jeudi 7 novembre 2013

Création et histoire (à l'ISFEC Aquitaine le 7 Novembre 2013)

Création et histoire
(1er Cours d'anthropologie chrétienne à l'ISFEC-Aquitaine en 2013-2014)


D'où l'homme vient-il ? Où va-t-il ? Peut-il avoir quelque connaissance de son origine et de sa destinée ? Si oui peut-il avoir quelqu'emprise, quelqu'influence sur son devenir ? Quelle est, alors, la place de l'amour, de la souffrance, de la mort, de la morale dans son devenir ?

Et quel est le statut épistémologique de la connaissance que l'on peut avoir de ces questions qui sont tellement impliquantes, saisissantes qu'on les qualifie de questions existentielles ? Quelle y est la place de la physique astronomique, de la préhistoire, de l'histoire, de l'ethnologie, de la psychologie, de la sociologie, de la théologie etc...? Et ces questions qui doivent ainsi être abordées par tant de facettes ne sont-elles pas en fait tellement inépuisables qu'on ne peut se dispenser finalement pour les comprendre de quelque adhésion libre et confiante, qu'on appelle 'foi', à des compréhensions culturelles et sociales éprouvées, qu'on appelle 'religions' ? Ou d'un refus d'adhésion non moins libre et confiant... ?

Ces questions sont incontournables tant au niveau personnel qu'au niveau culturel. On peut certes en dénier la pertinence en proclamant d'emblée un agnosticisme radical. Car le brassage croissant des idées et des populations relativise toutes les représentations culturelles et religieuses traditionnelles sur ces questions. Mais il provoque aussi des réactions identitaires fanatiques, symptômes d'un malaise devant le vide de toute réponse à ces questions existentielles. Et à bien y regarder tant cet agnosticisme radical que ces réactions identitaires fanatiques se nourrissent les uns des autres; et ils se nourrissent les uns et les autres d'une ignorance, d'une peur, d'un refus d'assumer son 'métier d'homme' qui est d'explorer ces questions et de s'y situer humblement et résolument...

Ces questions sont d'une importance primordiale dans l'éducation. Éduquer c'est faire sortir un sujet (personnel ou collectif c'est-à-dire culturel) d'une situation confuse, inquiétante, vers une situation plus élaborée, plus confiante, plus heureuse où une direction indiquée, un chemin esquissé font espérer une vie plus heureuse. Tant le fanatisme identitaire que l'agnosticisme radical démissionnaire sont anti-éducatifs. Les enfants et adolescents qui nous sont confiés ont besoin d'éducateurs qui les initient à l'art d'appréhender les questions existentielles humblement et résolument parce que eux-mêmes s'y sont risqués... Ils ont droits à de tels éducateurs. Les témoins à ce niveau sont plus féconds que les maîtres à penser...

Dans cette première séance nous aborderons la compréhension chrétienne de l'origine de l'univers et de l'homme: la "création".

I La création, origine de l'histoire et mise en responsabilité de l'homme

Dans son livre 'Bible, mythes et récits de commencement' Pierre GIBERT montre comment dans le chapitre 2 du premier livre de la Bible, la Genèse, le récit principal de la création, (car il y a plusieurs 'récits' de création dans la Bible, nous en reparlerons) relève d'une 'sortie de mythe', relativement à ce que sont les récits de commencement que l'on peut connaître dans les religions environnantes de l'Ancien Orient. Et ce sur deux points fondamentaux :
-le 'commencement', décrit dans ce récit de création, se situe dans le même temps que celui que vivent ici et maintenant et le narrateur et les auditeurs de ce récit;
-la situation des héros-ancêtres initiaux (Adam et Ève) sont mis dès le début en situation de responsabilité morale et échouent dans cette mise en responsabilité. Ce sont des héros minables, des anti-héros incapables de permettre, de la part de leurs descendants, un transfert identitaire positif, psychologique et politique.

Développons ces deux originalités du récit principal biblique. Puis nous verrons en quoi ce récit du commencement est le transfert protologique, le transfert 'au début', d'une expérience d'un peuple d'esclaves libérés, les Hébreux de 1350 avant notre ère.

l'origine insaisissable et saisissante

- Quand est-ce-que ça 'commence' ?

