mardi 1 juin 2010

La prière mariale
dans la vie des baptisés

(Talence, le 27 Mai 2010)

Notre Dame du Oui ! Notre-Dame bouleversée ! Notre-Dame des Douleurs ! Notre-Dame de la Joie ! C’est sous ces quatre approches, ces quatre vocables pourrait-on dire, que je voudrais parler ce soir de la prière à Marie dans notre vie de baptisés. Comment, dans les quelques grands ‘oui’ que nous avons à dire au Seigneur dans les grands moments, aux grands carrefours de notre vie ; comment dans les petits oui que nous avons à Lui dire quotidiennement, nous sommes engendrés par Marie, bouleversés avec elle, souffrants avec elle, joyeux avec elle, c’est ce que je voudrais développer ce soir.

I Notre-Dame du Oui !

Le Seigneur nous donne tout. Sur le plan naturel, il nous donne la vie, la croissance et l’être. Pas seulement le jour de notre passage du néant à l’être, le jour de notre conception, mais jour après jour, minute après minute, tout au long de notre existence, aujourd’hui prépascale, demain post pascale. Il est bon de nous le rappeler : nous ne sommes pas à nous même notre propre source. Nous recevons tout de notre Créateur, au début et tout au long de notre existence.

Mais aussi sur le plan surnaturel. Par la Croix du Christ, nous sommes justifiés et sauvés. Or, nous dit saint Paul (1 Co 1 17), nous pouvons « réduire à néant la Croix du Christ », la rendre inopérante pour nous, ne pas recevoir ce salut offert.

Tout notre travail, toute notre tâche, pendant notre existence prépascale, consiste à apprendre à dire ‘oui’ et au don de Dieu que nous sommes à nous-mêmes et au salut qu’Il nous offre. Et cet apprentissage, s’il réussit, débouchera sur le ‘oui’ éternel que nous ne cesserons pas de Lui dire quand nous serons dans la Patrie éternelle. C’est vraiment une tâche que d’apprendre à dire ‘oui’, tâche bouleversante, nous le verrons, tâche douloureuse, nous le verrons, tâche joyeuse, nous le verrons.

Or nous ne pouvons pas dire ‘oui’ par nous-mêmes. De nous-mêmes nous sommes repliés sur nous. L’ouverture de nous-mêmes au don de Dieu est déjà un don, le Don par excellence, l’Esprit-Saint qui, dit saint Jean (Jn 16 8), « confond le monde en matière de péché ». Ce faisant nous disons ‘oui’, comme Marie a dit ‘oui’ quand « l’Esprit-Saint l’a couverte de son ombre » (Lc 1 35), quand elle a été « pleine de grâce », pleine de l’Esprit-Saint.

Or l’Esprit-Saint est contagieux. Il ne peut qu’être donné et reçu. Il ne peut pas être produit par l’homme, bien évidemment ! Il surgit de la Trinité, procédant du Père (et si on est chrétien occidental, du Père et du Fils). Et il est transmis par ceux qui l’ont reçu, dans une relation que saint Paul ose appeler d’engendrement quand, parlant aux Galates, il ose les appeler « mes petits enfants, que dans la douleur, j’enfante à nouveau, jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous » (Ga 4 19).

Si donc saint Paul ose parler ainsi, combien par excellence, Marie, « la première en chemin » comme on le chante, n’est-elle pas notre mère ! Contrairement à Paul, qui était pécheur, Marie a toujours été transparente à l’Esprit-Saint. Dans son ‘oui’, qui a eu lieu une fois pour toutes à Nazareth, et qui, pourtant, est perpétuel, elle nous engendre, dans l’Esprit-Saint à l’humanité nouvelle qu’est le Christ, qu’elle conçoit en nous, du fait même de son ‘oui’, de son ‘fiat’.

Hors du ‘oui’ actif de Marie, le don de Dieu est du plaquage sur l’homme toujours pécheur, un don passif, un manteau de justice mis sur les épaules de l’homme par Dieu grâce auquel Dieu ne verrait plus son péché, mais qui le laisserait pécheur, pourri au-dedans de lui-même.

Mais parce que le ‘oui’ de Marie est et totalement l’œuvre de l’Esprit-Saint en elle et totalement le sien, Marie est totalement juste, totalement droite, totalement elle-même, inaltérée, en un mot vierge. Et, rayonnant de l’Esprit-Saint, elle est mère de tous ceux qui à sa suite, laissent l’Esprit-Saint agir en eux quand ils disent ‘oui’ au Seigneur. Engendré donc par elle, tout homme qui dit ‘oui’ au Seigneur est vraiment rendu juste, justifié, rectifié et l’avenue du salut s’ouvre devant lui.

