vendredi 25 mai 2012


Réhabilitation, un enjeu spirituel ?

(à Cadillac, le 22 Mai 2012)
Comment peut-on dire, aujourd’hui, en ce début de XXIème siècle, qu’il y a un enjeu spirituel dans la réhabilitation des personnes socialement marginalisées, réprouvées. Après avoir situé, dans un premier temps, ce qu’est la vie spirituelle, je dirai, dans un deuxième temps, comment la foi plus spécifiquement chrétienne voit la réhabilitation ; dans un troisième temps je donnerai quelques exemples vécus dans une œuvre de réhabilitation chrétienne aujourd’hui, le Mouvement du Nid.

I Qu’est-ce-que la vie spirituelle ?

Le Père Lataste a vécu dans un monde beaucoup moins pluraliste religieusement que le nôtre. Le Christianisme, et surtout le Catholicisme, était quasiment le seul pourvoyeur de sens ultime dans la société d’alors. Il y avait bien quelques rares minorités culturelles, quelques fortes têtes qui contestaient cette hégémonie, mais elle était massive. La situation est tout autre aujourd’hui : on passe d’une religion de tradition à des religions d’adhésion, de conviction. Si bien que nous ne pouvons plus confondre ici et aujourd’hui vie spirituelle et vie chrétienne…
Mais alors qu’est-ce-que la vie spirituelle ? Eh bien, nous avons tous mille et une raisons de trouver que la vie a un sens, a du goût et mille et une raisons de penser qu’elle est absurde, révoltante ; nous avons mille et une raisons de parier sur la confiance et l’amour et mille et une raisons de nous replier sur nous-mêmes et de n’avoir de relation avec les autres que dans la mesure où ils peuvent nous servir à quelque chose ; nous avons mille et une raisons de préférer la vie à la mort et mille et une raisons de préférer la mort à la vie.
La vie spirituelle c’est que qui nous fait préférer le sens à l’absurde, l’amour à la manipulation d’autrui, la vie à la mort. A ce tarif-là, me direz-vous, beaucoup sont des Monsieur Jourdain de la vie spirituelle : ils mènent un combat spirituel quotidien comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, mais ils ne le savent pas. Et c’est bien vrai.
Mais c’est devant l’épreuve, le mal, la souffrance, le scandale que se fait pressante la nécessité de passer de l’inconscient, du non-dit au conscient, à l’explicite suffisamment argumenté, suffisamment élaboré pour tenir le choc devant le déni de sens, devant ce qui est révoltant.

II La religion du Dieu crucifié

La religion du Dieu Crucifié permet de vivre cette rencontre gratuite et féconde avec ceux qui dont le cœur est brisé, broyé. Dans cette rencontre, se révèle aux croyants le visage de Celui qu’ils cherchent.
« Les pauvres sont nos maîtres » disait saint Vincent de Paul, un autre grand ami des pauvres issu du Sud-ouest de la France. Nous avons tous des failles, des difficultés, des culpabilités, mais certains d’entre nous n’ont pas les moyens de le cacher, ça se voit socialement plus chez eux. Mais, ce faisant, ils nous révèlent à nous-mêmes. Ils nous invitent à faire la vérité en nous-mêmes, à jeter les masques si nous voulons vraiment les rencontrer en vérité, en frères. Et, par le fait même, nous faire rencontrer par eux.
C’est là, me semble-t-il, un des aspects les plus forts de l’œuvre et de la spiritualité du (bientôt) bienheureux Père Lataste. D’autres œuvres maintenaient une différences de statuts entre les « filles repenties » et leurs (ré)éducatrices. Les Dominicaines de Béthanie faisaient vivre dans un même statut les sœurs dont le passé manifestait, de façon socialement visible, les failles, les culpabilités inhérentes à tout être humain et les sœurs apparemment plus préservées, de façon socialement visible, par les difficultés de la vie.
Certes le silence était de rigueur sur le passé des unes et des autres. Mais les monastères contemplatifs sont des bocaux où les sœurs vivent sous le regard les unes des autres dans une inéluctable promiscuité. Si des sœurs s’étaient senties spirituellement moins bénéficiaires de la miséricorde divine, si elles s’étaient senties supérieures spirituellement la cohabitation aurait vite été infernale…
En nous recentrant sur la miséricorde divine, donc sur notre misère, nous rencontrons le Dieu de l’Evangile comme le dit l’Evangile du Jugement Dernier : « J’étais en prison et vous m’avez visité ». Alors peut être touché le ressort le plus intime et de celui qui, de façon socialement visible, a le cœur brisé, broyé et de celui qui apparemment est plus préservé mais qui est à la recherche de la vérité plus cachée en lui. Cette rencontre se joue dans un insu dévoilé en permanence : « Mais quand donc sommes-nous venu te voir en prison ? »