Mais d'abord voyons comment fonctionne un mythe des origines sur le plan psychologique, politique et culturel... La première chose à comprendre est que l'origine d'une situation existentielle, c'est-à-dire subjectivement impliquante, est objectivement inaccessible. C'est la définition même d'une situation impliquante, existentielle. Par exemple le moment où je me suis réveillé ce matin est insaisissable puisque quand je me suis aperçu que j'étais réveillé, j'étais en fait réveillé depuis quelque temps, de telle façon que je n'ai pas pu m'observer en train de me réveiller. De même, heureusement que je n'ai pas cherché à saisir hier au soir le moment où je me suis endormi, sans cela j'aurai passé une nuit blanche...

Et ce qui est vrai de chacune de nos journées est vrai de notre vie, au sens existentiel. Je n'ai aucun souvenir, aucune connaissance, de ma naissance, si tant est que ma naissance soit le 'commencement' de mon existence; ou de la fécondation de l'œuf humain que je suis devenu... (ou dont je suis issu... comment dire?) si on place là le 'commencement' de mon existence... Non pas avant tout parce qu'alors je n'avais pas la capacité intellectuelle de comprendre ce qui se passait; mais plus radicalement parce qu'on ne peut pas être présent à son propre passage du néant à l'être ! Car pour y avoir été présent il aurait fallu que nous ayions été !

Et ce qui est vrai de chacun de nous est vrai des peuples, des collectifs dont nous sommes membres. Dire que la Gaule est devenue la France au baptême de Clovis est une lecture a posteriori, après qu'un certain nombres d'êtres humains se soient sentis français et aient donc voulu se raconter le 'commencement' de ce qu'ils étaient... Clovis n'aurait rien compris si on lui avait dit que la France 'commençait' à son baptême... Si on faisait l'histoire de l'histoire de France on verrait que le 'commencement' du pays change selon les siècles et l'image, la représentation de ce dont on veut fixer le début, l'émergence (op. cit p. 32-33).

- la contingence

Nous explorons, par ces considérations sur l'origine insaisissable, ce qu'on appelle la contingence. Est contingent ce qui est et aurait pu ne pas être. (La contingence se distingue de la nécessité. Est nécessaire ce qui ne pourrait pas ne pas être). Or chacun de nous est contingent: il est mais il aurait pu se faire qu'il ne soit pas. Il est, mais c'est une situation de fait et non pas de droit, de nécessité. Il est mais pour avoir droit à être, il aurait fallu qu'il soit avant d'être... Nous ne sommes pas à nous-mêmes un dû mais un don...

C'est peut-être une blessure narcissique que je vous inflige là mais il est nécessaire à notre santé mentale à tous que nous nous apercevions que la planète aurait pu se passer de chacun de nous sans tourner beaucoup plus mal et qu'elle aura probablement le toupet de continuer à tourner sans nous sans trop de dommages...

Et nous connaissons tous, autour de nous, des personnes qui ne font pas le pas, à la fois psychologique et spirituel, de consentir à leur contingence et, si elles le font, de s'en féliciter c'est-à-dire d'y être heureuses! Ces personnes sécrètent plus ou moins consciemment autour d'elles dans leur famille, leur travail, leur vie associative, des situations où elles sont indispensables. Et elles recrutent sans difficulté autour d'elles des personnes avides d'être protégées et dominées (des enfants psychologiquement!) et qui avalisent cette posture (parentale psychologiquement!) d'être indispensable... Y en a qui jouent au papa et à la maman toute leur vie... J'ai un mal fou dans ma paroisse à faire comprendre à certains que tout le monde est bienvenu et peut être utile mais que personne n'est indispensable sauf dans le cimetière de la paroisse...

Consentir à sa contingence et même s'en féliciter ne peut pas faire l'économie de passer par une certaine angoisse et de la dépasser. C'est 'normalement' à l'adolescence que ce pas se fait. L'enfant bénéficie d'une protection de son environnement telle qu'il en conclut que s'il est, c'est qu'il est normal, nécessaire, qu'il soit. Quand, à la puberté, des affects nouveaux surviennent, quand on passe de la situation de bénéficiaire d'affections protectrices non libidineuses à la situation de chercheur, de quêteur d'affections beaucoup plus impliquantes parce qu'habitées par le désir, la possibilité d'être aimé et de pouvoir aimer n'est plus évidente. Ce qui est souhaitable, désirable pourrait ne pas être... C'est l'âge où l'angoisse peut faire crier: "Mais je n'ai pas demandé à exister..." Ce qui est, strictement parlant, exact... car pour demander à exister il aurait fallu exister... C'est la prise de conscience de la contingence !

