces difficultés, loin de toute pitié ou marginalisation dans l’Eglise. Or la difficulté à tenir ensemble lucidité morale et accueil fraternel me semble venir de la difficulté à donner un sens fécond à la souffrance. En effet la tentation est une souffrance.

Cette question de la fécondité de la souffrance, longuement développée dans la Lettre Apostolique de Jean-Paul II du 11 Février 1984« Salvifici Doloris » a été occultée, ces dernières décennies, en réaction contre le dolorisme qui aurait prévalu à l'époque antérieure. Pour dire vite, car cette question de la fécondité de la souffrance dépasse le cadre de cette intervention, disons que le dolorisme considère la souffrance comme automatiquement féconde. La saine spiritualité de la souffrance féconde considère l’amour dans la souffrance comme seul fécond. La souffrance n’est alors considérée comme une occasion d’aimer. Mais c’est l’occasion qu’a vécue Jésus.

Toujours est-il que les souffrants, et parmi eux les personnes tentées dans leur équilibre sexuel, ont une fécondité possible pour l’Eglise et que leur responsabilité est grande de la déployer ou pas. Que cette fécondité soit aussi invisible aux yeux de la chair que la fécondité des contemplatifs renforce plutôt que dimininue cette fécondité.

Rien n’est inutile pour l’Eglise et il est urgent de redonner toute leur place à ceux qui, aux côtés de Jésus lui-même, sont tentés et luttent. Il est urgent de leur redonner cette fierté. Dieu, en Jésus tenté et en Jésus en Croix, est sur leur chemin, à leurs côtés dans la lutte. Et non pas seulement dans un toujours souhaitable bout du chemin, le jour où leurs diffiucltés exitentielles seraient vaincues.

Quant aux habitudes il faut les considérer comme jamais définitives et lutter contre elles comme je l’ai dit par la prière, l’ascèse, l’accompagnement spirituel et si nécessaire psychologique. Là aussi c’est la lutte qui est compagnonnage avec Jésus et non pas seulement quelque résultat prometteur. Ceci dit, ceux-ci, quand ils adviennent, sont bons à prendre comme toute consolation.

III La responsabilité sociale dans le cas de la pédophilie.

Un acte pédophile est un acte sexuel avec un enfant, c'est-à-dire imposé à cet enfant. Tout enfant, en effet, est incapable de donner son consentement éclairé à un tel acte. L'acte pédophile est donc équiparé à un viol tant sur le plan juridique que psychologique et moral.

Dans tous les pays, à ma connaissance, l'acte pédophile est un crime ou au moins un délit selon la gravité de l'outrage sexuel. Il est du devoir de tout citoyen de lutter contre les crimes.

Concrétement nous, pasteurs, pouvons avoir connaissance d'actes pédophiles par deux biais, le for interne ou le for externe.

a) au for interne

On appelle for interne le statut d'une confidence faite à un "confident nécessaire", parmi lesquels les ministres du culte. Ces confidences sont protégées par le secret professionnel. Nous pouvons recevoir des confidences relatives à des actes pédophiles soit par la victime de ces actes ou leur entourage proche comme les parents ou les camarades, soit par le coupable de ces actes.

Nous devons exhorter les victimes et leur entourage proche à dénoncer le crime (ou à ce niveau de notre connaissance des faits le crime seulement probable). Même si la justice des hommes n'a pas pour objet la thérapie des victimes, l'énoncé solennel du droit est de la plus haute importance pour la thérapie de ces victimes. Tout ce qui paraîtrait protection d'un criminel même seulement probable sous prétexte de son prestige ou de notre proximité institutionnelle avec lui serait désastreux pour la victime. Nous devons nous poser la question: 'Et s'il s'agissait d'un viol, et s'il s'agissait d'un homicide... comment agirais-je ?'.

De même nous devons, au for interne, exhorter le coupable qui se confierait à nous à se dénoncer surtout pour le bien du ou des victimes qui ont droit, je l'ai dit, pour se relever que le droit soit solennellement proclamé. Mais aussi les coupables pour se relever ont besoin que leur crime soit dit comme tel et socialement puni comme tel. Dans le sacrement de la Réconciliation nous pouvons, si nous le jugeons nécessaire, donner une absolution conditionnelle, sous réserve que le pécheur ait le ferme propos de se dénoncer.

b) au for externe

On appelle for externe le statut d'un acte connu hors de la confidence qu'en fait un des protagonistes. Au for externe nous sommes comme tout le monde! Nous devons dénoncer ou, si nous ne sommes pas sûrs, signaler les crimes connus de nous. Nous devons enseigner que la non-dénonciation de crime est un délit.

Conclusion

Belle, ce qui est appréhendable par la raison naturelle, bafouée par le péché qui n’est appréhendable que sous l’horizon du pardon révélé, la sexualité humaine peut être occasion d’action de grâce quelles que soient les circonstances. Dans la tentation apparaît la beauté redoublée du salut non seulement donné mais au don duquel on peut participer en étant associé au Sauveur.

Arnaud de VAUJUAS