III Toucher le ressort le plus intime

Toucher le ressort le plus intime de chacun… Voilà ce vers quoi tendent les membres du Mouvement du Nid à Bordeaux et ailleurs. Deux par deux nous allons « au contact », comme on dit, des personnes prostituées sur les quais de la Garonne. Dans un apprivoisement réciproque digne de Saint-Exupéry, de son Petit Prince et de son Renard nous tendons à toucher le ressort le plus intime de celles dont la dignité est bafouée. Mais encore une fois c’est à la recherche aussi et de nous-mêmes et du Dieu Crucifié que nous sommes.
Rencontre gratuite dont la fécondité est insondable. Rarement néanmoins, mais réellement, des signes nous sont donnés qu’un ressort a été touché. Alors nous pouvons passer la main à des travailleurs sociaux qui ont la technique des aides sociales de réhabilitation…
P. Arnaud de VAUJUAS, curé de Talence

Marie au Concile Vatican II

(au sanctuaire de Talence, le 20 Mai 2012)
Il y a quinze jours nous avons contemplé Marie recevant son Fils crucifié dans ses bras. Dans sa tendresse maternelle pointe lespérance car Marie unit son regard au regard re-suscitant du Père. Dans le visage du Crucifié, regardé avec tant d'amour, visiblement par Marie et invisiblement par le Père, se dessine donc déjà le visage du Ressuscité. Et c'est chacun de nous qui se sent appelé à se laisser saisir, dans sa fragilité librement consentie, par le regard re-suscitant du Père, dont l'écho visible, dans ce temps prépascal où nous cheminons encore, est le regard plein d'amour de Marie.
Il y a huit jours nous avons rappelé qu'en Christ, passant par la mort et la Résurrection, c'est la création toute entière qui "gémit dans les douleurs de l'enfantement attendant la Révélation des Fils de Dieu" (Rm 8). Nous unissant au regard de Marie, écho donc du regard du Père, notre prière d'intersession embrasse ce qu'embrasse la Pâque du Seigneur..., le devenir social et cosmique de lunivers.
Aujourd'hui contemplons en Marie regardant le Crucifié le jaillissement de l'Église en faisant écho à l'enseignement du Concile Vatican II.

I Le Concile Vatican II, un Concile ecclésiologique

Vatican II est avant tout un Concile ecclésiologique, cest-à-dire qui approfondit le mystère de lEglise. On venait de vivre une époque de vifs conflits entre lEglise et le monde environnant à la suite de la Révolution Française. On vivait dans une certaine arrogance du développement technique, scientifique, social dont on voulait croire quil apporterait félicité et bonheur. Mais apparaissaient les signes précurseurs dun désenchantement.
Et lEglise se sentait appelé à ne plus se comprendre face au monde mais dans le monde dont elle sentait leuphorie du progrès s’épuiser. Elle sentait devoir se comprendre en fonction de la Mission que lui confiait le Christ et non plus en réaction par rapport à un environnement hostile.
Et lEglise a relativisé sa dimension institutionnelle, cest-à-dire la mise en relation avec son mystère plus profond. La Constitution Dogmatique LUMEN GENTIUM aborde le mystère de lEglise dabord comme Peuple de Dieu, Corps du Christ, Temple de lEsprit, avant de réfléchir à sa structuration institutionnelle hiérarchique.
Cest donc sans difficulté que lappel universel à la sainteté est compris comme la vocation de tous. Et Marie, la première dans la hiérarchie de sainteté, mais non dans la hiérarchie de service où cest Pierre qui est le premier, Marie, donc, est logiquement présentée comme larchétype de lEglise, son modèle.

