vendredi 11 juin 2010

Mon argent ne regarde-t-il que moi ?

(à Mérignac le 9 Juin 2010)

Drôle de question, pensera-t-on ! Elle demande d’abord de préciser l’articulation de trois notions. Qu’est-ce qui est public ? Qu’est-ce-qui est privé ? Qu’est-ce-que la responsabilité ?

Après avoir précisé ces trois questions, après avoir esquissé notre moment historique, nous ferons un bref parcours biblique, puis historique. Enfin nous parcourrons les différentes questions portées en sous-titre de la conférence de ce soir : Consommation, investissement, don.

I Public, privé, responsabilité

Ancien schéma. Public=économico-politique. Privé=affectif et sexuel. Depuis années 1980 « fronts secondaires »=féminisme, écologie, transmission de la vie…

Est privé ce qui relève de la responsabilité de quelqu’un de précis dans une situation précise. Est public le débat permanent concernant la vision personnelle et sociale de l’homme (anthropologie) que développe une société fondant le vivre ensemble des membres de cette société. Et fondant la possibilité de demander à quelqu’un de répondre (responsabilité) de son comportement privé face à une communauté dont il fait partie, selon que son comportement honore ou conteste l’anthropologie de la société dont il fait partie.

La question « Mon argent ne regarde-t-il que moi ? » trouve là son cadre.

Or nous faisons partie de deux sociétés en interaction l’une vis-à-vis de l’autre : la société française et l’Eglise, chacune développant une certaine vision de l’homme, chacune avalisant et contestant l’anthropologie de l’autre. On ne peut donc développer la question de l’argent qu’en examinant l’anthropologie dominante de la société civile puis l’anthropologie chrétienne.

II L’argent personnel en France aujourd’hui.

Nous sommes dans une phase post idéologique, voulant être pragmatique, de notre histoire. Après l’échec des idéologies prometteuses de progrès du 20ème siècle, libérale inavouée et socialiste revendiquée, c’est l’avenir radieux inhérent à l’idée de progrès qui s’estompe. Notre société relativement opulente (relativement au passé et à d’autres sociétés actuelles) se révèle fragile, menacée. Comme un radeau d’opulence dans un monde de misère, menacé par quatre tempêtes, financière, écologique, démographique et militaire.

C’est donc le réflexe du sauve-qui-peut qui menace. La sécurité sociale est fragile (retraites, maladie…). L’épargne personnelle a fait faillite et notamment les fonds de pension des sociétés libérales. Il faut courir de plus en plus vite dans sa tête pour y comprendre quelque chose… La peur menace…

L’ambivalence vis-à-vis de l’argent apparaît donc. On est agressif vis-à-vis des ‘golden boys’, grands patrons aux parachutes dorés et traders aux bonus insultants, qui font fortune insolemment. Et, de façon plus ou moins inavouable, on voudrait faire comme eux…

Le message évangélique sur l’argent est-il pertinent dans ces circonstances ?

III L’argent personnel dans le message chrétien.

Le message biblique court sur 2000 ans, d’Abraham à la génération des Apôtres de Jésus. Comment le résumer en quelques lignes !

Dans le Premier Testament deux veines.        
- La veine sapientiale, considérant la réussite personnelle, en partie donc économique, comme une bénédiction, par exemple dans la geste des Patriarches. Mais une bénédiction précaire et fragile, comme le montre le livre de Job ou quelques psaumes.          
- La veine prophétique, dénonçant la corruption engendrée facilement par l’argent et prenant avec véhémence la défense de la veuve et de l’orphelin.

Dans le Nouveau Testament trois accents. La dénonciation du caractère asservissant de l’argent (‘Nul ne peut servir deux maîtres…’, ‘le jeune homme riche’), l’appel au partage (‘Le mauvais riche et le pauvre Lazare’, ‘Le jugement dernier de Mt 25’, l’appel de Paul au partage en faveur de l’Eglise-mère de Jérusalem) et l’appel à la confiance (‘Les oiseaux et les lys des champs’, ‘l’onction à Béthanie’).

Dans l’histoire de l’Eglise la question du prêt à intérêt est intéressante. http://fr.wikipedia.org/wiki/Intérêt_(finance). Il n’est loisible que s’il est la rémunération d’un risque mesurable et justifié…

IV Quelques questions précises aujourd’hui.

Dans l’Encyclique ‘Caritas in Veritate’ est dénoncée l’idée que la production du gâteau serait neutre moralement, purement technique et que la morale se situerait dans le partage du gâteau… (CiV §36 37) La décision morale doit informer toutes les étapes de la vie économique, l’investissement, le don, la consommation… (CiV §37)

L’investissement a une visée première de développement et non pas seulement de préservation de l’épargne. Ce qui demande qu’on sache où on investit. D’où la contestation de produits financiers opaques, complexes. D’ailleurs la simple prudence, à l’image de l’actualité, montre le caractère raisonnable de cette morale. Doivent donc se développer les ‘investissements éthiques’. C’est aux clients de faire pression sur les banques pour les obtenir et en contrôler le caractère éthique.  (cf CCFD).

Le micro crédit semble une forme prometteuse de l’investissement éthique.

Le don n’a pas seulement comme but de faire face à l’urgence de personnes en difficulté. Pour ne pas être source de paternalisme, de domination du donateur et d’asservissement des bénéficiaires il doit être lié à une incitation au développement, et même comporter un certain contrôle de l’utilisation du don, par exemple par le biais du don échelonné. C’est ce qu’on appelle le partenariat.

La consommation est aussi un acte éthique. Elle doit tendre à devenir partenariat avec le producteur. D’où le développement de circuits de consommation où on tâche de respecter la juste rétribution du producteur et un certain contrôle sur sa politique sociale.

Conclusion

Le combat semble inégal. Que peuvent nos maigres ressources, même gérées éthiquement, face aux masses de l’argent sale, de la corruption, de la course inconsidérée aux profits financiers déconnectés de toute réalité économique ? C’est oublier que le sens a fonction prophétique par rapport au non-sens. L’insurrection éthique, urgente mais à attendre pourtant avec patience, se nourrit dans un premier temps de ces petites expériences de sens au milieu d’un monde fou.

A condition que ce travail de fourmi soit relié à un travail théorique, culturel, de fond sur les représentations anthropologiques présidant à tel ou tel comportement.

Arnaud de VAUJUAS
Mérignac, le 9 Juin 2010.

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