samedi 5 juin 2010

A propos de diverses expressions
de ‘oui à la vie’.

Depuis quelque temps diverses expressions publiques se font jour qui stimulent une réflexion sur le respect de la vie dans notre pays : rosaires pour la vie, conférences publiques sur le respect de la vie, soirée de prière dans des cathédrales, manifestations de rue… Convoquées par diverses instances, souvent proches de l’Eglise Catholique ou de ses mouvances plus ou moins traditionnalistes, ces expressions publiques me semblent devoir susciter une réflexion. Je m’y risque donc.

La situation du respect de la vie en France est, de fait, très préoccupante. Théoriquement l’avortement, dans le cadre de la loi, ne devrait concerner que des cas de détresse. En fait il concerne quelque 250 000 grossesses pour 800 000 naissances environ. Et une pression constante sur l’opinion publique s’exprime pour prôner l’euthanasie active sous prétexte de mort dans la dignité.

Cette situation demande l’engagement actif, pour y remédier au mieux, de tout homme attaché à ce bien premier qu’est la vie humaine. Engagement actif, mais aussi réfléchi, car mal défendre une juste cause c’est la desservir. De plus, si les chrétiens disent bien qu’il n’y a pas besoin de partager la foi chrétienne pour défendre la vie humaine, ils sont souvent en première ligne dans ce combat. Le signe qu’est l’Eglise dans le monde est donc engagé et tous les chrétiens sont donc concernés…

 

« Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Evangile » (Mc 1 15).C’est par ces mots que commence la prédication de Jésus en l’Evangile selon saint Marc. Je me propose donc de tâcher de voir ce qu’est notre époque, puis de voir à quelles conversions nous sommes appelés, enfin de voir quelle bonne nouvelle du respect et même de l’amour de la vie nous devons annoncer.

 

I  « Le temps est accompli ».

Toute époque a sa spécificité. Nous ne sommes plus ni en 1920 ni en 1975. Chaque époque est un ‘chairos’, un temps favorable pour exprimer de façon juste l’Evangile de toujours. Juste c’est à dire pas seulement adaptée superficiellement. Car l’annonce de l’Evangile n’est pas la diffusion d’une doctrine qu’il faudrait présenter de façon superficiellement adroite en fonction de ses interlocuteurs.

L’annonce de l’Evangile est compréhension toujours renouvelée de cet Evangile en dialogue avec ceux à qui il est destiné. C’est ce que dit, par exemple, le Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise en son paragraphe 53 : « C'est le même Esprit du Seigneur, qui conduit le peuple de Dieu et, en même temps, remplit l'univers, qui inspire, de temps à autre, des solutions nouvelles et actuelles à la créativité responsable des hommes, à la communauté des chrétiens insérée dans le monde et dans l'histoire et, par conséquent, ouverte au dialogue avec toutes les personnes de bonne volonté, dans la recherche commune des germes de vérité et de liberté disséminés dans le vaste champ de l'humanité. »

Cela demande d’abord l’amour des hommes de notre temps. Amour ne veut pas dire approbation mais, au minimum, bienveillance. Nous n’avons qu’une époque à vivre, celle que nous donne le Seigneur à vivre, ici et maintenant. Cela demande d’exorciser de nous, de notre tête et de notre cœur, les réactions apparemment affectives, en fait mégalomaniaques, qui nous poussent à aimer ou à ne pas aimer notre époque. Quand je suis arrivé comme curé à Talence, où je suis actuellement, un prêtre à la retraite qui m’y attendait m’a écrit : « Ce sera pour toi la plus belle paroisse du monde puisque c’est la paroisse que le Seigneur te donne ». Eh bien il en est de même pour l’époque que nous vivons. L’époque que nous vivons est la plus belle période de l’histoire en ce sens qu’elle est celle que le Seigneur, amoureusement, nous donne à vivre.