II Le Concile Vatican II, un Concile compatissant

Or cest en se faisant la voix des sans voix, en se proclamant solidaire dabord des pauvres et de ceux qui souffrent que lEglise cesse de se comprendre dabord face à un monde hostile pour se comprendre dans un monde, non point sympathique ou antipathique, mais traversé par le combat spirituel qui traverse chacun de nous, qui traverse lEglise, qui traverse ce monde et qui a sa source dans le Cœur de Jésus, Lui qui a été tenté et au Désert et à Gethsémani.
Cest ainsi que les premiers mots de la Constitution Pastorale GAUDIUM ET SPES disent : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. »

III Le Concile Vatican II, un Concile marial

Jose donc dire que les Pietas, dont lessor, nous lavons dit il y a quinze jours, date dil y a six à sept siècles, peuvent être lues comme prémonitoires de Vatican II.
Le Pape Paul VI, le 7 décembre 1965, jour de la clôture du Concile Vatican II en a ressaisi le dynamisme profond en disant : « L'humanisme laïque et profane enfin est apparu dans sa terrible stature et a, en un certain sens, défié le Concile. La religion du Dieu qui s'est fait homme s'est rencontrée avec la religion (car c'en est une) de l'homme qui se fait Dieu. Qu'est-il arrivé ? Un choc, une lutte, un anathème ? Cela pouvait arriver ; mais cela n'a pas eu lieu. La vieille histoire du bon Samaritain a été le modèle et la règle de la spiritualité du Concile. Une sympathie sans bornes pour les hommes l'a envahi tout entier. La découverte et l'étude des besoins humains (et ils sont d'autant plus grands que le fils de la terre se fait plus grand), a absorbé l'attention de notre Synode. Reconnaissez-lui au moins ce mérite, vous, humanistes modernes, qui renoncez à la transcendance des choses suprêmes, et sachez reconnaître notre nouvel humanisme : nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l'homme. . » http://docs.leforumcatholique.org/src/DOCUFCNUM7.html
Cest par la Parabole du Bon Samaritain que le Pape Paul VI caractérise lattitude de fond du Concile Vatican II. Il y a plusieurs lectures possibles de cette Parabole. On peut faire de Jésus (ou ici de lEglise) le Bon Samaritain et de lhomme pécheur (ici lhomme moderne) le Blessé sur le bord de la route.
Mais on peut aussi faire de Jésus le Blessé sur le bord du chemin et de chacun de nous, et de lEglise, et de Marie, le Bon Samaritain. Cette seconde lecture coïncide avec la figure des Pietas. Elle nous fait comprendre en quoi nous ne sommes pas seulement bénéficiaires de la grâce salvatrice de Jésus mais associés au don de cette grâce.
Nest-ce pas là le mystère le plus profond de Marie.
P. Arnaud de VAUJUAS, curé

Avec Marie,
présentons le Christ au monde.