"Au secours j'aurais pu ne pas être... Youpi je suis! (ou Alleluia je suis, si vous voulez 'faire Catho')". Tel est le chemin spirituel et psychologique que nous avons tous à parcourir. Sans consentir à nous affronter à l'angoisse existentielle nous ne parviendrons jamais à la jubilation existentielle !

- le commencement saisissant: l'origine racontée

Or l'angoisse existentielle (qui nous assaille tous) quêtant la promesse de la jubilation (vers laquelle nous tendons tous) s'exprime de façon narrative de telle façon que le commencement se raconte sous le mode de l'origine.  Le 'commencement' est ce qui, de moi, est sans rupture de continuité avec ce que je suis aujourd'hui. L'origine est la rupture de mon passage du néant à l'être. Le ruisseau sortant de la source est le commencement du fleuve. La source est l'origine du fleuve... Toute autobiographie sécrétée par l'angoisse existentielle quêtant la jubilation existentielle  raconte une origine dramatique et saisissante, impliquante, et une fin certes polémique mais finalement triomphante. C'est ce que 'raconte' la Bible...

Mais développons ce qu'est un récit dévoilant un sens, au double sens du mot sens: une signification et une direction. Ces récits sont des mythes... Laissons aux spécialistes de l'ethnologie de déterminer si on doit réserver l'appellation de mythes aux récits des religions primitives (ou premières comme disait Chirac). Pour moi il n'y a de pire religion que celle qui ne s'avoue pas comme telle...  puis qui traite tout autre religion de primitive et obscurantiste... Ici j'appelle mythe tout récit porteur de sens, c'est-à-dire de signification et de direction...

Toute personne, tout groupe humain ne peut pas ne pas se raconter son histoire et spécialement son origine. Et le récit de cette origine dévoile de façon éminente la compréhension existentielle de soi-même, compréhension de bonheur ou de malheur, en fait des deux entremêlés. Et si l'existence de celui qui raconte son origine est heureuse, confiante, le récit sera un récit de malheur initial à qui est promis un bonheur ultime, c'est-à-dire une dynamique positive, une dynamique de 'salut'.

Le mythe est une histoire maïeutique, c'est-à-dire dévoilant le sens de ce que vivent ceux qui se racontent cette histoire. Pour deux raisons, le mythe se situe dans un temps autre que celui où vivent ceux qui se racontent cette histoire. Soit parce que ce qui est dévoilé par le mythe est tellement universel que ce n'est lié à aucun moment et lieu de 'notre histoire'; soit parce que le récit dévoile un situation existentielle dangereuse telle que la force du groupe ne peut pas être vulnérabilisée par une appartenance au monde dangereux qu'est celui où nous vivons...

Les fables de La Fontaine, par exemple, se situent dans un temps autre que celui où nous vivons... Nul ne se soucie de savoir où et quand, dans l'histoire, le Renard a joué un tour au Corbeau, en lui volant son fromage tout en lui infligeant au passage une leçon de morale comme quoi "tout flatteur vit au dépend de celui qui l'écoute"... Nul ne se soucie de savoir ou et quand, dans l'histoire, le Roseau a nargué le Chêne en mettant en évidence que, dans la tempête, mieux vaut être souple que rigide... Et pourtant qui dira que ces histoires ne sont pas vraies sous prétexte qu'elles ne sont pas de l'ordre du factuel vérifiable historiquement. Elles sont d'un autre type de vérité... de connaissance...

Les paraboles de Jésus, dans les Évangiles, sont de cet ordre-là... De même le mythe d'Œdipe, ce héros de la mythologie grecque qui a tué son père et épousé sa mère, ce qui éclaire de façon éclatante, dit-on, l'inconscient de tout homme. Nul ne se demande où et quand cela s'est passé... Les mythes explicatifs du mystère de l'homme sont utopiques, c'est-à-dire sans lieu et temps dans l'histoire...