D’ailleurs nous n’en avons pas d’autres, ce qui montre qu’il est mégalomaniaque de vouloir adhérer ou ne pas adhérer à ce que nous n’avons pas à choisir ! Le poisson ne peut tout de même pas choisir l’eau dans laquelle il baigne ! Nous avons à découvrir dans notre époque des merveilles qu’on ne pouvait pas découvrir avant et qu’on ne pourra plus jamais découvrir après. Même s’il est vrai aussi qu’on y vit des épreuves qu’on ne vivait pas avant et qu’on ne vivra plus après ! C’est l’amour des hommes de notre temps, donc, comme don de Dieu, qui nous pousse à essayer de le comprendre et d’en comprendre la genèse.

 

Déconditionnement ! C’est le mot qui peut résumer la mutation des mœurs, et donc de la transmission de la vie, que nous avons vécue dans les années soixante et soixante-dix du siècle dernier. On n’aime pas, et on ne transmet pas la vie, comme on aimait, comme on transmettait la vie il y a cinquante ans.

Car dans une société de proximité de contrainte qu’étaient nos villages et nos quartiers de ville, tout le monde vivait sous le regard de tout le monde et savait tout sur tout le monde (parfois plus que la vérité !). On s’aimait ou on se détestait, parfois de génération en génération. Mais enfin on se connaissait, on savait qui était qui !

Au contraire notre société de grande mobilité a engendré l’anonymat de masse. Le métro (ou le tram) en est l’illustration caricaturale. On est agglutiné mais on ne se connaît pas ! Chacun est donc en quête affective de « reconnaissance » tant sur le plan familial, donc sexuel, que sur le plan professionnel et économique. Les héritiers d’hier sont devenus des chercheurs plus ou moins angoissés. Ils doivent trouver en eux les ressources pour « faire leur trou » dans une société froide et anomique. Malheur à ceux qui n’ont pas l’aisance pour y parvenir !

C’est à cette société là, et aux hommes qui y vivent, que nous avons à annoncer l’Evangile de la Vie, selon la belle expression du Pape Jean-Paul II. Cela demande une conversion de tous.

II « Convertissez-vous »

Annoncer l’Evangile c’est inviter les autres à rentrer dans la dance jubilatoire de ma propre conversion personnelle. Le Christ est lumière. Mais cela ne veut pas dire que moi, qui crois en Lui, et les chrétiens qui m’entourent et qui forment l’Eglise, sommes meilleurs que les autres. Car« c’est le bien que je veux, mais c’est le mal qui se présente à moi » (Rm 7 18).

Il n’y a qu’un seul combat spirituel et il passe et à travers moi et à travers l’Eglise et à travers le monde. Externaliser le mal en faisant de l’Eglise (et de moi-même par la même occasion) un havre de vertu face à un monde pourri c’est pharisien.

Or la posture que l’on prend n’est pas la même selon que l’on va à une conférence publique, où l’on va apprendre quelque chose qu’on ne sait pas ; selon que l’on va à une veillée de prière, où on va entendre la Parole de Dieu qui m’appelle à la conversion ; ou selon que l’on va à une manifestation de rue qui ne peut pas ne pas être affirmative et polémique. Les mots n’ont pas le même sens dans des circonstances différentes ! Le « genre littéraire » parle par lui-même et pas seulement ce que l’on y dit.

C’est pourquoi je suis réservé sur la participation à de telles manifestations de rue. Certes elles font plus de bruit médiatique et contribuent, à ce titre, à rendre plus urgent le nécessaire débat public. Mais engagent-elles bien le débat public ? Car qui dit débat dit d’abord disponibilité en moi, et appel en l’autre, à l’ouverture de cœur et d’esprit, et non pas d’abord affrontement…

Certes l’affrontement peut-être inévitable. Mais prenons garde de bien tendre à le vivre alors comme Jésus l’a vécu. De son propre mouvement Jésus n’a pas d’ennemis. Il voit se dresser devant lui des ennemis. Et il vit l’affrontement en se laissant vaincre sans amertume et en pardonnant.

Mais c’est surtout en nous que la logique d’affrontement risque de tarir l’ouverture de cœur et l’ouverture d’esprit. Car le chantier est vaste devant nous pour découvrir la façon juste d’aimer et de transmettre la vie aujourd’hui.

III « Croyez à la Bonne Nouvelle »

Comment aimer et transmettre la vie dans une société froide où règne l’anonymat de masse et où chacun est donc en quête d’aimer et d’être aimé ? Si nous ne nous concentrons pas sur cette question, la déclamation d’affirmations morales, justes en elles-mêmes, même exprimées positivement (« oui à la vie ») et non pas négativement (« non à l’avortement » « non à l’euthanasie »), va contribuer à renforcer le refus de ces affirmations morales chez nos contemporains.

Car il me semble que le refus par beaucoup de la morale sexuelle et de la transmission de la vie n’est pas dû à son contenu lui-même. Celui-ci est largement ignoré. Mais c’est le lien, réel ou phantasmé, entre cette morale et une société aujourd’hui disparue qui est obstacle à ce qu’elle soit entendue. En d’autres termes la morale sexuelle et de la transmission de la vie est repoussée parce qu’elle est (ou paraît) ringarde, ce qui dispense de l’examiner.

Et cela attire à elle nombres de personnes refusant la société actuelle, ce qui, je l’ai dit, est mégalomaniaque. Et cela renforce l’apparence ringarde de cette morale ! Cercle vicieux !

Que notre société soit hyper érotisée et libertaire c’est bien dommage et en soi condamnable. Mais cette condamnation sera inopérante si on ne voit pas que c’est dû à la posture de quête affective, donc sexuelle, qu’implique notre société froide d’anonymat de masse. Les hommes et femmes de notre pays ne sont tout de même pas devenus subitement vicieux et jouisseurs de 1960 à 1980 sous l’effet d’on ne sait quel sortilège diabolique !

De tout temps la chasteté prend sa source dans la conversion de l’’eros’ possessif et manipulateur en ‘agape’ oblatif et source d’abnégation, comme dirait Benoît XVI dans ‘Deus est caritas’. Mais cette conversion ne peut pas se faire de la même façon dans une société et une culture cohésives et une société et une culture froides et d’anonymat de masse.

Est donc contreproductif ce qui paraît déclamation incantatoire et péremptoire de cette conversion, vu le contexte affirmatif et polémique où c’est dit. Ce n’est que l’attestation discrète, humble et délicate qui peut en donner idée et soif à ceux qui, secrètement, y aspirent. Le style de déclamation incantatoire et péremptoire peut même faire diversion et illusion chez ceux qui l’adoptent, tenant pour acquis ce qui ne peut être que le fruit d’un combat spirituel permanent et secret…

L’expression publique de la vertu ne peut pas adopter le mode d’expression publique du vice. Le vice, et Satan qui en est le maître, est fourbe puis tapageur. Fourbe tant que la conscience morale, personnelle ou publique, le reconnaît comme vice. Tapageur dès que la conscience morale ne le reconnaît plus comme tel. Mais la vertu est humble, discrète et lumineuse. On ne peut pour quelque ‘Lifepride’ adopter le mode d’expression d’une ‘Gaypride’ !

Pourtant on ne manque pas de savoir faire, dans l’Eglise, en matière de fête juvénile et jubilatoire non polémique. Les JMJ en sont un exemple parmi d’autres. Ou aussi certains rassemblements charismatiques ou scouts. Ils apparaissent ne se dresser contre personne et ne pas avoir d’ambition politique…

A quand une fête de la vie qui ne paraisse s’opposer à personne ?

Il me semble urgent donc de déconnecter les expressions publiques de respect de la vie des mouvances sociales et politiques de refus et de condamnation de la société actuelle. Outre que cette posture est délirante et mégalomaniaque, je l’ai dit, cela travestit, j’en suis convaincu, le vrai message de l’Evangile en matière de respect de la vie.

Arnaud de VAUJUAS,
le 4 Juin 2010

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