(au Sanctuaire de Talence le 13 Mai 2012)
Dimanche dernier nous avons médité sur la fécondité paradoxale de Marie, recevant son Fils mort dans ses bras. Nous avons vu comment Marie, et donc le Père Eternel avec elle, engendrent Jésus  pas seulement de sa conception à sa naissance mais tout au long de sa vie. Comme chacun de nous est fils et de son père et de sa mère tout au long de sa vie, Jésus est fils de son Père et de sa mère tout au long de sa vie… et de son éternité.
C’est pourquoi d’ailleurs en récitant le rosaire, nous proclamons à chaque « mystère », l’Annonciation, la salutation évangélique comme pour proclamer que cette Annonciation, et le Fiat, le oui, de Marie sont perpétuels tout au long de la vie de Jésus. Et notamment lors du cinquième mystère douloureux, la Mort de Jésus qu’illustrent les Piétas et, parmi elles Notre-Dame de Talence.
Or, et c’est ce que nous méditerons aujourd’hui, tout ce qui advient au Christ, advient au Monde. Car dit saint Jean dans le Prologue de son Evangile : « l’univers n’a existé que par Lui et rien n’a existé sans Lui » (Jn 1,3, Traduction de la ‘Bible des Peuples’). Saint Paul écrit dans sa Lettre aux Colossiens que le Christ est « pour toute créature le Premier-Né, car en Lui tout a été créé, dans les cieux et sur la terre, l’univers visible et invisible […] tout a été créé grâce à Lui et pour Lui ; Il était là avant tous et tout se tient en Lui » (Col 1,15-17, même traduction).
Paul résumera tout en disant en Romains 8 : « Le monde créé attend que les fils et filles de Dieu viennent au grand jour : c’est cela qui ne le laisse pas en repos. Car si la création actuellement n’a pas d’avenir, cela ne vient pas d’elle mais de celui qui lui a imposé ce destin. Il lui reste cependant une espérance : la création aussi cessera de travailler pour ce qui se défait, et recevra sa part de liberté et de gloire des enfants de Dieu. Nous voyons bien que toute la création gémit et souffre comme pour un enfantement. » (Rm 8 19-22, même traduction)
Il y a donc bien plus que Jésus en ce Jésus mort en attente de Résurrection qui gît entre les bras de Marie. Il y a « toute la création qui gémit dans les douleurs de l’enfantement. » Sous le regard amoureux de Marie qui, associé au regard du Père éternel, nous l’avons vu dimanche dernier, re-suscite, suscite à nouveau, la vie de Jésus, se trouve aussi toute la création actuelle en désir d’enfantement de la création nouvelle.
Et notre prière est appelée humblement certes mais avec audace à rejoindre ce regard ressuscitant cosmique de Marie. Nous sommes invités à rejoindre avec Marie le combat spirituel qui traverse la création.
Ce n’est que du sein de ce regard aimant et ressuscitant que nous pourrons trouver les mots, les attitudes, le dynamisme pour annoncer au monde qui nous entoure qu’il est appelé à la gloire du Christ.
Nous y serons aidés par l’enseignement récent de l’Eglise. Je ne cite ici que deux documents mais il y en aurait beaucoup d’autres.
La Constitution Pastorale Gaudium et Spes du Concile Vatican II proclame en son numéro 39 :  « Les valeurs de dignité, de communion fraternelle et de liberté, tous ces fruits de notre nature et de notre industrie, que nous aurons propagés sur terre selon le commandement du Seigneur et dans son Esprit, nous les retrouverons plus tard, mais purifiés de toute souillure, illuminés, transfigurés, lorsque le Christ remettra à son Père « un Royaume éternel et universel : Royaume de vérité et de vie, Royaume de sainteté et de grâce, Royaume de justice, d’amour et de paix [79] ». Mystérieusement, le Royaume est déjà présent sur cette terre ; il atteindra sa perfection quand le Seigneur reviendra. »
L’encyclique Spe Salvi de Benoit XVI du 30 Novembre 2007 proclame en son numéro 37: «  la souffrance fait […] partie de l'existence humaine. Elle découle, d'une part, de notre finitude et, de l'autre, de la somme de fautes qui, au cours de l'histoire, s'est accumulée et qui encore aujourd'hui grandit sans cesse. Il faut certainement faire tout ce qui est possible pour atténuer la souffrance […] mais l'éliminer complètement du monde n'est pas dans nos possibilités […]. Dieu seul pourrait le réaliser: seul un Dieu qui entre personnellement dans l'histoire en se faisant homme et qui y souffre. Nous savons que ce Dieu existe et donc que ce pouvoir qui « enlève le péché du monde » (Jn 1, 29) est présent dans le monde. Par la foi dans l'existence de ce pouvoir, l'espérance de la guérison du monde est apparue dans l'histoire. Mais il s'agit précisément d'espérance et non encore d'accomplissement; espérance qui nous donne le courage de nous mettre du côté du bien même là où cela semble sans espérance. »
Seul l’amplitude de ce regard qui associe 1° la Pâque du Seigneur Jésus,  2° nos petites Pâques quotidiennes, 3° la Pâque cosmique peut donner vraiment sens à notre existence. Car deux écueils nous guettent : d’une part l’intimisme spirituel (‘je n’ai qu’une âme qu’il faut sauver’) qui peut nous faire sombrer dans la mièvrerie sentimentale ; d’autre part les délires mégalomaniaques totalitaires qui, voulant sauver le monde en sacrifiant les personnes, ont défiguré le vingtième siècle.
Le regard amoureux et recréant de Marie sur son Fils rejoint chacun de nous dans son cœur. Mais ouvrant le cœur de chacun à la dimension du cœur de Jésus, il le fait consonner au mystère du monde entier. Alors de même que chacun en contemplant Jésus est invité à consentir à sa fragilité pour y découvrir la possibilité, la faculté d’y rencontrer le Dieu crucifié, de même notre monde ivre et inquiet à la fois de sa puissance technologique sera invité à consentir à sa fragilité, seul lieu de sa possible unité et de son accueil de Dieu.
Car le Concile Vatican II (encore lui) dit en Lumen Gentium 1,1 : «  L’Église étant, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain, elle se propose de mettre dans une plus vive lumière, pour ses fidèles et pour le monde entier, en se rattachant à l’enseignement des précédents Conciles, sa propre nature et sa mission universelle. À ce devoir qui est celui de l’Église, les conditions présentes ajoutent une nouvelle urgence : il faut que tous les hommes, désormais plus étroitement unis entre eux par les liens sociaux, techniques, culturels, réalisent également leur pleine unité dans le Christ. »
En ce temps de désenchantement idéologique, faisant suite à l’échec des idéologies mégalomaniaques du siècle dernier, il nous faut réentendre l’enseignement biblique sur la seigneurie cosmique du Christ et l’appel missionnaire de notre Eglise. Or nous ne le pourrons que si la contemplation du Crucifié dans les bras de sa mère ne nous fait pas compatir seulement à la souffrance de chacun mais nous incite à consonner au monde qui gémit dans les douleurs de l’enfantement.
Arnaud de VAUJUAS    
le 13 Mai 2012.