Sont également utopiques les projections religieuses que les judéo-chrétiens appellent (parfois avec hauteur, je l'ai dit) païennes. L'homme, fragile au milieu d'une nature menaçante et membre d'une tribu menacée par d'autres tribus, se pense comme devant être protégé par des puissances spirituelles divines. Par des rites, notamment sacrificiels, il tâche de capter la bienveillance de ces divinités. Les aléas des événements naturels ou militaires, plus ou moins favorables, font penser soit que ces divinités sont plus ou moins contentes des sacrifices rituels qu'on leur offre, soit que ce monde des divinités est régi, lui aussi, par des rivalités et des conflits, dont les événements touchant l'homme sont le reflet 'sur terre'.

Les événements divins étant utopiques, c'est-à-dire sans lieu terrestre, ils sont situés dans un espace inatteignable qu'on appelle ciel. De toute évidence la fumée des sacrifices monte vers le ciel et les bienfaits, telle la pluie qui féconde la terre, tombent du ciel. De plus les astres qui habitent le ciel se meuvent de façon parfaitement harmonieuse et prévisible ce qui laisse penser que ce monde céleste est moins chaotique et imprévisible que le monde terrestre, d'où l'intérêt d'y chercher protection... Mais l'existence des rites met en évidence que ce monde est inatteignable sans ces actes symboliques. Un rite est un acte symbolique, un acte en partie visible qui a une efficacité dans le monde invisible...

Une religion est faite de mythes racontant des histoires d'un monde invisible, inatteignable, de rites actualisant ces histoires dans le monde visible et de comportement  requis en cohérence avec ce que racontent les mythes actualisés par les rites...
- Dans les religions à mythes utopiques le comportement requis est de l'ordre du magique, le but des actes étant de capter la bienveillance des divinités, de leur plaire... Il n'y a pas à proprement parlé de morale, c'est-à-dire de comportement confortant ou réfutant l'existence contingente, à la fois fragile et prometteuse, de celui qui agit.
- Dans la Bible le commencement, issu de l'origine, est situé dans le même espace-temps que le nôtre. S'il persiste des rites ce n'est pas pour capter la bienveillance de la divinité mais pour la remercier de sa bienveillance initiale inconditionnelle. À ce récit est liée la requête d'un comportement qu'on peut qualifier de moral car il exprime le consentement à une contingence heureuse... Voyons en quoi c'est ce que raconte la Bible en son deuxième récit de création: Genèse chapitre 2 4b-25

b) Le principal récit biblique de l'origine: la création

- le récit

« Le jour où le SEIGNEUR Dieu fit la terre et le ciel, 5 il n’y avait encore sur la terre aucun arbuste des champs, et aucune herbe des champs n’avait encore germé, car le SEIGNEUR Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n’y avait pas d’homme pour cultiver le sol ; 6 mais un flux montait de la terre et irriguait toute la surface du sol. 7 Le SEIGNEUR Dieu modela l’homme avec de la poussière prise du sol. Il insuffla dans ses narines l’haleine de vie, et l’homme devint un être vivant. 8 Le SEIGNEUR Dieu planta un jardin en Eden, à l’orient, et il y plaça l’homme qu’il avait formé. 9 Le SEIGNEUR Dieu fit germer du sol tout arbre d’aspect attrayant et bon à manger, l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais.
10 Un fleuve sortait d’Eden pour irriguer le jardin ; de là il se partageait pour former quatre bras. 11 L’un d’eux s’appelait Pishôn : c’est lui qui entoure tout le pays de Hawila où se trouve l’or 12 – et l’or de ce pays est bon – ainsi que le bdellium et la pierre d'onyx. 13 Le deuxième fleuve s'appelait Guihôn; c'est lui qui envahit tout le pays de Koush. 14 Le troisième fleuve s'appelait Tigre; il coule à l'orient d'Assour. Le quatrième fleuve, c’était l’Euphrate.
15 Le SEIGNEUR Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour cultiver le sol et le garder. 16 Le SEIGNEUR Dieu prescrivit à l’homme : « Tu pourras manger de tout arbre du jardin, 17 mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais car, du jour où tu en mangeras, tu devras mourir. »
18 Le SEIGNEUR Dieu dit : « Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul. Je veux lui faire une aide qui lui soit accordée. » 19 Le SEIGNEUR Dieu modela du sol toute bête des champs et tout oiseau du ciel qu’il amena à l’homme pour voir comment il les désignerait. Tout ce que désigna l’homme avait pour nom « être vivant » ; 20 l’homme désigna par leur nom tout bétail, tout oiseau du ciel et toute bête des champs, mais pour lui-même, l’homme ne trouva pas l’aide qui lui soit accordée. 21 Le SEIGNEUR Dieu fit tomber dans une torpeur l’homme qui s’endormit ; il prit l’une de ses côtes et referma les chairs à sa place. 22 Le SEIGNEUR Dieu transforma la côte qu’il avait prise à l’homme en une femme qu’il lui amena. 23 L’homme s’écria « Voici cette fois l’os de mes os et la chair de ma chair, celle-ci, on l’appellera femme car c’est de l’homme qu’elle a été prise. »
24 Aussi l’homme laisse-t-il son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils deviennent une seule chair. 25 Tous deux étaient nus, l’homme et sa femme, sans se faire mutuellement honte. »
Traduction Œcuménique de la Bible.

