samedi 2 février 2013


Mariage pour qui ?

(à Arcachon le 1er Février 2013)



<<< Le mariage est l'objet de vifs débats dans notre pays remettant en question la 
compréhension que beaucoup de chrétiens en ont. Mais plutôt que de jouir de sulfureux 
délices pharisaïsants consistant à gémir sur les malheurs de notre temps en nous prenant 
pour des purs égarés et incompris dans un monde pourri, je propose, ce soir, d'explorer 
les merveilleux fondements de la compréhension chrétienne du mariage et de la filiation. 
La différence de culture entre les idées dominantes de notre temps et l'héritage chrétien 
doit, par contraste, nous permettre de mieux saisir les merveilles de la compréhension 
chrétienne du mariage et de la filiation, de nous y abreuver et d'en repartir plus forts pour 
affronter le combat spirituel dans lequel nous vivons tous.

<<< Après avoir brièvement brossé l'état de notre culture contemporaine sur le mariage,
nous étudierons donc en contraste la compréhension biblique de la sexualité et du
mariage. En retour nous verrons quelle attitude peuvent adopter les chrétiens face à la
culture contemporaine.

I Le mariage dans la mutation culturelle de notre temps


<<< Écoutons d'abord saint Thomas d'Aquin exposer en quelques mots la compréhension
classique du mariage : "Un enfant ne peut recevoir l'éducation et l'instruction familiale que 
s'il a des parents certains et connus, ce qui ne se produirait pas si aucun lien obligatoire 
ne liait, l'un à l'autre, l'homme et la femme. Or c'est en cela que consiste le mariage" (Saint
Thomas d'Aquin, Somme Théologique, IIIa, q.41, art. 1)

<<< Telle était la compréhension classique du mariage et de la filiation qui est remise en
cause aujourd'hui. Et cela avant tout sur le plan culturel plus que sur le plan moral. La
culture c'est la compréhension que l'on a, l'image que l'on se fait et de l'homme et de Dieu
et du monde. Ensuite les hommes agissent en fonction de la culture dans laquelle ils
baignent.

<<< Or, comme le disent Adorno et d'Horkheimer, philosophes cités par le Pape Benoît XVI
dans son Encyclique de 2007 'Spe Salvi' §42, le monde apparaît aux hommes de notre
temps comme chosifié, inhabité de toute présence. Et de façon éminente, le corps humain
est perçu par les hommes de notre temps comme une chose inhabitée de tout sens, de
toute signification et donc malléable, modifiable à merci. Citons Jean-Paul II dans son
Encyclique de 1993 'Veritatis Splendor' §48 : «Une liberté qui prétend être absolue finit par 
traiter le corps humain comme un donné brut, dépourvu de signification et de valeur 
morales tant que la liberté ne l’a pas saisi dans son projet. En conséquence, la nature 
humaine et le corps apparaissent comme des présupposés ou des préliminaires, 
matériellement nécessaires au choix de la liberté, mais extrinsèques à la personne, au 
sujet et à l’acte humain.» Pour la culture contemporaine le corps humain est 'ça' et non
plus 'moi' !

<<< Tant que le corps humain était perçu comme partie intégrante de la personne et son
expression propre, l'enfant' dans son corps et donc dans toute sa personne, était perçu
comme le fruit de l'union personnelle, donc corporelle, de ses géniteurs. La raison
commune suffisait donc à comprendre qu'il est préférable qu'un enfant soit élevé par ses
géniteurs biologiques, institués parents par la société sur la foi de leur déclaration
commune qu'ils sont les géniteurs biologiques de l'enfant, avec les devoirs et droits
inhérents à cette position de parents. Mais si le corps est désormais  un donné brut,
dépourvu de signification  il devient sans importance majeure que l'enfant soit élevé par
ceux du corps de qui son corps est issu. On peut, si nécessaire, le concevoir extracorporellement, ignorer d'où viennent les gamètes dont il est originaire, envisager que la
femme qui l'a porté pendant neuf mois s'en détache à la fin de la grossesse. Importera
seulement le lien psycho-affectif, éducatif et culturel que tisseront avec lui ses parents. Il
faut donc qualifier ces 'parents' d'un nouveau genre de décorporés et post-nataux.

<<< Notre culture, éblouie par son génie de fabricateur, nie donc que le corps ait quelque
sens, quelque signification lisible par l'esprit humain mais non pas créable par lui. Alors va
de soi la légitimation morale de l'homosexualité et la licéité morale d'utiliser au maximum
les progrès incessants de la biologie dans la transmission de la vie humaine. Nous ne
pouvons plus penser le mariage, la filiation comme si c'est deux mutations culturelles
majeures (légitimité de l'homosexualité et des prouesses biologiques) n'avaient pas lieu
sous nos yeux en ce moment.

II Le mariage dans l'anthropologie biblique.


<<< Voyons maintenant l'anthropologie biblique du corps sexué et du mariage, sachant que
nous y trouverons une compréhension fort différente de celle de notre culture !