 Avec Marie, accueillons le Christ souffrant...
(au Sanctuaire de Talence le 6 Mai 2012)
Qui voit-on d'abord quand on regarde la statue de Notre-Dame de Talence ? D'abord la Vierge tenant le Christ mort dans ses bras ? Ou d'abord le Christ mort tenu par la Vierge Marie ? Ce que nous voyons parle de nous, plus que de la statue elle-même...
 Le vocable Notre-Dame de Talence nous ferait croire qu'on voit d'abord la Vierge. Pourtant, matériellement, c'est bien le Christ qui est au premier plan. Mais surtout, théologiquement, même mort le Christ reste le Seigneur et Marie, et nous avec, restons les serviteurs...
D'autre part que fait la Vierge, et nous avec elle ?  Est-ce qu'elle accueille en ses bras son Fils mort descendu de la Croix? Ou bien Le présente-t-elle au monde?
Les deux bien sûr! Mais pour présenter le Christ au monde encore nous faut-il d'abord l'accueillir.  C'est pourquoi pendant ce premier enseignement nous tâcherons avec Marie d'accueillir Jésus,  Jésus mort pour nos péchés. Lors du prochain enseignement nous présenterons Jésus au monde avec Marie.
I Avec Marie accueillons le Christ qui librement s'est laissé vaincre...
Une anecdote: il y a quelques 25 ans alors que j'étais jeune prêtre, j'accompagnais un groupe d'accueillis du Secours Catholique à Lourdes.  C'était des personnes visiblement marquées par les difficultés de la vie. Marginalisées socialement, elles subissaient quotidiennement de nombreuses humiliations.
J'ai entendu d'elles trois choses pendant leur séjour à Lourdes. D'abord ici on peut "poser nos valises", disaient-elles, c'est à dire être accueillis tels que nous sommes, sans être jugés. Et cela, deuxièmement, parce qu'ici les souffrants sont les premiers: il n'y a qu'à voir comment les malades passent les premiers dans les files d'attente. Et troisièmement Bernadette c'est l'une des nôtres. Comme elle le disait elle-même si Marie avait trouvé plus pauvre qu'elle à Lourdes sans doute lui serait-elle apparue plutôt qu'à elle, Bernadette...
Bien sûr, ici nous sommes à Talence et non pas à Lourdes. Mais c'est tout de même bien la même  Marie qui apparaît à Lourdes  et qui est vénérée  ici à Talence...
L'an dernier, le père Jean-Marc NICOLAS nous a dit comment les 'Pieta', les Vierges au Christ mort, descendu de la Croix, s'étaient diffusées pendant le quatorzième siècle, le siècle précédent celui où fut sculptée notre statue, le 'siècle de fer', le siècle terrible, le siècle de la Guerre de Cent Ans, de la grande peste, du grand schisme d'Occident... Ce siècle aux antipodes de nos fameuses 'Trente Glorieuses' du vingtième siècle qui ont vu le dernier déclin en date de la vénération de Notre Dame de Talence...
Ces Piétas, nous a-t-il été dit, étaient placées dans les mouroirs où agonisaient les pestiférés pour les inciter à "connaître Christ, et la puissance de sa résurrection, et la communion à ses souffrances, en devenant conforme à lui dans sa mort, pour parvenir,si possible, à la résurrection d'entre les morts" comme avait dit saint Paul aux Philippiens (3:10-11).
Bref, en se montrant accueilli par Marie, après s'être laissé vaincre par la souffrance et la mort, Jésus nous appelle à désarmer, à nous laisser vaincre nous aussi comme lui s'est laissé vaincre, mais de la façon dont lui s'est laissé vaincre et non pas autrement.
Car Jésus ne s'est pas laissé vaincre passivement par faiblesse, par démission, mais activement par amour. Il a désarmé Pierre. Il n'a pas sollicité la légion d'anges qui aurait pu lui porter secours. Mais, surtout, à son dernier repas, il s'est activement donné à nous dans son corps et dans son sang.