Prier Marie, ce n’est donc pas seulement et avant tout faire des prières à Marie, même si bien sûr ces exercices y contribuent grandement. Prier Marie c’est se tenir au plus près d’elle quand elle dit ‘oui’, c’est nous laisser engendrer par elle dans notre combat spirituel.

Mais le ‘oui’ de Marie n’a pas été sans bouleversement, sans douleur, sans joie. Voyons ce ‘oui’ véritablement pascal, c'est-à-dire qui passe à travers le drame humain jusqu’à son dénouement pascal. Son ‘oui’ engendre le Christ, non seulement au moment de sa conception, mais tout au long de son existence et tout au long de notre existence.

C’est ce que nous indique le Rosaire où nous scandons la méditation des diverses étapes (les mystères) de la vie du Christ du rappel actualisé de l’Annonciation, où Marie a dit ‘oui’ dans la première partie de l’Ave Maria. Et en implorant la prière de la « Mère de Dieu », dans la deuxième partie de l’Ave Maria nous la laissons engendrer en nous le Christ dans notre propre vie…

II Notre-Dame bouleversée

Tout au long de la Bible, du Buisson Ardent de Moïse (Ex 3) jusqu’au Chemin de Damas de Paul (Ac 9), tous ceux qui sont en contact avec Dieu sont bouleversés. Nul ne peut voir Dieu sans mourir (Ex 33 20). Longtemps j’ai pensé que c’était à cause du péché de l’homme comme le dit saint Pierre dans l’Evangile de Luc : « Eloigne-toi de moi Seigneur car je suis un homme pécheur » (Lc 5 8)

Or Marie, la toute pure, la toute sainte, l’Immaculée est aussi bouleversée quand Gabriel la salue (Lc 1 29). « A ces mots elle fut très troublée et elle se demandait ce que pouvait signifier une telle salutation » A Jérusalem aussi, quand elle retrouvera Jésus après sa fugue, elle sera « frappée d’étonnement » et « angoissée » (Lc 2 48). Et que dire de ce qui nous paraît un rudoiement de la part de Jésus ? Quand, à Cana, il la reçoit en disant « Femme que me veux-tu ? » (Jn 2 4). Et quand elle le cherche et qu’elle se fait répondre « Ma mère et mes frères ce sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la mettent en pratique » (Lc 8 21).

Marie était-elle là quand l’Evangile de Marc dit « Les gens de sa parenté vinrent pour s’emparer de lui. Car ils disaient : ‘il a perdu la tête.’ » (Mc 3 21) ? Marc ne le dit pas, mais enfin elle était bien ‘de la parenté’…

Nous dirons tout à l’heure en quoi ce bouleversement est l’antichambre de la douleur d’être disciple. Remarquons pour le moment qu’il n’est pas de tout repos pour Marie d’être la mère de Jésus. Et pourtant même là elle ne cesse pas d’être la mère de Jésus, de l’engendrer dans son ‘oui’ alors qu’elle est bouleversée, désorientée.

Ainsi en est-il aussi de nous-mêmes. Etre chrétien ce n’est pas être droit dans ses bottes ! C’est être prêt à être bouleversé, troublé, désarçonné par l’inattendu de Dieu. On appelle cela la vertu de pénitence, la disponibilité à être converti, retourné. La pénitence ce n’est pas l’auto humiliation, le mépris de soi, l’auto flagellation, c’est la disponibilité à être bouleversé, retourné, converti pour vivre plus. Prier Marie ce n’est donc pas vouloir, à toute force, être rassuré, rasséréné. C’est être prêt au bouleversement qu’elle a vécu.

(Pour faire, peut-être, de la psychanalyse de prisunic, vous m’en excuserez, je dirais que la mère ce n’est pas seulement celle qui couve, qui protège, qui console, qui rassure. C’est aussi celle qui expulse… parce qu’elle-même a été expulsée quand elle a été fille. L’utérus sans porte de sortie m’a toujours semblé être une figure de l’enfer, de l’enfermement !)

En méditant les mystères du Christ aux côtés de Marie, soyons donc prêts, s’il le faut, à être bouleversés, troublés comme elle l’a été. Alors elle engendrera en nous Jésus.

III Notre-Dame des Douleurs

Quand le Seigneur surgit dans la vie de Marie, quand il surgit dans la vie d’un homme, le bouleversement provoque inévitablement un arrachement douloureux à soi-même que seule la joie, dont on parlera plus tard, peut rendre supportable. Arrachement à soi-même que Jésus, éminemment a vécu à Gethsémani. Marie, dès le début, a vécu, dans son ‘oui’, cet arrachement à soi même.