<<< Pour les catholiques, si la raison naturelle seule suffit en principe à s'assurer des
fondements de l'agir moral, cette raison naturelle, pratiquement blessée par le péché, est
puissamment aidée par la Révélation pour parvenir à cette fin. Certes j'approuve l'attitude
de l'Église Catholique consistant, dans une société pluraliste et laïque, à ne développer
son argumentation que sur la base d'une vision de l'homme, d'une anthropologie,
accessible à tous, catholiques ou non. Mais puisque ce soir nous sommes entre chrétiens,
plus précisément entre catholiques accueillant fraternellement des protestants dans un
soucis de dialogue œcuménique, je puiserai largement dans l'anthropologie biblique pour
asseoir mon propos.

<<< Mes frères, nous sommes tous une chair désirante issue de l'étreinte surabondante de
deux chairs désirantes. C'est notre identité indépassable. Si nous ne nous comprenons
pas nous-mêmes ainsi, nous risquons fort d'être en dissonance, en tension avec nous-mêmes et nous chercherons sur une fausse piste la compréhension de notre énigme.

<<<  Le concept de chair désirante est central en anthropologie biblique. En Genèse 2 23
l'homme en voyant la femme s'écrit : "Voilà l'os de mes os et la chair de ma chair ! On 
l'appellera : femme " Et l'auteur biblique poursuit : "À cause de cela l'homme quittera son 
père et sa mère, il s'attachera à sa femme et tous deux ne feront plus qu'un". Voilà donc
comment apparaît la chair désirante en Genèse 2 : un être corporel, à la fois identique et
différent de moi, qui est perçu par moi comme plus moi-même que moi-même (os de mes 
os et chair de ma chair) et cela dans un dynamisme jamais achevé où l'on quitte ses
racines (père et mère) dans une tension vers l'être désiré où de façon permanente deux
ne font plus qu'un. C'est ce qu'on appelle l'altérité.

<<< En Genèse 1 27, cette altérité, cette dualité désirante tendant à ne plus faire qu'un, est
qualifiée d''image de Dieu' : " Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, 
il les créa homme et femme. Dieu les bénit et leur dit : 'Soyez féconds et multipliez-vous' ".
Quelques versets plus loin l'auteur biblique s'écrit : "Dieu vit tout ce qu'il avait fait : c'était 
très bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : ce fut le sixième jour". Notons que ce qui est
créé les cinq premiers jours est seulement qualifié de 'bon'. L'homme, créé homme et
femme à l'image de Dieu, est seul qualifié de 'très bon'.

<<< L'expérience de l'altérité sexuelle désirante est donc l'expérience existentielle de base
permettant de comprendre l'altérité de Dieu vis-à-vis de l'homme. C'est la grammaire
élémentaire, existentielle, permettant de comprendre qui est Dieu pour l'homme. Il y a
synergie telle que plus on comprend l'altérité sexuelle désirante plus on peut comprendre
qui est Dieu pour l'homme et l'homme pour Dieu. Et réciproquement plus on comprend ce
qu'est l'altérité de Dieu vis à vis de l'homme, plus on comprend l'altérité sexuelle humaine.

<<< C'est pourquoi saint Paul en Rm 1 établit un lien entre le refus de Dieu et
l'homosexualité :
25 [Les païens] ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge ; ils ont adoré et servi 
les créatures au lieu du Créateur, lui qui est béni éternellement. Amen.  
26 C'est pourquoi Dieu les a livrés à des passions déshonorantes. Chez eux, les femmes 
ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature.  
27 De même, les hommes ont abandonné les rapports naturels avec les femmes pour 
brûler de désir les uns pour les autres ; les hommes font avec les hommes des choses 
infâmes, et ils reçoivent en retour dans leur propre personne ce qui devait leur arriver pour 
leur égarement."
dit saint Paul dans l'Épître aux Romains (1 25-27 traduction liturgique).

<<< On voit à ce texte que le refus de Dieu s'exprime d'abord par l'homosexualité
féminine puis en conséquence par l'homosexualité masculine. Comme si l'humanité sans
Dieu était une humanité qui faisait l'amour avec elle-même. En effet dans le Premier
Testament, l'Éternel est époux d'Israël, jamais épouse. Parfois, certes, Il peut avoir les
traits féminins d'une mère, mais jamais d'une épouse (cf Osée, Ézéchiel...).

<<< Car la configuration des sexes est significative, symbolique de l'altérité de Dieu. Dans
l'humanité, il y a des réceptrices et des pénétrants. L'humanité est féminine, c'est-à-dire
réceptrice du don de Dieu. Dieu intervient dans l'histoire de l'humanité, comme un époux
intervient dans le corps de son épouse, la pénétrant par intermittence, lui donnant la
semence de vie et se retirant. L'humanité reçoit le don de Dieu, le couve et en accouche le
moment venu. Dieu n'a pas de sexe bien sûr mais il est compris par l'homme comme
masculin. C'est un anthropomorphisme certes, mais c'est un anthropomorphisme
inéluctable car l'homme ne sait pas concevoir un être non sexué...

