vendredi 25 mai 2012


Réhabilitation, un enjeu spirituel ?

(à Cadillac, le 22 Mai 2012)
Comment peut-on dire, aujourd’hui, en ce début de XXIème siècle, qu’il y a un enjeu spirituel dans la réhabilitation des personnes socialement marginalisées, réprouvées. Après avoir situé, dans un premier temps, ce qu’est la vie spirituelle, je dirai, dans un deuxième temps, comment la foi plus spécifiquement chrétienne voit la réhabilitation ; dans un troisième temps je donnerai quelques exemples vécus dans une œuvre de réhabilitation chrétienne aujourd’hui, le Mouvement du Nid.

I Qu’est-ce-que la vie spirituelle ?

Le Père Lataste a vécu dans un monde beaucoup moins pluraliste religieusement que le nôtre. Le Christianisme, et surtout le Catholicisme, était quasiment le seul pourvoyeur de sens ultime dans la société d’alors. Il y avait bien quelques rares minorités culturelles, quelques fortes têtes qui contestaient cette hégémonie, mais elle était massive. La situation est tout autre aujourd’hui : on passe d’une religion de tradition à des religions d’adhésion, de conviction. Si bien que nous ne pouvons plus confondre ici et aujourd’hui vie spirituelle et vie chrétienne…
Mais alors qu’est-ce-que la vie spirituelle ? Eh bien, nous avons tous mille et une raisons de trouver que la vie a un sens, a du goût et mille et une raisons de penser qu’elle est absurde, révoltante ; nous avons mille et une raisons de parier sur la confiance et l’amour et mille et une raisons de nous replier sur nous-mêmes et de n’avoir de relation avec les autres que dans la mesure où ils peuvent nous servir à quelque chose ; nous avons mille et une raisons de préférer la vie à la mort et mille et une raisons de préférer la mort à la vie.
La vie spirituelle c’est que qui nous fait préférer le sens à l’absurde, l’amour à la manipulation d’autrui, la vie à la mort. A ce tarif-là, me direz-vous, beaucoup sont des Monsieur Jourdain de la vie spirituelle : ils mènent un combat spirituel quotidien comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, mais ils ne le savent pas. Et c’est bien vrai.
Mais c’est devant l’épreuve, le mal, la souffrance, le scandale que se fait pressante la nécessité de passer de l’inconscient, du non-dit au conscient, à l’explicite suffisamment argumenté, suffisamment élaboré pour tenir le choc devant le déni de sens, devant ce qui est révoltant.

II La religion du Dieu crucifié

La religion du Dieu Crucifié permet de vivre cette rencontre gratuite et féconde avec ceux qui dont le cœur est brisé, broyé. Dans cette rencontre, se révèle aux croyants le visage de Celui qu’ils cherchent.
« Les pauvres sont nos maîtres » disait saint Vincent de Paul, un autre grand ami des pauvres issu du Sud-ouest de la France. Nous avons tous des failles, des difficultés, des culpabilités, mais certains d’entre nous n’ont pas les moyens de le cacher, ça se voit socialement plus chez eux. Mais, ce faisant, ils nous révèlent à nous-mêmes. Ils nous invitent à faire la vérité en nous-mêmes, à jeter les masques si nous voulons vraiment les rencontrer en vérité, en frères. Et, par le fait même, nous faire rencontrer par eux.
C’est là, me semble-t-il, un des aspects les plus forts de l’œuvre et de la spiritualité du (bientôt) bienheureux Père Lataste. D’autres œuvres maintenaient une différences de statuts entre les « filles repenties » et leurs (ré)éducatrices. Les Dominicaines de Béthanie faisaient vivre dans un même statut les sœurs dont le passé manifestait, de façon socialement visible, les failles, les culpabilités inhérentes à tout être humain et les sœurs apparemment plus préservées, de façon socialement visible, par les difficultés de la vie.
Certes le silence était de rigueur sur le passé des unes et des autres. Mais les monastères contemplatifs sont des bocaux où les sœurs vivent sous le regard les unes des autres dans une inéluctable promiscuité. Si des sœurs s’étaient senties spirituellement moins bénéficiaires de la miséricorde divine, si elles s’étaient senties supérieures spirituellement la cohabitation aurait vite été infernale…
En nous recentrant sur la miséricorde divine, donc sur notre misère, nous rencontrons le Dieu de l’Evangile comme le dit l’Evangile du Jugement Dernier : « J’étais en prison et vous m’avez visité ». Alors peut être touché le ressort le plus intime et de celui qui, de façon socialement visible, a le cœur brisé, broyé et de celui qui apparemment est plus préservé mais qui est à la recherche de la vérité plus cachée en lui. Cette rencontre se joue dans un insu dévoilé en permanence : « Mais quand donc sommes-nous venu te voir en prison ? »

III Toucher le ressort le plus intime

Toucher le ressort le plus intime de chacun… Voilà ce vers quoi tendent les membres du Mouvement du Nid à Bordeaux et ailleurs. Deux par deux nous allons « au contact », comme on dit, des personnes prostituées sur les quais de la Garonne. Dans un apprivoisement réciproque digne de Saint-Exupéry, de son Petit Prince et de son Renard nous tendons à toucher le ressort le plus intime de celles dont la dignité est bafouée. Mais encore une fois c’est à la recherche aussi et de nous-mêmes et du Dieu Crucifié que nous sommes.
Rencontre gratuite dont la fécondité est insondable. Rarement néanmoins, mais réellement, des signes nous sont donnés qu’un ressort a été touché. Alors nous pouvons passer la main à des travailleurs sociaux qui ont la technique des aides sociales de réhabilitation…
P. Arnaud de VAUJUAS, curé de Talence

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