Je ne vous ferai pas l’injure de penser, ici dans un sanctuaire à Notre-Dame des Douleurs, que vous ignorez ce que sont les sept douleurs de Marie, trois avant la Passion, quatre pendant la Passion !

« Le culte de la Mater Dolorosa apparait officiellement en 1221, au Monastère de Schönau, en Allemagne. En 1239, dans le diocèse de Florence en Italie, l'Ordre des Servites de Marie (Ordo Servita), dont la spiritualité est très attachée à la Sainte Vierge, fixe la fête de Notre-Dame des douleurs au 15 septembre. Ce titre doit son nom aux sept Douleurs dites éprouvées par la Vierge Marie :

- La prophétie de Syméon sur l'Enfant Jésus. (Lc, 2, 34-35)

- La fuite de la Sainte Famille en l'Égypte. (Mat, 2, 13-21)

- La disparition de Jésus pendant trois jours au temple. (Lc, 2, 41-51)

- La rencontre de Marie et Jésus sur la via crucis. (Lc, 23, 27-31)

- Marie contemplant la souffrance et le décès de Jésus sur la Croix. (Jn, 19, 25-27)

- Marie accueille son fils mort dans ses bras lors de la Descente de croix. (Mat, 27, 57-59)

- Marie abandonne le corps de son fils lors de la mise au tombeau. (Jn, 19, 40-42) » http://fr.wikipedia.org/wiki/Notre-Dame_des_Douleurs

Ici, à Talence, comme pour toutes les nombreuses piéta, c’est la sixième « douleur » qui est représentée : Marie accueillant son fils mort dans ses bras lors de la Descente de la croix. Mais le chiffre sept, symbole de plénitude, manifeste comment c’est toute la vie de Marie qui est douloureuse.

Bien sûr un certain dolorisme, surtout au XIVème siècle, siècle de la Guerre de Cent ans, de la Grande Peste, du Schisme d’Occident avec deux puis trois papes, un certain dolorisme, donc, a pu isoler les douleurs de Marie de leur source et de leur fin. Leur source je l’ai dit c’est la disponibilité de Marie à être bouleversée par le surgissement du Seigneur et l’inouï de sa proposition d’alliance si intime. Leur fin c’est la joie pascale, où elle sera entraînée dans son assomption et son couronnement pour reprendre les deux derniers mystères du Rosaire.

J’espère, ce soir, en soulignant la source et la fin des douleurs de Marie, avoir montré que la souffrance n’est rien sans l’amour. C’est l’amour qui sauve et non pas la souffrance, qui, en elle-même écrase et est hideuse. Mais on ne peut pas aimer sans souffrir, au moins dans notre condition prépascale actuelle marquée par le péché.

Sans doute les adeptes de théologie fiction, prompts à imaginer ce qu’aurait été l’homme s’il n’avait pas été ce qu’il a été, c’est-à-dire s’il n’avait pas péché, peuvent-ils penser, avec raison, que sans le péché l’abnégation inhérente à l’amour n’aurait pas été douloureuse. Sans doute pourra-t-on souligner que, dans notre vie post pascale nous aimerons sans souffrir. Toujours est-il qu’ici et maintenant, dans notre propension à nous replier sur nous-mêmes qu’est le péché, nous ne pouvons pas aimer sans souffrir.

Bien sûr, Jésus et Marie n’ont pas péché personnellement. Mais ils ont voulu partager notre condition pécheresse pour nous en arracher. C’est là, précisément leur amour douloureux.

Marie souffre parce que Jésus lui est arraché. J’ai assez dit que la maternité ce n’est pas seulement l’union intime entre la mère et son enfant mais surtout ce dynamisme d’arrachement de l’enfant de l’union avec sa mère. On a eu beau inventer l’accouchement sans douleur, être mère sera toujours douloureux. C’est du sein de cet arrachement douloureux de son Fils que Marie ne cesse de dire son ‘oui’, son ‘fiat’.

Nous aussi nous devons sans cesse renoncer à la belle image, belle à nos yeux, que nous nous faisons de Dieu, de nous-mêmes et des autres. Nous aussi nous avons à dire ‘oui’ à ce qui est et qui n’est pas ce que nous voudrions qui soit. C’est tout autre chose que de la résignation. C’est une présence encourageante, dynamisante, laudatrice, féconde en un mot, à ce qui est et qui n’est pas ce que nous voudrions.

Si nous pouvions comprendre que c’est ça l’amour : accepter ce qui est, l’encourager, l’engendrer même, et se réjouir que cela soit. Plutôt que de se braquer contre, jusqu’à le détruire, sous prétexte que ce n’est pas ce que nous voudrions…

Alors nos douleurs seraient quelque peu atténuées. Alors la joie, l’espérance germeraient sous nos larmes. Alors répandant autour de nous cette joie, cette espérance nous deviendrions féconds.