- une histoire actuelle dramatique et prometteuse

Si le récit de création de Genèse 2-3 a des traits mythologiques, il est important de voir en quoi il se distingue des mythologies 'païennes' environnantes. Le premier trait original est que ce récit se situe dans le même temps-espace que celui du narrateur et des auditeurs du récit. L'ensemble de la Bible chrétienne est un vaste récit où s'insèrent, ici ou là, il est vrai, des textes plus intemporels, des récits 'de Sagesse'. Mais la trame principale, narrative, parle d'un temps linéaire ayant un début, la création, et une fin, la 'fin du monde' racontée dans l'Apocalypse. Et c'est bien le seul espace-temps existant, donc 'notre' espace-temps. Pour le mettre en évidence on suture le temps entre l'origine et les récits historiques suivants par des généalogies (Genèse 5; 10-11) et on décrit le lieu du jardin initial avec force détails permettant de le localiser (versets 10-14)...

On décrit souvent ce dont parlent les premiers chapitres de la Genèse comme le Paradis Terrestre, terre de félicité et d'abondance... Pourtant, à bien y regarder, c'est un paradis pas si paradisiaque que ça !  En effet y sont plantés deux arbres ayant un nom. À l'un d'eux est attaché un interdit avec sanction de mort (verset 17). Nous parlerons la fois prochaine de l'issu de ce scénario. Notons pour le moment que le récit de création est d'emblée dramatique incluant un commandement avec sanction de mort... Mais comme nous le verrons la fois prochaine la sanction de mort n'est pas présentée comme infligée par une divinité à qui on aurait déplu, ce qu'on aurait pu éviter si on lui avait plu, mais de façon neutre, parce que c'est comme ça...

Nous verrons la fois prochaine en quoi le récit de création de Gn 2-3, s'il est dramatique, contient aussi en son sein une promesse de félicité ultime (Gn 3 15), ce que la tradition catholique appelle le protévangile (http://www.mariedenazareth.com/804.0.html?&L=0).

- le 'SEIGNEUR Dieu' posant un homme puissant, fragile, avide de relation, responsable, candide

Le comportement du 'SEIGNEUR Dieu' n'est pas lié par un comportement cultuel satisfaisant ou non de l'homme. Celui-ci est à la fois puissant, d'un certain point de vue et fragile, d'un autre point de vue. Puissant car la terre "l'attend" pour être cultivée (verset 5); parce que le jardin est planté pour lui (verset 8); parce qu'il donne leur nom aux animaux (verset 20). Fragile car il est 'seul' ce qui n'est pas bon (verset 18). Cette fragilité redouble quand le 'SEIGNEUR Dieu' semble tâtonner pour combler cette 'solitude' (versets 18-20), jusqu'à ce qu'elle soit comblée (verset 23).

L'homme est responsable. Un interdit lui est posé, assorti d'une sanction de mort. Nous verrons au chapitre 3 que la susceptibilité du 'SEIGNEUR Dieu' n'est pas liée par cet interdit. Le 'SEIGNEUR Dieu' apprend de l'homme la transgression de l'interdit alors qu'il se promenait dans le jardin sans en être affecté...

Enfin l'homme est candide, vit sa sexualité sans honte: la relation à l'autre sexe, que le premier récit de création dit être 'image de Dieu' est apaisée.

Nous avons là les traits principaux de l'anthropologie chrétienne...