Sa fragilité il l'a donc librement choisie, exposée, dévoilée. Il y a consenti. Se faisant il consentait à être Fils et non point Père. Car être Fils c'est recevoir sa vie, son être d'un autre que soi-même, ne pas être à soi-même son propre soutien, sa propre source...
Or nul ne peut être fils d'un seul. Tout homme en étant fils de son père est aussi fils de sa mère. Le Père Éternel en envoyant son Fils Éternel dans le monde pour que le monde soit sauvé a voulu que son Fils soit aussi le Fils de Marie!
En renonçant à se défendre contre ceux qui vont le mettre à mort, Jésus consent à s'en remettre à un Autre, à son Père, à être Fils donc et donc, indissociablement, Fils du Père Éternel et Fils de Marie. Or "le Père nul ne l'a jamais vu" (Jn 1 18). Marie, oui on l'a vue.
Le fait que Jésus soit Fils, le fait qu'il consente librement à ne dépendre que du Père, n'apparait jamais tant que quand il dit: "Ma vie nul ne la prend mais c'est moi qui la donne" (Jn 10 18). Et la maternité de Marie n'apparaît aussi jamais tant que là. Les Piétas nous disent qu'on ne peut donc se donner aux autres que si on se reçoit des autres. Jésus s'y montre donné à nous jusqu'au bout se recevant encore et toujours de sa mère, et donc de son Père.
Nous sommes là aux antipodes d'une générosité héroïque narcissique, d'une générosité où, donc, celui qui se donnerait aux autres se regarderait lui- même en train de se donner, en train d'avoir cette attitude généreuse !
II Avec Jésus, laissons nous engendrer par Marie.
Bien des pélerins viennent à Talence "poser leur valise", comme me disaient ces accueillis du Secours Catholique à Lourdes. Ils viennent déposer entre les mains de Marie recevant son Fils mort leurs épreuves, leurs soucis, leurs angoisses.
Ce faisant, ils reconnaissent comme Dieu, Fils de Dieu, cet homme mort, Jésus, mort de s'être donné jusqu'au bout, mais comme engendré encore en cela même par sa mère et donc aussi par son Père, le Père Eternel.
C'est certainement une puissante incitation pour les pèlerins à ne pas se laisser accabler, à se laisser rejoindre au sein même de leurs difficultés et de leurs épreuves par un Dieu dont la Toute-Puissance est alors Toute-Puissance d'amour, d'intimité inouïe, de configuration avec ce qu'il y a de plus faible. "Ce qu'il y a de faible dans le monde, dira saint Paul aux dockers de Corinthe, voilà ce que Dieu a choisi pour vaincre ce qui est fort" (1Co 1 27). L'amour apparaît pour ce qu'il est : Toute-puissante résonance de vulnérabilités librement consenties.
De cet amour naît donc l'engendrement. Comme les époux appellent à la vie un enfant en laissant résonner leur intimité, leur vulnérabilité librement dévoilée, la figure du Ressuscité se laisse espérée en la faiblesse ultime librement consentie de Jésus recueillie par Marie.
Alors peut-être pouvons-nous progresser dans notre combat spirituel ! Car nous sommes toujours menacés par la prière païenne, magique, faisant appel à une divinité dont on pourrait capter la bienveillance magique par forces imprécations pieuses. Nous risquons toujours, en quantifiant nos prières, en nous regardant prier, de vouloir séduire ou contraindre la divinité à faire notre volonté qu'elle le veuille ou non. Surtout si, souffrants, nous nous posons en victimes. La révolte peut prendre le masque d'une certaine piété.
En regardant Jésus naître à la Vie Nouvelle de Ressuscité qui déjà transparaît dans le visage du Crucifié, nous sommes au contraire invités à l'oblation active, à l'offrande de nous-mêmes aux côtés de Jésus, de la façon dont il se donne Lui-même. Point donc de résignation passive, de fatalisme mais consentement à ce que la Vie sourde de la fragilité consentie et offerte.
Cette attitude est déjà annonce de l'Évangile. Mais de cela nous parlerons dimanche prochain.
P. Arnaud de VAUJUAS, curé