Prier Marie, dans les temps de douleurs, c’est communier à ce mouvement marial, d’acquiescement, de ‘oui’, où l’eros possessif et anxieux, dira Benoît XVI dans son Encyclique ‘Deus Caritas est’, se mue en agape oblative et joyeuse.

IV Notre-Dame de la joie

Si bouleversé et bouleversant qu’ait été le ‘oui’ permanent de Marie, si douloureux qu’il ait été, il n’a jamais cessé d’être joyeux. La joie n’est pas seulement au bout du chemin, elle est sur la route.

Dès sa rencontre avec Elizabeth éclate le Magnificat. De la rencontre de ces deux femmes, si étonnamment enceintes surgit la jubilation de la création. Élizabeth est une vieille femme enceinte sur le tard, épouse d’un prêtre d’Israël devenu muet (ce qui vous l’avouerez doit être bien gênant pour un prêtre !) symbolise Israël. Elle symbolise l’humanité en attente de salut, ayant tellement attendu qu’elle n’attendait plus, mais qui est comblée quand elle en avait désespéré. Et cette attente comblée sur le tard, au-delà de toute attente, tressaille de joie, en Jean le Baptiste dans le sein d’Élizabeth, devant l’inattendu et le mystère : une jeune femme enceinte, mystérieusement puisque vierge.

Et le Magnificat de Marie surgit, bouleversant tout : « Il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles. » (Lc 1 52). Et désormais le ‘oui’ bouleversé de Marie bouleversera toute pauvre gloire humaine fondée sur la chair, comme aurait dit saint Paul.

C’est désormais ce cri de joie qui résonne en écho à celui de Marie quand des hommes, des femmes, engendrés par Marie parfois sans le savoir, s’ouvrent à l’inattendu de Dieu. Ce cri de joie, déjà pascal comme par anticipation, est bien différent du plaisir que peut provoquer la gloriole de ce monde. Cette joie n’a sa source qu’en l’émerveillement d’avoir été choisi par l’Eternel pour être, par une inouïe fécondation, comme une source pour son propre créateur. Cette joie a été épurée par l’inéluctable douleur de son acceptation tant elle est différente de celle que peut procurer le monde naturel, païen.

L’Evangile ne rapporte pas de rencontre entre le Ressuscité et Marie. Mais saint Ignace de Loyola, dans ses Exercices Spirituels au n° 219 nous invite à contempler cette rencontre, dont « on peut pieusement et avec vraisemblance croire » qu’elle a eu lieu. Prier avec Marie c’est aussi s’arrêter à cet ultime ‘oui’ où la créature, en Marie, reçoit de son propre Fils et pourtant créateur, le triomphe qu’elle partage avec Lui à tout jamais.

Conclusion

« Je trouve maintenant ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et ce qui manque aux détresses du Christ, je l’achève dans ma chair en faveur de son corps qui est l’Eglise » (Col 1 24).

Deux remarques pour finir sur ce verset de saint Paul

Premièrement. On tronque souvent ce verset en n’en retenant que la dernière partie : « J’achève en ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ… » Vision unilatéralement doloriste. Car, dans ce verset de saint Paul comme en Marie durant toute son existence, la joie englobe la souffrance, comme dans l’Eucharistie l’action de grâce englobe la première étape de l’eucharistie qu’est la démarche pénitentielle. La vie chrétienne est jubilation permanente même dans les douleurs. Ou du moins dans les temps de douleurs elle est tendue vers la joie perpétuellement à venir…

Deuxièmement. Ce verset montre bien comment nous ne sommes pas seulement bénéficiaires du don de Dieu. Nous sommes intimement associés à sa genèse. Or là est tout le mystère de Marie. Comme le dit le Concile Vatican II (LG 62) : « Aucune créature en effet ne peut jamais être mise sur le même pied que le Verbe incarné et rédempteur. Mais tout comme le sacerdoce du Christ est participé sous des formes diverses, tant par les ministres que par le peuple fidèle, et tout comme l’unique bonté de Dieu se répand réellement sous des formes diverses dans les créatures, ainsi l’unique médiation du Rédempteur n’exclut pas, mais suscite au contraire une coopération variée de la part des créatures, en dépendance de l’unique source. »

Le Christ, et Lui seul, nous a tout donné. Mais la réception de son don est onéreuse. Marie, seule, a parfaitement reçu ce don, sans refus, sans réticence, en un mot sans péché. Puissions-nous, avec Marie, nous laisser faire pour vivre la Pâque de Jésus.

Arnaud de VAUJUAS
Talence le 27 Mai 2010

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