En regard le 'SEIGNEUR Dieu' apparaît lui aussi comme puissant et fragile. Puissant car créateur, ordonnateur de la création. Fragile, non pas en lui-même mais par sympathie pour l'homme, car sensible à la 'solitude' de sa créature et comme tâtonnant pour la combler, nous l'avons vu. Se mettant aussi librement en situation de fragilité car édictant un interdit sans en empêcher la transgression par coercition alors que, nous le verrons au chapitre 3, il dispose de tels moyens de coercition...

c) d'autres récits bibliques de création

Le récit principal de la création (Gn 2-3) inaugure l'histoire biblique qui est, j'espère l'avoir montré, notre histoire. Mais ce qui est, de fait, n'épuise pas tout ce qui, en germe, aurait pu être. D'autres récits de création surgissent çà et là dans la Bible qui sont a-dramatiques qui célèbrent 'seulement' le surgissement du néant à l'être de ce qui existe...

Un de ces récits de création non dramatiques, n'engendrant pas d'histoire, inaugure toute la Bible, Gn 1. Dans ce récit la création de l'homme est ainsi décrite:
« 26 Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il soumette les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toute la terre et toutes les petites bêtes qui remuent sur la terre ! »
27 Dieu créa l’homme à son image,
à l’image de Dieu il le créa ;
mâle et femelle il les créa.
28 Dieu les bénit et Dieu leur dit : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre ! »
29 Dieu dit : « Voici, je vous donne toute herbe qui porte sa semence sur toute la surface de la terre et tout arbre dont le fruit porte sa semence ; ce sera votre nourriture. 30 A toute bête de la terre, à tout oiseau du ciel, à tout ce qui remue sur la terre et qui a souffle de vie, je donne pour nourriture toute herbe mûrissante. » Il en fut ainsi. 31 Dieu vit tout ce qu’il avait fait. Voilà, c’était très bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour. »

Notons que, dans ce premier récit, c'est dans la différence sexuelle qu'est inscrite l'image de Dieu. Dans ce premier récit, seulement, la procréation est édictée...

D'autres récits de création non dramatiques, n'engendrant pas d'histoire, parsèment la Bible: Ps 104; Job 36,26—37,24 ; 38-41 ; Sagesse 7,15-21 ; Siracide 42,15—43,33 ; etc. Ils témoignent que ce qui est, historiquement, est contingent, non nécessaire, aurait pu ne pas être ainsi...

II Une anthropologie contestée en permanence

Le principal récit de commencement de la Bible campe donc un être humain puissant (mais recevant sa puissance d'un Autre, le 'SEIGNEUR Dieu'), fragile, avide de relation, responsable, candide. Nous verrons au chapitre 3 que, accidentellement,  l'homme sera défaillant, honteux mais sauvable.

Cette anthropologie biblique est donc exigeante et donc inéluctablement contestée par tous ceux pour qui la fragilité de l'homme est malheureuse, pour qui la liberté et la responsabilité sont des fardeaux bien lourds à porter... Nous verrons, au chapitre 3, qu'un mystérieux serpent sera le premier à contester cette compréhension de l'homme. Il ne sera que le premier d'une longue série de contestataires.

Nous autres, citoyens du début du vingt-et-unième siècle, connaissons les ruines des récents refus de la fragilité de l'homme, les idéologies totalitaires mégalomaniaques, conçues au dix-neuvième siècle et mise en application au vingtième. Ces mythes du progrès libérateur évacuaient de l'histoire la responsabilité de l'homme quant à l'émergence du mal dans l'histoire et donc quant à la victoire sur ce mal. Ils voulaient, par le seul génie de l'homme, clore l'histoire. Ils n'en ont qu'exacerbé le drame. Le dernier en date, le libéralisme, est encore opératoire mais bien fragilisé...

Aujourd'hui le progrès, aplatissement de l'espérance, est lui-même en péril, ce qui est aussi grave que d'en faire la clef de l'histoire.

Saurons-nous nous réconcilier avec notre fragilité, notre liberté, notre responsabilité, notre contingence ? Nous serons alors les 'bienheureux' dont parlent les évangiles (Mt 5; Lc 6), non sans être, en permanence 'comme des brebis au milieu des loups' (Mt 10 16). Mais pour cela il faudra, la fois prochaine, explorer la compréhension biblique de l'émergence du mal et de la proposition de salut qui lui répond...

Arnaud de VAUJUAS,
ISFEC Aquitaine
le 7 Novembre 2013





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire