vendredi 25 mai 2012


 Avec Marie, accueillons le Christ souffrant...
(au Sanctuaire de Talence le 6 Mai 2012)
Qui voit-on d'abord quand on regarde la statue de Notre-Dame de Talence ? D'abord la Vierge tenant le Christ mort dans ses bras ? Ou d'abord le Christ mort tenu par la Vierge Marie ? Ce que nous voyons parle de nous, plus que de la statue elle-même...
 Le vocable Notre-Dame de Talence nous ferait croire qu'on voit d'abord la Vierge. Pourtant, matériellement, c'est bien le Christ qui est au premier plan. Mais surtout, théologiquement, même mort le Christ reste le Seigneur et Marie, et nous avec, restons les serviteurs...
D'autre part que fait la Vierge, et nous avec elle ?  Est-ce qu'elle accueille en ses bras son Fils mort descendu de la Croix? Ou bien Le présente-t-elle au monde?
Les deux bien sûr! Mais pour présenter le Christ au monde encore nous faut-il d'abord l'accueillir.  C'est pourquoi pendant ce premier enseignement nous tâcherons avec Marie d'accueillir Jésus,  Jésus mort pour nos péchés. Lors du prochain enseignement nous présenterons Jésus au monde avec Marie.
I Avec Marie accueillons le Christ qui librement s'est laissé vaincre...
Une anecdote: il y a quelques 25 ans alors que j'étais jeune prêtre, j'accompagnais un groupe d'accueillis du Secours Catholique à Lourdes.  C'était des personnes visiblement marquées par les difficultés de la vie. Marginalisées socialement, elles subissaient quotidiennement de nombreuses humiliations.
J'ai entendu d'elles trois choses pendant leur séjour à Lourdes. D'abord ici on peut "poser nos valises", disaient-elles, c'est à dire être accueillis tels que nous sommes, sans être jugés. Et cela, deuxièmement, parce qu'ici les souffrants sont les premiers: il n'y a qu'à voir comment les malades passent les premiers dans les files d'attente. Et troisièmement Bernadette c'est l'une des nôtres. Comme elle le disait elle-même si Marie avait trouvé plus pauvre qu'elle à Lourdes sans doute lui serait-elle apparue plutôt qu'à elle, Bernadette...
Bien sûr, ici nous sommes à Talence et non pas à Lourdes. Mais c'est tout de même bien la même  Marie qui apparaît à Lourdes  et qui est vénérée  ici à Talence...
L'an dernier, le père Jean-Marc NICOLAS nous a dit comment les 'Pieta', les Vierges au Christ mort, descendu de la Croix, s'étaient diffusées pendant le quatorzième siècle, le siècle précédent celui où fut sculptée notre statue, le 'siècle de fer', le siècle terrible, le siècle de la Guerre de Cent Ans, de la grande peste, du grand schisme d'Occident... Ce siècle aux antipodes de nos fameuses 'Trente Glorieuses' du vingtième siècle qui ont vu le dernier déclin en date de la vénération de Notre Dame de Talence...
Ces Piétas, nous a-t-il été dit, étaient placées dans les mouroirs où agonisaient les pestiférés pour les inciter à "connaître Christ, et la puissance de sa résurrection, et la communion à ses souffrances, en devenant conforme à lui dans sa mort, pour parvenir,si possible, à la résurrection d'entre les morts" comme avait dit saint Paul aux Philippiens (3:10-11).
Bref, en se montrant accueilli par Marie, après s'être laissé vaincre par la souffrance et la mort, Jésus nous appelle à désarmer, à nous laisser vaincre nous aussi comme lui s'est laissé vaincre, mais de la façon dont lui s'est laissé vaincre et non pas autrement.
Car Jésus ne s'est pas laissé vaincre passivement par faiblesse, par démission, mais activement par amour. Il a désarmé Pierre. Il n'a pas sollicité la légion d'anges qui aurait pu lui porter secours. Mais, surtout, à son dernier repas, il s'est activement donné à nous dans son corps et dans son sang.