<<< L'altérité n'est pas seulement la différence respectée, elle est la différence comprise
comme révélant à lui-même celui accueille le différent, plus qu'il ne pourrait se
comprendre lui-même ou que ne pourrait lui permettre de se comprendre un semblable.
C'est le phénomène de l'amour: "Je suis plus moi-même sous ton regard que je ne le
serais seul. Et réciproquement, tu es plus toi-même sous mon regard que tu ne le serais
seul."

<<< Saint Paul dans la Première Épître aux Corinthiens expose et déploit les trois puis
quatre dimensions de la corporéité du Christ. Aux chapîtres 5-7 est déployée la corporéité
d'époux du Christ, au chapître 11 sa corporéité eucharistique, au chapître 12 sa corporéité
ecclésiale, au chapître 15 sa corporéité glorieuse. Nulle religion n'a plus le culte du corps
que le christianisme !

<<< "Et le Verbe s'est fait chair" dira saint Jean dans le Prologue de son Évangile (Jn 1
14). Il y a donc totale convenance entre l'Être éternel de Dieu, dans son éternelle
communion trinitaire, et l'aptitude à la communion de la chair humaine telle qu'en parle la
Genèse.

III "Là où le péché abonde la grâce surabonde" (Rm 5 20).


<<< On pourrait désespérer en voyant le radical antagonisme entre la compréhension
contemporaine du corps humain, chosifié, instrumentalisé, et sa compréhension biblique.
De la compréhension chosifiante du corps sourdent les revendications actuelles de
'mariage pour tous' et demain très probablement de fabrication d'enfants les plus
inimaginables encore aujourd'hui. De la compréhension biblique sourd l'infini respect pour
ce qui est ennobli par l'incarnation du Fils de Dieu et donc lieu incontournable de toute
communion avec Dieu et entre les hommes.

<<< Et pourtant l'Église n'est pas un bloc idéologique qui s'opposerait à ceux qu'elle a
toujours mission d'évangéliser. Certes le combat politique a sa légitimité, il est nécessaire
en son ordre propre et comporte inéluctablement un durcissement, un simplisme des
postures. Mais précisément l'évangélisation n'est pas de cet ordre !

<<< Car l'Évangile éclaire le combat spirituel de tous. En effet, d'une part voir le péché
n'empêche pas d'y succomber et le pharisien, dans sa posture de pur dans un monde
pourri, cache mal sa vulnérabilité, sa peur face à ce dont il veut se démarquer avec trop
de véhémence. D'autre part le militant anti-chrétien peut, tel Paul de Tarse, être
inconsciemment travaillé par ce qu'il combat.

<<< Les témoins du Christ doivent donc tendre à être et humbles et lucides, tels des
veilleurs qui voient poindre le jour, figure du Christ sans cesse triomphant... Sur deux
points, entre autres, nous devons être prompts à voir le jour se lever : la vulnérabilité de ce
qu'on appelle aujourd'hui l'orientation sexuelle et la résistance du corps à être réduit à
n'être qu'une chose.

<<< La pression des 'lobby gay' voudrait nous faire croire qu'il y a des catégories
étanches, d'homosexuels ou d'hétérosexuels, comme il y a des hommes et des femmes.
Or la stabilité, l'exclusivité, l'intensité des désirs sexuels sont variables, comme le laisse
percevoir l'apparition d'une troisième catégorie dite de 'bisexuels' ou comme le laisse voir
l'existence de soi-disant parents homo-parentaux qui sont en fait des parents ayant eu des
enfants d'une union hétérosexuelle et s'étant mis en ménage homosexuel ultérieurement.
Je ne nie pas qu'il y ait des personnes au comportement exclusivement et stablement ou
homosexuel ou hétérosexuel. Mais il faut aussi veiller à ce qu'on enferme pas ou que l'on
ne laisse pas s'enfermer les personnes dans des catégories subjectives qui n'auront
jamais la même réalité que les catégories objectives d'hommes et de femmes.

<<< Deuxièmement le corps humain résistera toujours à sa chosification. Il faut s'attendre
à ce que des enfants conçus de 'donneurs anonymes', dans la cadre de couples
formellement parentaux homo ou hétérosexuels d'ailleurs, aient du mal à supporter leur
cécité quant à leur origine corporelle. Il faut s'attendre à ce que des mères 'porteuses'
'seulement gestatives' aient du mal à se séparer finalement du fruit de leurs entrailles et
que les enfants ainsi portés ne cherchent à connaître celle qui les a portés.

<<< Bref le nouvel ordre sexuel pourrait ne pas être qu'euphorique ! Il reviendra alors aux
disciples du Christ d'aider à comprendre pourquoi, d'annoncer la compréhension biblique
du corps et d'aider ainsi chacun à faire la vérité.
P. Arnaud de VAUJUAS, 
Arcachon le 1er Février 2013.