Sa fragilité il l'a donc librement choisie, exposée, dévoilée. Il y a consenti. Se faisant il consentait à être Fils et non point Père. Car être Fils c'est recevoir sa vie, son être d'un autre que soi-même, ne pas être à soi-même son propre soutien, sa propre source...
Or nul ne peut être fils d'un seul. Tout homme en étant fils de son père est aussi fils de sa mère. Le Père Éternel en envoyant son Fils Éternel dans le monde pour que le monde soit sauvé a voulu que son Fils soit aussi le Fils de Marie!
En renonçant à se défendre contre ceux qui vont le mettre à mort, Jésus consent à s'en remettre à un Autre, à son Père, à être Fils donc et donc, indissociablement, Fils du Père Éternel et Fils de Marie. Or "le Père nul ne l'a jamais vu" (Jn 1 18). Marie, oui on l'a vue.
Le fait que Jésus soit Fils, le fait qu'il consente librement à ne dépendre que du Père, n'apparait jamais tant que quand il dit: "Ma vie nul ne la prend mais c'est moi qui la donne" (Jn 10 18). Et la maternité de Marie n'apparaît aussi jamais tant que là. Les Piétas nous disent qu'on ne peut donc se donner aux autres que si on se reçoit des autres. Jésus s'y montre donné à nous jusqu'au bout se recevant encore et toujours de sa mère, et donc de son Père.
Nous sommes là aux antipodes d'une générosité héroïque narcissique, d'une générosité où, donc, celui qui se donnerait aux autres se regarderait lui- même en train de se donner, en train d'avoir cette attitude généreuse !
II Avec Jésus, laissons nous engendrer par Marie.
Bien des pélerins viennent à Talence "poser leur valise", comme me disaient ces accueillis du Secours Catholique à Lourdes. Ils viennent déposer entre les mains de Marie recevant son Fils mort leurs épreuves, leurs soucis, leurs angoisses.
Ce faisant, ils reconnaissent comme Dieu, Fils de Dieu, cet homme mort, Jésus, mort de s'être donné jusqu'au bout, mais comme engendré encore en cela même par sa mère et donc aussi par son Père, le Père Eternel.
C'est certainement une puissante incitation pour les pèlerins à ne pas se laisser accabler, à se laisser rejoindre au sein même de leurs difficultés et de leurs épreuves par un Dieu dont la Toute-Puissance est alors Toute-Puissance d'amour, d'intimité inouïe, de configuration avec ce qu'il y a de plus faible. "Ce qu'il y a de faible dans le monde, dira saint Paul aux dockers de Corinthe, voilà ce que Dieu a choisi pour vaincre ce qui est fort" (1Co 1 27). L'amour apparaît pour ce qu'il est : Toute-puissante résonance de vulnérabilités librement consenties.
De cet amour naît donc l'engendrement. Comme les époux appellent à la vie un enfant en laissant résonner leur intimité, leur vulnérabilité librement dévoilée, la figure du Ressuscité se laisse espérée en la faiblesse ultime librement consentie de Jésus recueillie par Marie.
Alors peut-être pouvons-nous progresser dans notre combat spirituel ! Car nous sommes toujours menacés par la prière païenne, magique, faisant appel à une divinité dont on pourrait capter la bienveillance magique par forces imprécations pieuses. Nous risquons toujours, en quantifiant nos prières, en nous regardant prier, de vouloir séduire ou contraindre la divinité à faire notre volonté qu'elle le veuille ou non. Surtout si, souffrants, nous nous posons en victimes. La révolte peut prendre le masque d'une certaine piété.
En regardant Jésus naître à la Vie Nouvelle de Ressuscité qui déjà transparaît dans le visage du Crucifié, nous sommes au contraire invités à l'oblation active, à l'offrande de nous-mêmes aux côtés de Jésus, de la façon dont il se donne Lui-même. Point donc de résignation passive, de fatalisme mais consentement à ce que la Vie sourde de la fragilité consentie et offerte.
Cette attitude est déjà annonce de l'Évangile. Mais de cela nous parlerons dimanche prochain.
P. Arnaud de VAUJUAS, curé

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